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La collecte des données marines et le droit de la mer


par Wafa ZLITNI
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Master de recherche en Droit international 2021
  

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B. La décision de l'Etat côtier de ne pas octroyer son consentement

Dans l'octroi ou le refus de son consentement aux organisations internationales compétentes et aux Etats désireux de se livrer à des activités de recherche scientifique marine dans les eaux relevant de la souveraineté de l'Etat côtier, le pouvoir discrétionnaire de ce dernier est total347 (annexe II). Il peut ainsi refuser son consentement sans se justifier348. La Birmanie refusa ainsi son consentement en 1967 aux USA désireux de mener des recherches scientifiques marines dans sa mer territoriale, sans avancer aucun motif. L'ambassade américaine à Rangoon fût simplement informée que «le gouvernement birman regrettait de ne pouvoir donner son accord»349.

Dans les eaux relevant de la juridiction de l'Etat côtier en matière de recherche scientifique marine, celui-ci a le pouvoir discrétionnaire de refuser son consentement à l'exécution d'un projet de recherche dans sa ZEE ou sur son

346 Ibidem.

347 BEN SALEM (M.), «La recherche scientifique marine en Méditerranée», op. cit., pp. 5556.

348 FREYMOND (O.), op. cit., pp. 65-67.

349 Ibidem.

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plateau continental dans cinq cas. Premièrement, «si le projet prévoit des forages dans le plateau continental, l'utilisation d'explosifs ou l'introduction de substances nocives dans le milieu marin»350.

Deuxièmement, «si le projet prévoit la construction, l'exploitation ou l'utilisation des îles artificielles, installations et ouvrages351. Ceci se justifie par le fait que l'Etat côtier «a le droit exclusif de procéder à la construction et d'autoriser et réglementer la construction, l'exploitation et l'utilisation»352 de ces îles artificielles, installations et ouvrages dans sa ZEE en vertu de l'article 60 de la CMB et sur son plateau continental en vertu de l'article 80353 de ladite Convention, qu'ils émergent de la surface de la mer ou qu'ils soient totalement submergés354.

Troisièmement, l'Etat côtier a le pouvoir discrétionnaire de refuser son consentement à l'exécution d'un projet de recherche dans sa ZEE ou sur son plateau continental si le projet vise des zones spécifiques désignées par l'Etat côtier comme faisant (ou devant faire) l'objet de travaux d'exploration ou

350 L'article 246.5.b de la CMB précitée prévoit: «Les Etats côtiers peuvent cependant, à leur discrétion, refuser leur consentement à l'exécution d'un projet de recherche scientifique marine par un autre Etat ou par une organisation internationale compétente dans leur zone économique exclusive ou sur leur plateau continental [...] si le projet prévoit des forages dans le plateau continental, l'utilisation d'explosifs ou l'introduction de substances nocives dans le milieu marin».

351 L'article 246.5.c de la CMB précitée prévoit: «Les Etats côtiers peuvent cependant, à leur discrétion, refuser leur consentement à l'exécution d'un projet de recherche scientifique marine par un autre Etat ou par une organisation internationale compétente dans leur zone économique exclusive ou sur leur plateau continental [...] si le projet prévoit la construction, l'exploitation ou l'utilisation des îles artificielles, installations et ouvrages visés aux articles 60 et 80».

352 L'article 60.1 de la CMB précitée prévoit: «1. Dans la zone économique exclusive. l'Etat côtier a le droit exclusif de procéder à la construction et d'autoriser et réglementer la construction, l'exploitation et l'utilisation: a) d'îles artificielles b) d'installations et d'ouvrages affectés aux fins prévues à l'article 56 ou à d'autres fins économiques, c) d'installations et d'ouvrages pouvant entraver l'exercice des droits de l'Etat côtier dans la zone».

353 L'article 80 de la CMB précitée prévoit: «L'article 60 s'applique, mutatis mutandis, aux îles artificielles, installations et ouvrages situés sur le plateau continental».

354 DOALOS, Guide révisé pour l'application des dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, op. cit., pp.10-12.

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d'exploitation355, et quatrièmement, «si le projet a une incidence directe sur l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques»356.

Ceci s'explique par le fait que l'Etat côtier jouit de droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation de ces ressources dans sa ZEE et sur son plateau continental. L'Etat côtier a donc le pouvoir de refuser son consentement aux recherches qui risquent de porter préjudice à ses droits souverains sur ses ressources naturelles357 dans sa ZEE et sur son plateau continental, zones dont l'institution est motivée par les avantages économiques que peuvent lui apporter ces droits358.

Les recherches qui risquent de porter préjudice aux droits souverains de l'Etat côtier sur ses ressources naturelles sont celles qui constituent une exploration des ressources vivantes359, celles dont les résultats permettent de localiser et d'évaluer les ressources «du point de vue de leur exploitation commerciale»360. Les données acquises au cours de telles recherches indiquent en effet les zones

355 L'article 246.6 de la CMB précitée prévoit: «Nonobstant le paragraphe 5, les Etats côtiers ne peuvent pas exercer leur pouvoir discrétionnaire de refuser leur consentement en vertu de la lettre a de ce paragraphe, en ce qui concerne les projets de recherche scientifique marine devant être entrepris, conformément à la présente partie, sur le plateau continental, à plus de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, en dehors de zones spécifiques qu'ils peuvent à tout moment, désigner officiellement comme faisant l'objet, ou devant faire l'objet dans un délai raisonnable, de travaux d'exploitation ou de travaux d'exploration poussés. Les Etats côtiers notifient dans des délais raisonnables les zones qu'il désigne ainsi que toutes modifications s'y rapportant, mais ne sont pas tenus de fournir des détails sur les travaux dont elles font l'objet».

356 L'article 246.5.a de la CMB précitée prévoit: «Les Etats côtiers peuvent cependant, à leur discrétion, refuser leur consentement à l'exécution d'un projet de recherche scientifique marine par un autre Etat ou par une organisation internationale compétente dans leur zone économique exclusive ou sur leur plateau continental [...] si le projet a une incidence directe sur l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques».

357 JARMACHE (E.), op. cit., p. 304.

358BEN SALEM (M.), La recherche scientifique marine à l'épreuve du Droit de la mer: développement et entrave, Thèse en Droit, Faculté des sciences juridiques politiques et sociales de Tunis, 2016, p.355.

359 FRIKHA (A.), op. cit., pp. 44-47.

360 DOALOS, Guide révisé pour l'application des dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, op. cit., p.21.

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de migration et de reproduction de certaines espèces marines riches pour l'exploitation361. La diffusion de ces données ainsi que leur utilisation à des fins commerciales peuvent avoir des répercussions défavorables sur les accords de pêche par exemple362. L'Etat côtier peut d'ailleurs refuser son accord «pour diffuser sur le plan international les résultats des recherches relevant d'un projet intéressant directement l'exploration et l'exploitation de ressources naturelles»363 en vertu de l'article 249 de la CMB, même après qu'il ait accordé son consentement à ces recherches, parce que l'on touche ici à «la raison d'être»364 de la ZEE et du plateau continental.

Cinquièmement, l'Etat côtier a le pouvoir discrétionnaire de refuser son consentement à l'exécution d'un projet de recherche dans sa ZEE ou sur son plateau continental «si les renseignements communiqués quant à la nature et aux objectifs du projet [...] sont inexacts ou si l'Etat ou l'organisation internationale compétente auteur du projet ne s'est pas acquitté d'obligations contractées vis-à-vis de l'Etat côtier concerné au titre d'un projet de recherche antérieur»365. Tout ceci rend l'entreprise de travaux de collecte de données marines dans les zones sous l'emprise de l'Etat côtier bien difficile. Et même si l'Etat côtier octroie finalement son consentement si compliqué à obtenir, il peut le reprendre après l'avoir octroyé.

361 FRIKHA (A.), op. cit., pp. 44-47.

362BEN SALEM (M.), La recherche scientifique marine à l'épreuve du Droit de la mer: développement et entrave, op.cit., p. 355.

363 L'article 249.2 de la CMB précitée prévoit: «Le présent article s'applique sans préjudice des conditions fixées par les lois et règlements de l'Etat côtier en ce qui concerne l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser son consentement en application de l'article 246, paragraphe 5, y compris l'obligation d'obtenir son accord préalable pour diffuser sur le plan international les résultats des recherches relevant d'un projet intéressant directement l'exploration et l'exploitation de ressources naturelles».

364 JARMACHE (E.), op. cit., p. 304.

365L'article 246.5.d de la CMB précitée prévoit: «Les Etats côtiers peuvent cependant, à leur discrétion, refuser leur consentement à l'exécution d'un projet de recherche scientifique marine par un autre Etat ou par une organisation internationale compétente dans leur zone économique exclusive ou sur leur plateau continental [...] si les renseignements communiqués quant à la nature et aux objectifs du projet en vertu de l'article 248 sont inexacts ou si l'Etat ou l'organisation internationale compétente auteur du projet ne s'est pas acquitté d'obligations contractées vis-à-vis de l'Etat côtier concerné au titre d'un projet de recherche antérieur».

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L'Etat côtier a non seulement le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou non son consentement, mais il a en plus le pouvoir de le suspendre ou de l'annuler après son octroi. Ce consentement octroyé ne constituant pas un droit acquis, il peut être retiré à son titulaire366. Ainsi, «l'Etat côtier a le droit d'exiger la suspension des travaux de recherche scientifique marine en cours dans sa ZEE ou sur son plateau continental» en vertu de l'article 253 de la CMB, et ce, pour deux raisons. D'une part, si les travaux de recherche ne sont pas menés conformément aux conditions que l'entrepreneur des recherches s'est engagé à respecter367, le consentement est suspendu jusqu'à ce que l'entrepreneur des recherches se conforme aux renseignements et aux conditions sur lesquels l'Etat côtier «s'est fondé pour donner [ledit] consentement»368.

D'autre part, le consentement de l'Etat côtier est également suspendu si les travaux de recherche «ne sont pas menés conformément aux renseignements communiqués»369 par l'Etat chercheur ou l'organisation internationale compétente lors de la fourniture de la demande d'autorisation et si le projet n'est pas mené dans le but déclaré370. L'entrepreneur du projet de recherche peut en effet déclarer un objectif scientifique alors qu'il a l'intention d'affecter les données collectées à l'espionnage militaire ou la prospection géologique. Ainsi,

366 SANHAJI (S.), Le Droit des fouilles archéologiques, Mémoire en Droit, Université Panthéon-Sorbonne Paris I, 1998, pp. 1-20.

367 L'article 253.1.b de la CMB précitée prévoit: «L'Etat côtier a le droit d'exiger la suspension des travaux de recherche scientifique marine en cours dans sa zone économique exclusive ou sur son plateau continental si l'Etat ou l'organisation internationale compétente qui les mènent ne respecte pas les dispositions de l'article 249 relatives aux droits de l'Etat côtier en ce qui concerne le projet de recherche scientifique marine».

368 L'article 253.5 de la CMB précitée prévoit: «L'ordre de suspension donné en vertu du paragraphe 1 est levé par l'Etat côtier et le projet de recherche scientifique marine peut se poursuivre dès que l'Etat ou l'organisation internationale compétente qui effectue ces travaux de recherche scientifique marine s'est conformé aux conditions prévues aux articles 248 et 249».

369 L'article 253.1.a de la CMB précitée prévoit: «L'Etat côtier a le droit d'exiger la suspension des travaux de recherche scientifique marine en cours dans sa zone économique exclusive ou sur son plateau continental si ces travaux ne sont pas menés conformément aux renseignements communiqués en vertu de l'article 248, sur lesquels l'Etat côtier s'est fondé pour donner son consentement».

370 MOUSSA (F.), op. cit., p. 110.

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l'Union soviétique refusa son consentement aux USA en 1967 en avançant pour motif que le navire utilisé était un navire de guerre. De même, les Bahamas refusèrent leur consentement aux USA en 1970, soupçonnant ces derniers d'avoir l'intention de collecter des données utilisables industriellement371. L'Argentine refusa quant à elle son consentement à la Grande Bretagne en 1976, suspectant que l'étude de la théorie de la dérive des continents déclarée couvrait en réalité des activités de prospection d'hydrocarbures372.

Si l'inexactitude des renseignements communiqués au sujet de la nature et des objectifs du projet373 «équivaut à modifier de façon importante»374 les travaux de recherches, ou si l'entrepreneur de ce projet ne remédie pas «dans un délai raisonnable» aux motifs de suspension du consentement375, l'Etat côtier a le pouvoir de retirer définitivement ledit consentement. Ce dernier envoie alors une notification «de sa décision d'exiger [...] la cessation [des] travaux de recherche scientifique marine» à l'organisation internationale compétente ou à l'Etat qui a été autorisé à mener ces travaux pour y mettre fin376. Le consentement octroyé est alors annulé.

Ayant octroyé de larges pouvoirs à l'Etat côtier en matière de recherche scientifique marine dans les eaux relevant de sa souveraineté, la CMB tenta de donner plus de libertés aux chercheurs au-delà de celles-ci.

371 FREYMOND (O.), op. cit., pp. 65-67.

372 Ibidem.

373 FREYMOND (O.), op. cit., p. 83.

374 L'article 253.2 de la CMB précitée prévoit: «L'Etat côtier a le droit d'exiger la cessation de tous travaux de recherche scientifique marine dans tous les cas où l'inobservation de l'article 248 équivaut à modifier de façon importante le projet ou les travaux de recherche».

375 L'article 253.3 de la CMB précitée prévoit: «L'Etat côtier peut également exiger la cessation des travaux de recherche scientifique marine s'il n'est pas remédié dans un délai raisonnable à l'une quelconque des situations visées au paragraphe 1».

376 L'article 253.4. de la CMB précitée prévoit: «Après avoir reçu notification par l'Etat de sa décision d'exiger la suspension ou la cessation de travaux de recherche scientifique marine, les Etats ou les organisations internationales compétentes autorisés à mener ces travaux mettent fin à ceux qui font l'objet de la notification».

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon