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Chefferies traditionnelles et décentralisation au Cameroun


par Luc René BELL BELL
Université de Yaoundé II - Soa - Master en droit public 2020
  

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A. La participation citoyenne locale

La participation citoyenne locale fait référence à « un processus d'engagement obligatoire ou volontaire de personnes ordinaires, agissant seules ou au sein d'une organisation, en vue d'influer sur une décision portant sur des choix significatifs qui toucheront leur communauté297». Cette participation peut avoir lieu dans un cadre formel ou non sous l'égide des décideurs locaux ou de la société civile298. Elle apparaît comme l'un sinon le pilier de la gouvernance locale car c'est au travers d'elle qu'on ressent l'adhésion des populations à l'action de leurs élus locaux. Elle suppose alors une implication « plus directe et effective des populations locales à la gestion de leurs affaires, toute chose qui chose qui est susceptible de diminuer les conflits entre les exécutifs locaux et les populations qu'ils sont amenés à diriger299».

295 MOUANGUE KOBILA James, La Protection des minorités et des peuples autochtones au Cameroun : Entre reconnaissance interne contrastée et consécration universelle réaffirmée, Editions Dianoïa, 2009, p.56. Voir aussi MOUICHE Ibrahim, « Chefferies traditionnelles, autochtonie et construction d'une sphère publique locale au Cameroun », L'anthropologue africain, Vol. 15, Nos. 1&2, 2008, p.80.

296 MOUICHE Ibrahim, Démocratisation et intégration sociopolitique des minorités ethniques au Cameroun : Entre dogmatisme du principe majoritaire et centralité des partis politiques, CODESRIA, 2012, p.22.

297 ANDRÉ Pierre, « Participation citoyenne », COTÉ Louis et SAVARD Jean-François (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, 2012, p.4.

298 Ibid.

299 HOND Jean Tobie, « La prévention et la résolution des conflits dans un système décentralisé : l'expérience du Cameroun », Séminaire sur la Gouvernance de la décentralisation, Centre Africain de Formation et de Recherche Administratives pour le Développement - Fondation Hanns SEIDEL - Fondation pour le Renforcement des Capacités en Afrique, Tanger, 2014, p.5.

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La participation citoyenne locale des autorités traditionnelles peut se faire d'une part par divers modes de participation (1) et d'autre part au niveau des instances de participation (2).

1. Les modes de participation

Les modes de participation citoyenne locale des autorités traditionnelles sont divers. On peut citer les concertations, les consultations, les propositions, les contributions au sein de certaines instances et la participation à l'élaboration des politiques et documents de la collectivité entre autres.

Concernant premièrement les concertations, elles consistent à s'entendre pour agir ensemble300. Il est question pour les autorités traditionnelles d'agir de concert avec les autorités municipales, communautaires et régionales pour avoir des actions ayant un grand retentissement au sein des communautés bénéficiaires. Ces actions concertées ont le mérite d'impliquer les principaux bénéficiaires dans une action de la collectivité les concernant directement.

Concernant deuxièmement les consultations, il s'agit de récolter les avis des autorités traditionnelles, du fait de leur proximité avec les populations, sur une question ou sujet donné. Ces consultations sont menées dans le but de faire murir une décision afin que celle-ci puisse avoir l'assentiment de ses destinataires301. Ces consultations sont faites dans un cadre assez particulier car dans notre pays, il n'existe pas de referendum local ce qui rend difficile la consultation et la conséquence immédiate est que le résultat de cette consultation ne reflète pas toujours la réalité. Malgré cela, les autorités locales et traditionnelles doivent mettre en place des mécanismes cohérents de consultation.

Concernant troisièmement les propositions, il est, pour les chefferies traditionnelles, question de soumettre aux élus locaux des propositions tendant à améliorer la vie de la collectivité tant le plan du développement local que sur celui de la démocratie et de la bonne gouvernance à l'échelle locale. La Loi N° 2019/024 du 24 décembre 2019 mentionnée plus haut a prévu des mécanismes de participation citoyenne à l'action des CTD302. L'avantage des autorités traditionnelles est qu'elles sont en contact permanent avec les populations, et par conséquent maîtrisent au mieux les réalités et difficultés auxquelles elles font face. Il n'est donc pas surprenant que les chefferies traditionnelles formulent à l'endroit des autorités

300 Dictionnaire le Petit Robert, op. cit., p.497.

301 A titre d'exemple, le CGCTD prévoit en son article 416 alinéa 2 que le projet de budget est élaboré en se référant aux résultats des consultations des citoyens.

302 Art 40 CGCTD.

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locales des propositions visant à booster le développement local et par ricochet répondre aux aspirations des populations. Ces propositions, pour sortir, tendent à « conduire une stratégie plus efficace et plus efficiente du développement local avec une meilleure participation des populations impliquées dans la quête de leur bien-être économique, social et culturel303».

Concernant quatrièmement les contributions au sein de certaines instances, il s'agit d'une participation active des autorités traditionnelles au sein d'instances tant nationales que locales. A cet effet, les chefs traditionnels participent directement avec les autorités locales aux réflexions et prises de décisions touchant à la vie de la collectivité. A la différence de la concertation, il s'agit d'un cadre formel de discussions.

Concernant enfin la participation à l'élaboration des politiques et documents de la collectivité, il est question d'associer les collectivités traditionnelles dans l'élaboration des politiques et documents devant guider l'action de la collectivité locale. Ce mode de participation permet l'adhésion des autorités traditionnelles à la direction que la collectivité locale souhaite prendre. Il peut en être ainsi de la préparation du budget communal, de l'élaboration des plans de développement de la collectivité.

Les modes de participation se font au sein d'instances spécifiques.

2. Les instances de participation

Les instances de participation citoyenne des citoyens sont au nombre de deux à savoir les instances nationales d'une part et les instances locales d'autre part.

D'une part, les instances locales de participation citoyenne permettent aux populations et aux autorités traditionnelles de donner directement leur avis sur les questions d'importance locale. Le code général des CTD nous renseigne sur trois d'entre-elles, il s'agit des comités de quartiers et de villages, des instances de participation au sein de la collectivité et du public independent conciliator dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. S'agissant d'abord, des comités de quartiers et de villages, le CGCTD304 y fait référence en indiquant qu'ils « concourent à la réalisation des objectifs des collectivités territoriales305» et qu'ils peuvent être créés par des conseils municipaux306. En attendant que l'arrêté de renvoi fixant les

303Discours du Premier Ministre Chef du Gouvernement à l'ouverture de la 2ème session du Conseil National de la Décentralisation du 5 août 2009, cité par HOND Jean Tobie, « Etats des lieux de la décentralisation territoriale au Cameroun », in ONDOA Magloire, (dir.), L'administration publique camerounaise à l'heure des réformes, L'Harmattan, 2010, p. 104.

304 Art 41 et 182 CGCTD.

305 Art 41 CGCTD.

306 Art 182 (1) CGCTD.

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modalités d'organisation et de déploiement de ces comités, l'on verrait mal des personnes autres que celles issues de la coupole des chefferies traditionnelles gérer lesdits comités. L'on retient alors que ces comités sont des « cadres de concertation qui visent à favoriser la participation des populations à l'élaboration, à l'exécution et au suivi des programmes et projets communaux ou à la surveillance, la gestion ou la maintenance des ouvrages et équipements concernés307». S'agissant ensuite des instances participation au sein des collectivités, il s'agit des instances légales des collectivités ou de celles mises sur pied par ces dernières. Il peut s'agir du Conseil municipal, du conseil de communauté, du conseil régional ou de l'Assemblée régionale. A ce niveau, les autorités traditionnelles, membres ou non, de ces assemblées peuvent faire entendre leur voix, ce qui a le mérite de créer des échanges et par ricochet de toucher la gouvernance locale. S'agissant enfin du public independent conciliator, il s'agit d'une autorité indépendante érigée dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest chargée de veiller au bon fonctionnement de l'administration locale dans ces régions et de régler les litiges émanant de cette administration dans les conditions fixées par la loi308. A cet effet, il recueille « les réclamations concernant le fonctionnement des administrations (...) des collectivités territoriales décentralisées (...) dans leurs relations avec les administrés309». Son action permet de montrer le niveau de gouvernance d'une région. Sa saisine étant ouverte à tout citoyen, et à plus forte raison aux autorités traditionnelles, ces dernières peuvent le saisir aux fins qu'il constate des irrégularités dans la gestion des services publics et demander réparation ou cessation du préjudice.

D'autre part, les instances nationales de participation, l'on note des instances permanentes et des instances ponctuelles. Concernant les instances permanentes, il s'agit des instances ayant en charge de la mise en oeuvre de la décentralisation. A titre d'exemple, nous avons le Conseil National de la Décentralisation présidé par le Président Ministre, le Comité Interministériel des Services Locaux présidé par le ministre en charge de la décentralisation. Il faut reconnaître que les autorités traditionnelles ne sont pas membres statutaires de ces organes. Toutefois, elles peuvent être conviées aux travaux de ces instances en fonction de leurs compétences en rapport avec l'ordre du jour310. Elles pourront alors s'exprimer de

307 Art 182 (2) CGCTD.

308 Sur les attributions du public independent conciliator, voir l'art 367 (3) CGCTD.

309 MOMO Bernard, « Renforcer la stratégie d'organisation des structures et de gestion de l'Etat du Cameroun », op. cit., pp. 60-61.

310 Cf. l'article 3 (2) du Décret N° 2008/013 du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de la Décentralisation et l'article 3 (4) du Décret N° 2008/014 du 17 janvier 2008 Portant Organisation et fonctionnement du Comité Interministériel des Services Locaux.

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manière objective sur la mise en oeuvre de la décentralisation non pas sur le plan purement local mais sur le plan national. Concernant les instances nationales ponctuelles, elles touchent aux instances mis en oeuvre par l'Etat central pour résoudre une situation particulière qui touche la vie de la Nation toute entière. Notre pays a depuis des décennies organisé quelques-unes. La dernière en date est le Grand Dialogue National tenu au Palais des Congrès de Yaoundé du 30 septembre au 4 octobre 2019. De ce qu'il ressort, les autorités traditionnelles ont pris une part active à ces travaux. Pour exemple, sur les six cents personnes conviées à ce dialogue, nous avions une centaine de chefs traditionnels. Lors de la séance plénière, sept sur les treize orateurs étaient des autorités traditionnelles. Lors des travaux en commission, les chefs traditionnels ont valablement été actifs au sein des huit commissions mises sur pied pour la circonstance. La commission décentralisation et développement local a reçu la participation des autorités traditionnelles. Il sied de relever que la majeure partie des propositions311 faites par cette commission a eu un écho favorable par le législateur au travers de la Loi N° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées.

Après la participation citoyenne locale des autorités traditionnelles, il est loisible de questionner leur apport à la bonne gouvernance locale en matière d'efficacité et d'efficience.

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