Section II. La tentative d'équilibre entre les
droits de l'Etat côtier et les libertés des chercheurs
Bien qu'au-delà des zones sous souveraineté, la
CMB tente d'établir un équilibre entre les droits de l'Etat
côtier d'une part et les libertés des chercheurs d'autre part, le
régime qu'elle instaure pour la recherche scientifique marine penche
largement en faveur de la protection des intérêts
économiques du premier377. Le compromis obtenu se rapproche
finalement du déséquilibre en faveur de l'Etat côtier dans
ses zones de juridiction (paragraphe I), zones au-delà desquelles la
liberté de recherche est aussi restreinte (paragraphe II).
Paragraphe I. Les garanties des chercheurs en
matière de recherche scientifique marine dans les zones sous
juridiction
Les dispositions concernant la recherche scientifique marine
dans les zones sous la juridiction de l'Etat côtier apparaissent sous le
titre de «Conduite de la recherche scientifique marine et action visant
à la favoriser»378, ce qui semble annoncer un
accès facilité à ces zones379 pour ce type de
collecte de données marines. La CMB promet alors de faciliter la
recherche scientifique marine dans les zones sous la juridiction de l'Etat
côtier par un recours juridictionnel en cas de refus abusif du
consentement (A) et des atténuations du principe du consentement (B).
A. Le recours juridictionnel en cas de refus abusif du
consentement
Le principe du consentement persiste au-delà des zones
sous la souveraineté de l'Etat côtier. Mais celui-ci «baigne
[à présent] dans un contexte de Droit
international»380. L'Etat côtier a alors l'obligation d'y
faciliter la coopération
377 JARMACHE (E.), op. cit., p. 306.
378 Les articles 245 à 257 de la CMB
précitée constituent la section 3 de la partie XIII
«Recherche scientifique marine», qui s'intitule «Conduite de la
recherche scientifique marine et action visant à la favoriser».
379 GUILLOUX (B.), op. cit., p.12.
380 Ibidem.
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internationale en adoptant «des règles,
règlements et procédures raisonnables [et en facilitant] aux
navires de recherche scientifique marine [...] l'accès à leurs
ports»381. La version de cet article présente dans le
Texte de négociation composite officieux ajoutait «dans un esprit
de coopération internationale»382.
De plus, l'Etat côtier a l'obligation d'adopter
«des règles et des procédures garantissant que [son
consentement sera accordé dans des délais raisonnables et ne sera
pas refusé abusivement»383 aux projets ne
répondant à aucune des caractéristiques
précitées en vertu de l'article 246.5 de la CMB. Il a enfin
l'obligation de consentir «à la réalisation des projets de
recherche scientifique marine que d'autres Etats ou les organisations
internationales compétentes se proposent d'entreprendre dans [sa] ZEE ou
sur [son] plateau continental [...] à des fins exclusivement pacifiques
et en vue d'accroître les connaissances scientifiques sur le milieu marin
dans l'intérêt de l'Humanité tout
entière»384, et ce, «dans des circonstances
normales»385.
«Les circonstances peuvent être
considérées comme normales même en l'absence de relations
diplomatiques entre l'Etat côtier et l'Etat qui se propose
381 L'article 255 de la CMB précitée
prévoit: «Les Etats s'efforcent d'adopter des règles,
règlements et procédures raisonnables en vue d'encourager et de
faciliter la recherche scientifique marine menée conformément
à la Convention au-delà de leur mer territoriale et, si besoin
est, de faciliter aux navires de recherche scientifique marine qui se
conforment aux dispositions pertinentes de la présente partie
l'accès à leurs ports, sous réserve de leurs lois et
règlements, et de promouvoir l'assistance à ces navires».
382 ONU, Document A/CONF.62/WP.10, Documents officiels de
la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la
mer, volume VIII, pp.1-64.
383 L'article 246.3 de la CMB précitée
prévoit: «Dans des circonstances normales, les Etats côtiers
consentent à la réalisation des projets de recherche scientifique
marine que d'autres Etats ou les organisations internationales
compétentes se proposent d'entreprendre dans leur zone économique
exclusive ou sur leur plateau continental conformément à la
Convention, à des fins exclusivement pacifiques et en vue
d'accroître les connaissances scientifiques sur le milieu marin dans
l'intérêt de l'humanité tout entière. A cette fin,
les Etats côtiers adoptent des règles et des procédures
garantissant que leur consentement sera accordé dans des délais
raisonnables et ne sera pas refusé abusivement».
384 Ibidem.
385 Ibidem.
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d'effectuer des recherches»386 et s'il n'y a
pas de risque imminent de conflit armé ni de différend
juridictionnel concernant l'espace marin visé par les
recherches387.
Ainsi, un recours juridictionnel est possible388
afin d'éviter que l'Etat côtier manque de se conformer à
son obligation de faciliter la recherche scientifique marine dans les eaux sous
sa juridiction et qu'il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui
confère l'article 246 de la CMB de manière incompatible avec la
Convention, en d'autres termes, qu'il refuse abusivement son consentement en
vertu dudit article.
Ainsi, en vertu dudit article 264389, tout
différend relatif à la question de savoir si l'Etat côtier
a refusé son consentement de manière abusive est soumis, à
la demande de l'organisation internationale ou de l'Etat chercheur d'une part,
ou de l'Etat côtier lui-même d'autre part, à la CIJ, au
tribunal international de Droit de la mer, à un tribunal
arbitral390, ou à un tribunal arbitral
spécial391 compétents en vertu de la
CMB392. La décision rendue est alors dotée de
l'autorité de la chose jugée.
386 L'article 246.4 de la CMB précitée
prévoit: «Aux fins de l'application du paragraphe 3, les
circonstances peuvent être considérées comme normales
même en l'absence de relations diplomatiques entre l'Etat côtier et
l'Etat qui se propose d'effectuer des recherches».
387 DOALOS, Guide révisé pour l'application
des dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer, op. cit., pp. 41-48.
388 DOALOS, Guide révisé pour l'application
des dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer, op. cit., pp. 25-27.
389 L'article 264 de la CMB précitée
prévoit: «Les différends relatifs à
l'interprétation ou à l'application des dispositions de la
Convention visant la recherche scientifique marine sont réglés
conformément aux sections 2 et 3 de la partie XV».
390 Ce tribunal arbitral est constitué
conformément à l'annexe VII de la CMB précitée
intitulée «arbitrage».
391 Ce tribunal arbitral spécial est constitué
conformément à l'annexe VIII de la CMB précitée
intitulée «arbitrage spécial».
392 Les articles 286 à 296 de la section 2
«Procédures obligatoires aboutissant à des décisions
obligatoires» de la partie XV «Règlement des
différends» de la CMB précitée.
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Les différends pouvant faire l'objet d'une
décision obligatoire concernent deux devoirs de l'Etat côtier :
celui de garantir son consentement aux projets de recherche scientifique marine
dans sa ZEE et sur son plateau continental dans les circonstances normales
d'une part, et celui d'adopter des règles et des procédures
garantissant que son consentement ne sera ni refusé ni retardé
d'une manière qui ne soit pas raisonnable d'autre part393.
Toutefois, les différends «découlant de
l'exercice par [l'Etat côtier] d'un droit ou d'un pouvoir
discrétionnaire conformément à l'article 246 ou de la
décision de cet Etat d'ordonner la suspension ou la cessation d'un
projet de recherche conformément à l'article
253»394 ne peuvent pas faire l'objet d'un tel recours. L'Etat
côtier n'est donc pas tenu d'accepter le régime des
procédures obligatoires pour ces deux différends qui sont alors
soumis à une commission de conciliation395 non
habilitée à remettre en cause l'exercice par l'Etat côtier
de son pouvoir discrétionnaire.
Cette garantie que constitue la possibilité de recours
à une procédure obligatoire de règlement des
différends se trouve alors amoindrie non seulement par ces exceptions,
mais aussi par les mesures conservatoires prévues à l'article 265
en vertu desquelles «l'Etat ou l'organisation internationale
compétente autorisé à exécuter le projet de
recherche scientifique marine ne [peut pas entreprendre ou poursuivre] les
recherches sans le consentement exprès de l'Etat côtier
393 DOALOS, Guide révisé pour l'application
des dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer, op. cit., p. 15.
394 L'article 297.2.a de la CMB précitée
prévoit: «Les différends relatifs à
l'interprétation ou à l'application des dispositions de la
Convention concernant la recherche scientifique marine sont
réglés conformément à la section 2, sauf que l'Etat
côtier n'est pas tenu d'accepter que soit soumis à un tel
règlement d'un différend découlant
i) de l'exercice par cet Etat d'un droit ou d'un pouvoir
discrétionnaire conformément à l'article 246, ou
ii) de la décision de cet Etat d'ordonner la
suspension ou la cessation d'un projet de recherche conformément
à l'article 253».
395 La soumission obligatoire à la procédure de
conciliation est régie par les articles 11 à 14 de la section 2
«Soumission obligatoire à la procédure de conciliation
conformément à la section 3 de la partie XV» de l'annexe V
intitulée «Conciliation» de la CMB.
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concerné»396 tant que le
différend n'est pas réglé397
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Aux côtés de ce recours juridictionnel, la CMB
octroie aux chercheurs deux atténuations au principe du consentement
explicite de l'Etat côtier en tant que seconde garantie.
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