A. LE CONTEXTE DE L'ETUDE
Contextualiser c'est « replacer dans son
contexte6». Le contexte quant à lui est l'ensemble
des circonstances dans lesquelles s'insère un fait7, un
évènement8. Remettre un
1 Voir en ce sens les articles 19, 20 et 21 du
Décret N° 77/245 du 15 juillet 1977 portant Organisation des
chefferies traditionnelles sur les attributions du Chef traditionnel.
2 BELL Luc René, Exposé sur le
thème : « La chefferie traditionnelle dans la mouvance de la
décentralisation », Travaux du Comité de pilotage et de
suivi de l'étude sur l'organisation déconcentrée de
l'Etat, Yaoundé, 18 décembre 2007.
3 La chefferie de troisième degré en
l'occurrence car elle représente un quartier ou un village. Voir article
3 du Décret N°77/245 du 15 juillet 1977 suscité.
4 La décentralisation est au regard de
l'évolution politique et juridique du Cameroun depuis 1960 la
réforme majeure de l'Etat. Lire à ce propos ABOUEM à
TCHOYI David et M'BAFOU Stéphane Claude (dir.), 50 ans de
réforme de l'Etat au Cameroun : stratégies, bilans et
perspectives, Yaoundé, L'Harmattan Cameroun, 2013.
5 NACH MBACK Charles, « La chefferie
traditionnelle au Cameroun : ambigüités juridiques et
dérives politiques », Africa Development, Vol. XXV,
N°3 et 4, 2000.
6 Dictionnaire Le Petit Robert, 2011, p.525.
7 Ibid.
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Chefferies traditionnelles et décentralisation au
Cameroun
évènement, un fait, ou même un
phénomène dans son contexte revient à relater celui-ci
dans la conjoncture qui fut sienne sur des aspects divers (historique,
juridique, social, politique...)9. « Chefferies
traditionnelles et décentralisation au Cameroun » aborde des
contextes variés que nous ne pouvons présenter de manière
exhaustive. Cependant, nous nous limiterons à évoquer tour
à tour les contextes historique (1) et juridique
(2).
1. LE CONTEXTE HISTORIQUE
« Il faut comprendre ce que l'on a été
pour savoir ce que l'on doit devenir10». Cette
citation de Bernard NKUISSI permet de nous plonger dans l'histoire de la
chefferie traditionnelle ainsi que dans celle de la décentralisation.
Concernant d'une part la chefferie traditionnelle au Cameroun,
il faut dire qu'elle a toujours existé11. Seulement le
vocable chefferie traditionnelle n'est arrivé qu'avec les occidentaux.
En effet, les garants de la tradition ont des dénominations
différentes suivant le lieu où on se trouve. A titre d'exemple,
on peut citer le Sultan chez les Bamoun et certains peuples du Grand
Nord, le Fo et le Fon chez les peuples des Grass
Fields, le Nkunkuma chez les Fang-Béti, le
Mbombog chez les Bassa, le lamido dans le Grand
Nord... Pour M. MOUGNOL Stéphane, « L'institution cheffale
telle qu'elle est retrouvée en Afrique contemporaine est la
résultante de nombreuses mutations qui n'ont pas été sans
impact sur son originalité. En effet, les sociétés
traditionnelles ont préexisté à l'État
postcolonial12». Ces détenteurs du pouvoir
traditionnel n'étaient pas toujours d'accord pour certains et hostiles
pour d'autres avec les idéaux du colon. Ce dernier pour asseoir son
autorité va créer des chefferies traditionnelles dans le but
d'« en faire un instrument à son service puisque son action [de
la chefferie traditionnelle] ne dépendait plus de la
coutume13». C'est ainsi que certains garants de la
tradition ont été mis à l'écart lors de la
création des chefferies
8 Kitoña NGO YAP LIBOCK, La fonction
d'ordonnateur au Cameroun, Mémoire de Master en Droit Public option
Droit Public Interne, Université de Yaoundé II, 2014, p.3.
9 Ibid.
10 NKUISSI Bernard, Nkongsamba. Les
années obscures de la fondation de 1898 à 1923,
Mémoire pour le DES d'Histoire, Lille, 1967, cité par GUIFFO
Jean-Philippe, Le statut international du Cameroun 1921-1961, Editions
de l'Essoah, 2007, p.9.
11 KAMGA Léon, Dos kirdi ventre bantou :
les sources de l'exception culturelle Bamiléké et Tikar,
Afrédit, 2015, p.103.
12 MOUGNOL Stéphane, Recherches sur le
droit constitutionnel local dans les Etats d'Afrique noire francophone,
Thèse de Doctorat en Droit Public, Université de Yaoundé
II, 2019, p.82.
13 NGUEMEGNE Jacques Philibert, Du
dépérissement de l'organisation socio-politique de la chefferie
traditionnelle Bayangam, Yaoundé, Mémoire Maîtrise,
1990 cité par Jean-Philippe GUIFFO, Le statut international du
Cameroun 1921-1961, op. cit. p.137.
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Chefferies traditionnelles et décentralisation au
Cameroun
traditionnelles tels le Mbombog chez les Bassa
« qui n'a pas offert sa
coopération14» à l'administration coloniale.
Pour NACH MBACK Charles, « ce que l'on appelle aujourd'hui chefferie
traditionnelle est une survivance des formes multiples d'organisations
sociopolitiques qu'a connues l'Afrique avant la colonisation. Cette
dernière a inventé les expressions de chefferie traditionnelle et
de chef traditionnel dans un effort d'uniformiser une réalité
dont la complexité lui échappait15».
Concernant d'autre part la décentralisation, elle
apparaît en 1827. Il faut préciser que le sens que ce mot avait au
XIXème siècle n'est pas le même qu'il a
actuellement. En effet, « la décentralisation était
conçue comme le contraire de l'action de centraliser,
c'est-à-dire, qu'elle consistait à enlever une partie de ses
attributions au pouvoir central qui était le centre des décisions
à la fois politiques et administratives. [...] Mais ce
transfert d'attributions, baptisé à cette époque
décentralisation n'était en réalité que de la
déconcentration du sens donné de nos jours à ce
terme16». Elle migrera progressivement pour se
détacher complètement de la déconcentration. Elle aura
donc pour but de pallier aux insuffisances de la déconcentration. Dans
ce sens, les décisions ne sont plus prises « au nom et pour le
compte de l'Etat, comme dans le cas de la centralisation ou de la
déconcentration, mais au nom et pour le compte d'une collectivité
locale, par un organe qui émane d'elle17». De ce
fait « la décentralisation est, dans le monde, un fait marquant
de la gouvernance publique en cette moitié du 20è siècle.
Si dans les pays en voie de développement, et plus
précisément les pays africains au Sud du Sahara, ce concept
n'occupe une place prépondérante dans le discours politique que
depuis quelques années, il a été mis en exergue, dans les
pays développés, depuis plusieurs
décennies18». Toutefois, il convient de relever que
la décentralisation, en Afrique en général et au Cameroun
en particulier, bénéficie de la part des pouvoirs publics, depuis
quelques décennies, d'une réelle prise en compte au-delà
des discours politiques et de sa consécration textuelle.
14 BELL Luc René, « Améliorer
l'efficacité de l'Etat à travers l'évolution de la
Chefferie traditionnelle », in ABOUEM à TCHOYI David et M'BAFOU
Stéphane Claude (dir.), Améliorer
l'efficacité de l'Etat au Cameroun : Propositions pour l'action,
L'Harmattan, 2019, p.540.
15 NACH MBACK Charles, « La chefferie
traditionnelle au Cameroun : ambigüités juridiques et
dérives politiques », op. cit., p. 79.
16 BODINEAU Pierre et VERPEAUX Michel, Histoire de
la décentralisation, Paris, PUF, 2e éd, 1997,
p.3.
17 EKO'O AKOUAFANE Jean Claude, La
décentralisation administrative au Cameroun, L'Harmattan, 2009,
p.91.
18 BIWOLE Gilbert, « Préface », in
FINKEN Martin, Communes et gestion municipale au Cameroun : institution
municipale, finances et budget, gestion locale, interventions municipales,
Impression Groupe St François, 1996, p.5.
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Chefferies traditionnelles et décentralisation au
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2. LE CONTEXTE JURIDIQUE
Le contexte juridique de la chefferie traditionnelle et de la
décentralisation dans notre pays a été consacré
avec l'arrivée de l'homme blanc.
S'agissant d'une part de la chefferie traditionnelle, on
recense les premières actions des chefs avant l'arrivée du colon.
En effet, les chefs entretenaient déjà des relations commerciales
et d'amitié avec d'autres peuples. Remontant l'histoire, l'on se
souvient que les chefs Sawa, du fait de leur tension19, ont
écrit à trois reprises aux autorités
britanniques20, pour leur transmettre leur désir d'être
placés sous protectorat anglais. Face à cette «
déception21», ils vont se tourner vers les
allemands. Les chefs Douala signeront avec les commerçants allemands de
la firme WOERMANN le Traité Germano-Douala le 12 juillet 1884.
On peut dire au regard de ce qui précède que ce sont les chefs
traditionnels qui ont écrit la genèse de notre histoire
constitutionnelle et politique. Ce n'est qu'en 1909 que le Dr SEITZ Theodor,
gouverneur impérial allemand, au moyen d'une circulaire, accordera des
traitements de faveur à certains chefs de communautés. La
chefferie traditionnelle connaîtra sa véritable
consécration juridique par l'arrêté N° 244
signé le 4 février 1933, par le gouverneur français
Auguste François BONNECARRERE, fixant le statut des chefs coutumiers. Ce
texte restera en vigueur jusqu'au passage du Cameroun oriental à
l'indépendance et fera place à la loi N° 7/SC du 10
décembre 1960 sur la reconnaissance des chefferies du territoire
camerounais. Elle fut modifiée pour réceptionner le changement de
la forme de l'Etat intervenu en 1961. Il faudra encore attendre une seizaine
d'années pour voir l'arrivée d'un texte novateur en la
matière. Il s'agit en l'occurrence du décret N° 77/245 du 15
juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles modifié
et complété par le décret N° 2013/332 du 13 septembre
2013. A sa suite, l'on a eu deux lois notamment la loi N° 79/17 du 30 juin
1979 relative aux contestations soulevées à l'occasion de la
désignation des chefs traditionnels et la loi N° 80/31 du 27
novembre 1980 dessaisissant les juridictions des affaires relatives aux
contestations soulevées à l'occasion de la désignation des
chefs traditionnels. En 1996, avec l'avènement de la nouvelle
Constitution, la chefferie traditionnelle en ressortira
ragaillardie22.
19 Ces tensions découlaient des
rivalités et querelles internes des chefs Sawa. Cf. Sosthène
EFOUBA NGA, Cours d'Histoire des institutions et des faits sociaux,
Université de Yaoundé II, Inédit, 2013-2014.
20 Le Roi BELL écrit à la Reine
Victoria en 1864 puis le Roi AKWA et les sous-chefs à la Reine et au
Premier Ministre britannique en 1879.
21 EFOUBA NGA Sosthène, Cours d'Histoire des
institutions et des faits sociaux, Université de Yaoundé II,
Inédit, 2013-2014.
22 Voir Préambule et Article 1er
alinéa 2 de la Loi N° 96-06 du 18 janvier 1996 portant modification
de la Constitution du 02 Juin 1972.
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Chefferies traditionnelles et décentralisation au
Cameroun
S'agissant d'autre part de la décentralisation, il faut
dire que sa réception juridique au Cameroun a été faite
à deux vitesses compte tenu de sa double administration par la Grande
Bretagne et la France par le mandat de la Société Des Nations
(SDN) et la tutelle des Nations Unies. Avec la gouvernance britannique, c'est
en 1922 qu'une loi va créer les Native Courts qui sont des institutions
locales. En 1948, une loi nigériane23 va créer les
Native Authorities qui étaient des « structures
locales placées sous la direction d'autorités traditionnelles et
détenant le pouvoir de légiférer et d'établir les
impôts sous le contrôle des district officers, sorte de
préfets de l'époque24». Quant à la
gouvernance française, le processus de décentralisation ne
commence qu'en 1941 avec un décret du 23 avril portant création
des communes mixtes de Yaoundé et de Douala. On assiste alors à
« une décentralisation
légère25» du fait de la nomination du
conseil et de l'exécutif de la commune. Par la suite, interviendra le
décret du 19 novembre 1947 portant réorganisation du
régime municipal. Ce décret octroyait la possibilité au
Haut-Commissaire de créer de nouvelles communes et de modifier celles
existantes, la consécration de l'élection des organes de
certaines communes. Après cette avancée relative, il a fallu
attendre la promulgation de la loi du 18 novembre 1955 réorganisant
l'institution municipale. Ce texte fit la distinction entre les communes de
plein exercice et les communes de moyen exercice. Dès 1960, la
Constitution du 4 mars reconnut les collectivités locales en ses
articles 46 à 48. Celles-ci étaient dotées de la
personnalité morale et de l'autonomie financière et
s'administrant librement par des conseils élus. Cette situation ne dura
qu'un an avec l'entrée en vigueur de la loi N° 61/24 du
1er septembre 1961 portant révision de la Constitution du 4
mars 1960 qui consacra la fédération au Cameroun. Ce n'est qu'en
1972 que la décentralisation refit surface au Cameroun grâce
à la Constitution du 2 juin 1972 qui rétablit l'Etat unitaire
avec la confirmation de « l'idéal
décentralisateur26». Deux ans plus tard, le
législateur prit la loi N° 74/23 du 5 décembre 1974 portant
organisation communale modifiée et complétée par les lois
N° 87/015 du 15 juillet 1987 et N° 92/003 du 4 août 1992. Avec
l'avènement de la loi constitutionnelle de 1996, la
décentralisation prendra un autre virage au Cameroun. En effet, en
application de la Loi N° 96/06 du 18 janvier 1996 portant modification de
la Constitution du 02 Juin 1972, d'autres textes verront le jour. Il
23 Bien que sous mandat et tutelle britannique, le
Cameroun occidental était géré comme une province du
Nigéria.
24 HOND Jean Tobie, Cours de Droit de la
décentralisation, Université de Yaoundé II, Inédit,
2016-2017.
25 Ibid.
26 Ibid.
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s'agit des lois dites de décentralisation27,
de la loi N° 2009/010 du 10 juillet 2009 portant régime financier
des collectivités territoriales décentralisées, de la loi
N° 2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale, de
la loi N° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code
général des collectivités territoriales
décentralisées et d'autres textes législatifs et
réglementaires dont nous ferons l'économie dans les
développements qui vont suivre.
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