B. La décision de l'Etat côtier de ne pas
octroyer son consentement
Dans l'octroi ou le refus de son consentement aux
organisations internationales compétentes et aux Etats désireux
de se livrer à des activités de recherche scientifique marine
dans les eaux relevant de la souveraineté de l'Etat côtier, le
pouvoir discrétionnaire de ce dernier est total347 (annexe
II). Il peut ainsi refuser son consentement sans se justifier348. La
Birmanie refusa ainsi son consentement en 1967 aux USA désireux de mener
des recherches scientifiques marines dans sa mer territoriale, sans avancer
aucun motif. L'ambassade américaine à Rangoon fût
simplement informée que «le gouvernement birman regrettait de ne
pouvoir donner son accord»349.
Dans les eaux relevant de la juridiction de l'Etat
côtier en matière de recherche scientifique marine, celui-ci a le
pouvoir discrétionnaire de refuser son consentement à
l'exécution d'un projet de recherche dans sa ZEE ou sur son
346 Ibidem.
347 BEN SALEM (M.), «La recherche scientifique marine en
Méditerranée», op. cit., pp. 5556.
348 FREYMOND (O.), op. cit., pp. 65-67.
349 Ibidem.
69
plateau continental dans cinq cas. Premièrement,
«si le projet prévoit des forages dans le plateau continental,
l'utilisation d'explosifs ou l'introduction de substances nocives dans le
milieu marin»350.
Deuxièmement, «si le projet prévoit la
construction, l'exploitation ou l'utilisation des îles artificielles,
installations et ouvrages351. Ceci se justifie par le fait que
l'Etat côtier «a le droit exclusif de procéder à la
construction et d'autoriser et réglementer la construction,
l'exploitation et l'utilisation»352 de ces îles
artificielles, installations et ouvrages dans sa ZEE en vertu de l'article 60
de la CMB et sur son plateau continental en vertu de l'article 80353
de ladite Convention, qu'ils émergent de la surface de la mer ou qu'ils
soient totalement submergés354.
Troisièmement, l'Etat côtier a le pouvoir
discrétionnaire de refuser son consentement à l'exécution
d'un projet de recherche dans sa ZEE ou sur son plateau continental si le
projet vise des zones spécifiques désignées par l'Etat
côtier comme faisant (ou devant faire) l'objet de travaux d'exploration
ou
350 L'article 246.5.b de la CMB précitée
prévoit: «Les Etats côtiers peuvent cependant, à leur
discrétion, refuser leur consentement à l'exécution d'un
projet de recherche scientifique marine par un autre Etat ou par une
organisation internationale compétente dans leur zone économique
exclusive ou sur leur plateau continental [...] si le projet prévoit des
forages dans le plateau continental, l'utilisation d'explosifs ou
l'introduction de substances nocives dans le milieu marin».
351 L'article 246.5.c de la CMB précitée
prévoit: «Les Etats côtiers peuvent cependant, à leur
discrétion, refuser leur consentement à l'exécution d'un
projet de recherche scientifique marine par un autre Etat ou par une
organisation internationale compétente dans leur zone économique
exclusive ou sur leur plateau continental [...] si le projet prévoit la
construction, l'exploitation ou l'utilisation des îles artificielles,
installations et ouvrages visés aux articles 60 et 80».
352 L'article 60.1 de la CMB précitée
prévoit: «1. Dans la zone économique exclusive. l'Etat
côtier a le droit exclusif de procéder à la construction et
d'autoriser et réglementer la construction, l'exploitation et
l'utilisation: a) d'îles artificielles b) d'installations et d'ouvrages
affectés aux fins prévues à l'article 56 ou à
d'autres fins économiques, c) d'installations et d'ouvrages pouvant
entraver l'exercice des droits de l'Etat côtier dans la zone».
353 L'article 80 de la CMB précitée
prévoit: «L'article 60 s'applique, mutatis mutandis, aux îles
artificielles, installations et ouvrages situés sur le plateau
continental».
354 DOALOS, Guide révisé pour l'application
des dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le Droit de
la mer, op. cit., pp.10-12.
70
d'exploitation355, et quatrièmement,
«si le projet a une incidence directe sur l'exploration et l'exploitation
des ressources naturelles, biologiques ou non
biologiques»356.
Ceci s'explique par le fait que l'Etat côtier jouit de
droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation de ces ressources
dans sa ZEE et sur son plateau continental. L'Etat côtier a donc le
pouvoir de refuser son consentement aux recherches qui risquent de porter
préjudice à ses droits souverains sur ses ressources
naturelles357 dans sa ZEE et sur son plateau continental, zones dont
l'institution est motivée par les avantages économiques que
peuvent lui apporter ces droits358.
Les recherches qui risquent de porter préjudice aux
droits souverains de l'Etat côtier sur ses ressources naturelles sont
celles qui constituent une exploration des ressources vivantes359,
celles dont les résultats permettent de localiser et d'évaluer
les ressources «du point de vue de leur exploitation
commerciale»360. Les données acquises au cours de telles
recherches indiquent en effet les zones
355 L'article 246.6 de la CMB précitée
prévoit: «Nonobstant le paragraphe 5, les Etats côtiers ne
peuvent pas exercer leur pouvoir discrétionnaire de refuser leur
consentement en vertu de la lettre a de ce paragraphe, en ce qui concerne les
projets de recherche scientifique marine devant être entrepris,
conformément à la présente partie, sur le plateau
continental, à plus de 200 milles marins des lignes de base à
partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, en
dehors de zones spécifiques qu'ils peuvent à tout moment,
désigner officiellement comme faisant l'objet, ou devant faire l'objet
dans un délai raisonnable, de travaux d'exploitation ou de travaux
d'exploration poussés. Les Etats côtiers notifient dans des
délais raisonnables les zones qu'il désigne ainsi que toutes
modifications s'y rapportant, mais ne sont pas tenus de fournir des
détails sur les travaux dont elles font l'objet».
356 L'article 246.5.a de la CMB précitée
prévoit: «Les Etats côtiers peuvent cependant, à leur
discrétion, refuser leur consentement à l'exécution d'un
projet de recherche scientifique marine par un autre Etat ou par une
organisation internationale compétente dans leur zone économique
exclusive ou sur leur plateau continental [...] si le projet a une incidence
directe sur l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles,
biologiques ou non biologiques».
357 JARMACHE (E.), op. cit., p. 304.
358BEN SALEM (M.), La recherche scientifique
marine à l'épreuve du Droit de la mer: développement et
entrave, Thèse en Droit, Faculté des sciences juridiques
politiques et sociales de Tunis, 2016, p.355.
359 FRIKHA (A.), op. cit., pp. 44-47.
360 DOALOS, Guide révisé pour l'application
des dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le Droit de
la mer, op. cit., p.21.
71
de migration et de reproduction de certaines espèces
marines riches pour l'exploitation361. La diffusion de ces
données ainsi que leur utilisation à des fins commerciales
peuvent avoir des répercussions défavorables sur les accords de
pêche par exemple362. L'Etat côtier peut d'ailleurs
refuser son accord «pour diffuser sur le plan international les
résultats des recherches relevant d'un projet intéressant
directement l'exploration et l'exploitation de ressources
naturelles»363 en vertu de l'article 249 de la CMB, même
après qu'il ait accordé son consentement à ces recherches,
parce que l'on touche ici à «la raison
d'être»364 de la ZEE et du plateau continental.
Cinquièmement, l'Etat côtier a le pouvoir
discrétionnaire de refuser son consentement à l'exécution
d'un projet de recherche dans sa ZEE ou sur son plateau continental «si
les renseignements communiqués quant à la nature et aux objectifs
du projet [...] sont inexacts ou si l'Etat ou l'organisation internationale
compétente auteur du projet ne s'est pas acquitté d'obligations
contractées vis-à-vis de l'Etat côtier concerné au
titre d'un projet de recherche antérieur»365. Tout ceci
rend l'entreprise de travaux de collecte de données marines dans les
zones sous l'emprise de l'Etat côtier bien difficile. Et même si
l'Etat côtier octroie finalement son consentement si compliqué
à obtenir, il peut le reprendre après l'avoir octroyé.
361 FRIKHA (A.), op. cit., pp. 44-47.
362BEN SALEM (M.), La recherche scientifique
marine à l'épreuve du Droit de la mer: développement et
entrave, op.cit., p. 355.
363 L'article 249.2 de la CMB précitée
prévoit: «Le présent article s'applique sans
préjudice des conditions fixées par les lois et règlements
de l'Etat côtier en ce qui concerne l'exercice de son pouvoir
discrétionnaire d'accorder ou de refuser son consentement en application
de l'article 246, paragraphe 5, y compris l'obligation d'obtenir son accord
préalable pour diffuser sur le plan international les résultats
des recherches relevant d'un projet intéressant directement
l'exploration et l'exploitation de ressources naturelles».
364 JARMACHE (E.), op. cit., p. 304.
365L'article 246.5.d de la CMB
précitée prévoit: «Les Etats côtiers peuvent
cependant, à leur discrétion, refuser leur consentement à
l'exécution d'un projet de recherche scientifique marine par un autre
Etat ou par une organisation internationale compétente dans leur zone
économique exclusive ou sur leur plateau continental [...] si les
renseignements communiqués quant à la nature et aux objectifs du
projet en vertu de l'article 248 sont inexacts ou si l'Etat ou l'organisation
internationale compétente auteur du projet ne s'est pas acquitté
d'obligations contractées vis-à-vis de l'Etat côtier
concerné au titre d'un projet de recherche antérieur».
72
L'Etat côtier a non seulement le pouvoir
discrétionnaire d'accorder ou non son consentement, mais il a en plus le
pouvoir de le suspendre ou de l'annuler après son octroi. Ce
consentement octroyé ne constituant pas un droit acquis, il peut
être retiré à son titulaire366. Ainsi,
«l'Etat côtier a le droit d'exiger la suspension des travaux de
recherche scientifique marine en cours dans sa ZEE ou sur son plateau
continental» en vertu de l'article 253 de la CMB, et ce, pour deux
raisons. D'une part, si les travaux de recherche ne sont pas menés
conformément aux conditions que l'entrepreneur des recherches s'est
engagé à respecter367, le consentement est suspendu
jusqu'à ce que l'entrepreneur des recherches se conforme aux
renseignements et aux conditions sur lesquels l'Etat côtier «s'est
fondé pour donner [ledit] consentement»368.
D'autre part, le consentement de l'Etat côtier est
également suspendu si les travaux de recherche «ne sont pas
menés conformément aux renseignements
communiqués»369 par l'Etat chercheur ou l'organisation
internationale compétente lors de la fourniture de la demande
d'autorisation et si le projet n'est pas mené dans le but
déclaré370. L'entrepreneur du projet de recherche peut
en effet déclarer un objectif scientifique alors qu'il a l'intention
d'affecter les données collectées à l'espionnage militaire
ou la prospection géologique. Ainsi,
366 SANHAJI (S.), Le Droit des fouilles
archéologiques, Mémoire en Droit, Université
Panthéon-Sorbonne Paris I, 1998, pp. 1-20.
367 L'article 253.1.b de la CMB précitée
prévoit: «L'Etat côtier a le droit d'exiger la suspension des
travaux de recherche scientifique marine en cours dans sa zone
économique exclusive ou sur son plateau continental si l'Etat ou
l'organisation internationale compétente qui les mènent ne
respecte pas les dispositions de l'article 249 relatives aux droits de l'Etat
côtier en ce qui concerne le projet de recherche scientifique
marine».
368 L'article 253.5 de la CMB précitée
prévoit: «L'ordre de suspension donné en vertu du paragraphe
1 est levé par l'Etat côtier et le projet de recherche
scientifique marine peut se poursuivre dès que l'Etat ou l'organisation
internationale compétente qui effectue ces travaux de recherche
scientifique marine s'est conformé aux conditions prévues aux
articles 248 et 249».
369 L'article 253.1.a de la CMB précitée
prévoit: «L'Etat côtier a le droit d'exiger la suspension des
travaux de recherche scientifique marine en cours dans sa zone
économique exclusive ou sur son plateau continental si ces travaux ne
sont pas menés conformément aux renseignements communiqués
en vertu de l'article 248, sur lesquels l'Etat côtier s'est fondé
pour donner son consentement».
370 MOUSSA (F.), op. cit., p. 110.
73
l'Union soviétique refusa son consentement aux USA en
1967 en avançant pour motif que le navire utilisé était un
navire de guerre. De même, les Bahamas refusèrent leur
consentement aux USA en 1970, soupçonnant ces derniers d'avoir
l'intention de collecter des données utilisables
industriellement371. L'Argentine refusa quant à elle son
consentement à la Grande Bretagne en 1976, suspectant que l'étude
de la théorie de la dérive des continents déclarée
couvrait en réalité des activités de prospection
d'hydrocarbures372.
Si l'inexactitude des renseignements communiqués au
sujet de la nature et des objectifs du projet373
«équivaut à modifier de façon
importante»374 les travaux de recherches, ou si l'entrepreneur
de ce projet ne remédie pas «dans un délai raisonnable»
aux motifs de suspension du consentement375, l'Etat côtier a
le pouvoir de retirer définitivement ledit consentement. Ce dernier
envoie alors une notification «de sa décision d'exiger [...] la
cessation [des] travaux de recherche scientifique marine» à
l'organisation internationale compétente ou à l'Etat qui a
été autorisé à mener ces travaux pour y mettre
fin376. Le consentement octroyé est alors annulé.
Ayant octroyé de larges pouvoirs à l'Etat
côtier en matière de recherche scientifique marine dans les eaux
relevant de sa souveraineté, la CMB tenta de donner plus de
libertés aux chercheurs au-delà de celles-ci.
371 FREYMOND (O.), op. cit., pp. 65-67.
372 Ibidem.
373 FREYMOND (O.), op. cit., p. 83.
374 L'article 253.2 de la CMB précitée
prévoit: «L'Etat côtier a le droit d'exiger la cessation de
tous travaux de recherche scientifique marine dans tous les cas où
l'inobservation de l'article 248 équivaut à modifier de
façon importante le projet ou les travaux de recherche».
375 L'article 253.3 de la CMB précitée
prévoit: «L'Etat côtier peut également exiger la
cessation des travaux de recherche scientifique marine s'il n'est pas
remédié dans un délai raisonnable à l'une
quelconque des situations visées au paragraphe 1».
376 L'article 253.4. de la CMB précitée
prévoit: «Après avoir reçu notification par l'Etat de
sa décision d'exiger la suspension ou la cessation de travaux de
recherche scientifique marine, les Etats ou les organisations internationales
compétentes autorisés à mener ces travaux mettent fin
à ceux qui font l'objet de la notification».
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