A. La participation citoyenne locale
La participation citoyenne locale fait référence
à « un processus d'engagement obligatoire ou volontaire de
personnes ordinaires, agissant seules ou au sein d'une organisation, en vue
d'influer sur une décision portant sur des choix significatifs qui
toucheront leur communauté297». Cette participation
peut avoir lieu dans un cadre formel ou non sous l'égide des
décideurs locaux ou de la société civile298.
Elle apparaît comme l'un sinon le pilier de la gouvernance locale car
c'est au travers d'elle qu'on ressent l'adhésion des populations
à l'action de leurs élus locaux. Elle suppose alors une
implication « plus directe et effective des populations locales
à la gestion de leurs affaires, toute chose qui chose qui est
susceptible de diminuer les conflits entre les exécutifs locaux et les
populations qu'ils sont amenés à
diriger299».
295 MOUANGUE KOBILA James, La Protection des
minorités et des peuples autochtones au Cameroun : Entre reconnaissance
interne contrastée et consécration universelle
réaffirmée, Editions Dianoïa, 2009, p.56. Voir aussi
MOUICHE Ibrahim, « Chefferies traditionnelles, autochtonie et construction
d'une sphère publique locale au Cameroun », L'anthropologue
africain, Vol. 15, Nos. 1&2, 2008, p.80.
296 MOUICHE Ibrahim, Démocratisation et
intégration sociopolitique des minorités ethniques au Cameroun :
Entre dogmatisme du principe majoritaire et centralité des partis
politiques, CODESRIA, 2012, p.22.
297 ANDRÉ Pierre, « Participation citoyenne
», COTÉ Louis et SAVARD Jean-François (dir.),
Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique,
2012, p.4.
298 Ibid.
299 HOND Jean Tobie, « La prévention et la
résolution des conflits dans un système
décentralisé : l'expérience du Cameroun »,
Séminaire sur la Gouvernance de la décentralisation,
Centre Africain de Formation et de Recherche Administratives pour le
Développement - Fondation Hanns SEIDEL - Fondation pour le Renforcement
des Capacités en Afrique, Tanger, 2014, p.5.
Rédigé et présenté par
BELL BELL Luc René Page 111
Chefferies traditionnelles et décentralisation au
Cameroun
La participation citoyenne locale des autorités
traditionnelles peut se faire d'une part par divers modes de participation
(1) et d'autre part au niveau des instances de participation
(2).
1. Les modes de participation
Les modes de participation citoyenne locale des
autorités traditionnelles sont divers. On peut citer les concertations,
les consultations, les propositions, les contributions au sein de certaines
instances et la participation à l'élaboration des politiques et
documents de la collectivité entre autres.
Concernant premièrement les concertations, elles
consistent à s'entendre pour agir ensemble300. Il est
question pour les autorités traditionnelles d'agir de concert avec les
autorités municipales, communautaires et régionales pour avoir
des actions ayant un grand retentissement au sein des communautés
bénéficiaires. Ces actions concertées ont le mérite
d'impliquer les principaux bénéficiaires dans une action de la
collectivité les concernant directement.
Concernant deuxièmement les consultations, il s'agit de
récolter les avis des autorités traditionnelles, du fait de leur
proximité avec les populations, sur une question ou sujet donné.
Ces consultations sont menées dans le but de faire murir une
décision afin que celle-ci puisse avoir l'assentiment de ses
destinataires301. Ces consultations sont faites dans un cadre assez
particulier car dans notre pays, il n'existe pas de referendum local ce qui
rend difficile la consultation et la conséquence immédiate est
que le résultat de cette consultation ne reflète pas toujours la
réalité. Malgré cela, les autorités locales et
traditionnelles doivent mettre en place des mécanismes cohérents
de consultation.
Concernant troisièmement les propositions, il est, pour
les chefferies traditionnelles, question de soumettre aux élus locaux
des propositions tendant à améliorer la vie de la
collectivité tant le plan du développement local que sur celui de
la démocratie et de la bonne gouvernance à l'échelle
locale. La Loi N° 2019/024 du 24 décembre 2019 mentionnée
plus haut a prévu des mécanismes de participation citoyenne
à l'action des CTD302. L'avantage des autorités
traditionnelles est qu'elles sont en contact permanent avec les populations, et
par conséquent maîtrisent au mieux les réalités et
difficultés auxquelles elles font face. Il n'est donc pas surprenant que
les chefferies traditionnelles formulent à l'endroit des
autorités
300 Dictionnaire le Petit Robert, op. cit., p.497.
301 A titre d'exemple, le CGCTD prévoit en son article
416 alinéa 2 que le projet de budget est élaboré en se
référant aux résultats des consultations des citoyens.
302 Art 40 CGCTD.
Rédigé et présenté par
BELL BELL Luc René Page 112
Chefferies traditionnelles et décentralisation au
Cameroun
locales des propositions visant à booster le
développement local et par ricochet répondre aux aspirations des
populations. Ces propositions, pour sortir, tendent à «
conduire une stratégie plus efficace et plus efficiente du
développement local avec une meilleure participation des populations
impliquées dans la quête de leur bien-être
économique, social et culturel303».
Concernant quatrièmement les contributions au sein de
certaines instances, il s'agit d'une participation active des autorités
traditionnelles au sein d'instances tant nationales que locales. A cet effet,
les chefs traditionnels participent directement avec les autorités
locales aux réflexions et prises de décisions touchant à
la vie de la collectivité. A la différence de la concertation, il
s'agit d'un cadre formel de discussions.
Concernant enfin la participation à
l'élaboration des politiques et documents de la collectivité, il
est question d'associer les collectivités traditionnelles dans
l'élaboration des politiques et documents devant guider l'action de la
collectivité locale. Ce mode de participation permet l'adhésion
des autorités traditionnelles à la direction que la
collectivité locale souhaite prendre. Il peut en être ainsi de la
préparation du budget communal, de l'élaboration des plans de
développement de la collectivité.
Les modes de participation se font au sein d'instances
spécifiques.
2. Les instances de participation
Les instances de participation citoyenne des citoyens sont au
nombre de deux à savoir les instances nationales d'une part et les
instances locales d'autre part.
D'une part, les instances locales de participation citoyenne
permettent aux populations et aux autorités traditionnelles de donner
directement leur avis sur les questions d'importance locale. Le code
général des CTD nous renseigne sur trois d'entre-elles, il s'agit
des comités de quartiers et de villages, des instances de participation
au sein de la collectivité et du public independent conciliator
dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. S'agissant d'abord, des
comités de quartiers et de villages, le CGCTD304 y fait
référence en indiquant qu'ils « concourent à la
réalisation des objectifs des collectivités
territoriales305» et qu'ils peuvent être
créés par des conseils municipaux306. En attendant que
l'arrêté de renvoi fixant les
303Discours du Premier Ministre Chef du
Gouvernement à l'ouverture de la 2ème session du
Conseil National de la Décentralisation du 5 août 2009,
cité par HOND Jean Tobie, « Etats des lieux de la
décentralisation territoriale au Cameroun », in ONDOA Magloire,
(dir.), L'administration publique camerounaise à l'heure
des réformes, L'Harmattan, 2010, p. 104.
304 Art 41 et 182 CGCTD.
305 Art 41 CGCTD.
306 Art 182 (1) CGCTD.
Rédigé et présenté par
BELL BELL Luc René Page 113
Chefferies traditionnelles et décentralisation au
Cameroun
modalités d'organisation et de déploiement de
ces comités, l'on verrait mal des personnes autres que celles issues de
la coupole des chefferies traditionnelles gérer lesdits comités.
L'on retient alors que ces comités sont des « cadres de
concertation qui visent à favoriser la participation des populations
à l'élaboration, à l'exécution et au suivi des
programmes et projets communaux ou à la surveillance, la gestion ou la
maintenance des ouvrages et équipements
concernés307». S'agissant ensuite des instances
participation au sein des collectivités, il s'agit des instances
légales des collectivités ou de celles mises sur pied par ces
dernières. Il peut s'agir du Conseil municipal, du conseil de
communauté, du conseil régional ou de l'Assemblée
régionale. A ce niveau, les autorités traditionnelles, membres ou
non, de ces assemblées peuvent faire entendre leur voix, ce qui a le
mérite de créer des échanges et par ricochet de toucher la
gouvernance locale. S'agissant enfin du public independent
conciliator, il s'agit d'une autorité indépendante
érigée dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest
chargée de veiller au bon fonctionnement de l'administration locale dans
ces régions et de régler les litiges émanant de cette
administration dans les conditions fixées par la loi308. A
cet effet, il recueille « les réclamations concernant le
fonctionnement des administrations (...) des collectivités
territoriales décentralisées (...) dans leurs relations avec les
administrés309». Son action permet de montrer le
niveau de gouvernance d'une région. Sa saisine étant ouverte
à tout citoyen, et à plus forte raison aux autorités
traditionnelles, ces dernières peuvent le saisir aux fins qu'il constate
des irrégularités dans la gestion des services publics et
demander réparation ou cessation du préjudice.
D'autre part, les instances nationales de participation, l'on
note des instances permanentes et des instances ponctuelles. Concernant les
instances permanentes, il s'agit des instances ayant en charge de la mise en
oeuvre de la décentralisation. A titre d'exemple, nous avons le Conseil
National de la Décentralisation présidé par le
Président Ministre, le Comité Interministériel des
Services Locaux présidé par le ministre en charge de la
décentralisation. Il faut reconnaître que les autorités
traditionnelles ne sont pas membres statutaires de ces organes. Toutefois,
elles peuvent être conviées aux travaux de ces instances en
fonction de leurs compétences en rapport avec l'ordre du
jour310. Elles pourront alors s'exprimer de
307 Art 182 (2) CGCTD.
308 Sur les attributions du public independent
conciliator, voir l'art 367 (3) CGCTD.
309 MOMO Bernard, « Renforcer la stratégie
d'organisation des structures et de gestion de l'Etat du Cameroun »,
op. cit., pp. 60-61.
310 Cf. l'article 3 (2) du Décret N° 2008/013 du
17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de
la Décentralisation et l'article 3 (4) du Décret N° 2008/014
du 17 janvier 2008 Portant Organisation et fonctionnement du Comité
Interministériel des Services Locaux.
Rédigé et présenté par
BELL BELL Luc René Page 114
Chefferies traditionnelles et décentralisation au
Cameroun
manière objective sur la mise en oeuvre de la
décentralisation non pas sur le plan purement local mais sur le plan
national. Concernant les instances nationales ponctuelles, elles touchent aux
instances mis en oeuvre par l'Etat central pour résoudre une situation
particulière qui touche la vie de la Nation toute entière. Notre
pays a depuis des décennies organisé quelques-unes. La
dernière en date est le Grand Dialogue National tenu au Palais des
Congrès de Yaoundé du 30 septembre au 4 octobre 2019. De ce qu'il
ressort, les autorités traditionnelles ont pris une part active à
ces travaux. Pour exemple, sur les six cents personnes conviées à
ce dialogue, nous avions une centaine de chefs traditionnels. Lors de la
séance plénière, sept sur les treize orateurs
étaient des autorités traditionnelles. Lors des travaux en
commission, les chefs traditionnels ont valablement été actifs au
sein des huit commissions mises sur pied pour la circonstance. La commission
décentralisation et développement local a reçu la
participation des autorités traditionnelles. Il sied de relever que la
majeure partie des propositions311 faites par cette commission a eu
un écho favorable par le législateur au travers de la Loi N°
2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des
Collectivités Territoriales Décentralisées.
Après la participation citoyenne locale des
autorités traditionnelles, il est loisible de questionner leur apport
à la bonne gouvernance locale en matière d'efficacité et
d'efficience.
|