II. Les terrains d'exploration autour de la
polyvalence
A. La méthodologie d'exploration utilisée
Dans l'objectif d'établir des préconisations et
conseils, j'ai utilisé l'entretien semi-directif afin de mener mes
entretiens avec les différents professionnels. Une dizaine d'entretiens
a été réalisé. La sélection s'est faite sur
la base du volontariat. J'ai dans un premier temps, exposé les objectifs
poursuivis auprès des responsables de service. Ces derniers ont ensuite
fait passer le message auprès de leur équipe. Les entretiens ont
duré en moyenne une trentaine de minutes.
L'entretien semi-directif est une méthode d'étude
qualitative basée sur la réalisation d'entretiens individuels ou
collectifs durant lesquels je dicte uniquement les différents
thèmes devant être abordés sans pour autant pratiquer un
questionnement précis. Tout en étant centré sur le sujet
de la polyvalence, cette méthode d'entretien me garantit l'étude
de l'ensemble des
24
questions qui répondent à mon sujet. Les questions
posées durant les entretiens sont relativement ouvertes. Cependant, pour
ne pas perdre de vue l'objectif des préconisations et conseils, j'avais
établi en amont, une trame d'entretien15 pour recentrer le
sujet en cas de dérives et garder un fil conducteur.
Il existe différents types d'entretiens semi-directifs.
Ayant une population appartenant à différents niveaux
hiérarchiques, j'ai choisi de réaliser deux types d'entretiens en
fonction des professionnels interrogés.
y' Pour les professionnels cadres et les agents de
maîtrise, l'utilisation des entretiens à réponses libres
est à privilégier. Cette typologie me permet d'être libre
dans la manière de poser mes questions tout en ayant les
thématiques déjà prédéfinies. L'avantage est
la possibilité d'ajouter des questions au cours de l'entretien.
y' Pour les professionnels employés, il est
préférable d'utiliser un entretien semi-directif ciblé.
L'entretien est concentré sur l'expérience de la polyvalence
qu'ils ont pu avoir. La plupart des questions posées, autour de la
polyvalence, sont en lien avec une situation ou une expérience qu'ils
ont pu vivre. Il y a, tout de même, au sein de l'interview des questions
générales qui me permettent de mener l'entretien.
Pour aborder ce sujet, j'ai donc choisi d'interroger trois
catégories de professionnels. Ces professionnels exercent des
métiers différents au sein de secteurs variés. Ils sont
donc, confrontés, au cours de leur carrière professionnelle,
à différentes problématiques. Il m'a semblé
intéressant d'interroger des personnes qui ont, soit des métiers
qui requièrent une grande polyvalence ou, au contraire des
métiers où la spécialisation des activités et
tâches est requise. Au sein des métiers requérant de la
polyvalence, j'ai pu traiter différentes expériences de la
polyvalence. Des expériences tant positives que négatives.
Concernant les secteurs interrogés, j'ai privilégié, pour
les employés, les secteurs du transport et celui de l'entrepôt. Ce
sont ces deux principaux secteurs où la polyvalence est la plus
présente au quotidien. Pour les cadres et agents de maîtrise, je
souhaitais bénéficier d'un angle d'analyse plus large. J'ai donc
interrogé, des salariés appartenant à des unités de
travail bien différentes ; de l'unité de commerce à
l'unité de l'entrepôt. Ce choix est pour moi
bénéfique, puisqu'il me permettra de disposer d'un panel de
réponse large et varié.
Pour chacun de ces terrains, je me suis interrogée sur
comment le personnel percevait et vivait, individuellement, la polyvalence.
Grâce aux différentes expériences et carrières de
chacun, j'ai pu ainsi cibler les diverses perceptions et vécus du
personnel de Transgourmet à ce sujet. Ces perceptions et vécus
m'ont aidé à formuler les préconisations et conseils que
je souhaitais donner à la société.
15 Annexe 2 : Guide d'entretien
25
L'entretien semi-directif se base sur des objectifs de recherche.
Pour me permettre de garder un fil conducteur, je me suis basée sur
plusieurs objectifs en lien avec la question de recherche posée. Les
objectifs poursuivis sont les suivants :
y' Identifier les définitions de la polyvalence selon
les différents professionnels rencontrés
y' Identifier les avantages perçus d'un système de
polyvalence
y' Cibler les limites et/ou difficultés dans l'exercice
et/ou l'instauration d'un système de polyvalence au sein de
Transgourmet
y' Identifier avec les professionnels les moyens et
méthodes qu'ils souhaiteraient pour mettre en oeuvre et promouvoir au
mieux la polyvalence au sein des services du transport et de
l'entrepôt
y' Identifier les méthodes à mettre en oeuvre pour
faire face à certaines résistances y' Cibler l'impact de cette
notion sur les pratiques professionnelles
y' Le succès d'instauration d'un système de
promotion de la polyvalence incitera-t-il les
autres services à mettre en place cette mobilité
?
Au sein de ce chapitre, je vais détailler, en premier
lieu, le guide d'entretien que j'ai utilisé afin de procéder
à mes entretiens semi-directifs. Il est important de préciser que
l'ensemble du contenu des entretiens est soumis à l'anonymat. Aucun nom
des différents professionnels interrogés ne sera
mentionné. Pour permettre de faciliter la retranscription écrite
des
entretiens, j'ai demandé à certaines personnes s'il
était possible d'enregistrer avec un dictaphone. La retranscription
audio n'est qu'une technique. Elle consiste à retranscrire par
écrit ce qui est enregistré oralement sur un support audio. Cette
technique respecte au mieux la fidélité des propos tenus.
Pour commencer l'entretien, j'ai eu besoin de certaines
données professionnelles relatives à leurs secteurs et au
métier qu'ils exerçaient. Ce questionnement était
destiné à me permettre de comprendre dans quel contexte ils
exercent leur profession. Les questions posées sont les suivantes :
- Au sein de quel secteur ou unité travaillez-vous chez
Transgourmet ? - Quel métier exercez-vous ?
- Depuis combien de temps travaillez-vous chez Transgourmet ?
Par la suite, afin d'amener le sujet et obtenir des informations
précises sur ce thème, il faut dans un premier temps le situer.
Pour débuter l'entretien, j'ai commencé à poser des
questions générales sur le sujet. Ces questions sont :
- Quel est, selon vous, la définition de la polyvalence ?
- Quelles perceptions avez-vous de la polyvalence ?
26
- De quelle manière s'illustre la polyvalence dans
l'exercice de votre métier ?
Ensuite, les questions posées, au cours de l'entretien
sont moins générales. Elles sont centrées plus sur la
personne, sur sa perception et sur l'expérience vécue. Les
questions sont les suivantes :
- Quels bénéfices professionnels et personnels
gagnez-vous avec la mise en place de la
polyvalence ?
- Quel est selon vous, la polyvalence souhaitée ?
- Y'a t-il des compétences spécifiques à
mobiliser pour l'exercice de la polyvalence ?
- Sous quelles formes de polyvalence l'avez-vous vécu ?
- Avez-vous déjà rencontré des freins dans
l'exercice de la polyvalence ?
- Par quel moyen ou sous quelle forme passe, selon-vous, la
reconnaissance de ce
système ?
C'est à la fin de la réalisation de ces entretiens
que j'ai effectué une analyse de l'ensemble des contenus. C'est
grâce à cette étape, que je vais pouvoir comparer des
visions différentes selon les secteurs sur le système de
polyvalence tout en analysant leurs revendications ou souhaits sur ce sujet.
Cette étape va me permettre de donner du sens aux données
recueillies. L'analyse des contenus obtenus consiste à retranscrire les
données qualitatives que le personnel m'a indiqué, à me
permettre de réaliser une grille d'analyse, à coder les
informations recueillies et enfin à les traiter.
Je vais utiliser la méthode de l'analyse du contenu. Cette
méthode consiste à rendre compte de ce qu'ont dit les personnes
que j'ai pu interviewer de la façon la plus objective possible et la
plus fiable possible. Au sein de cette analyse de contenu, deux types
d'analyses existent :
- L'analyse formelle : cette analyse est une analyse
sémantique qui me permettra de cibler précisément les
termes utilisés par les employés pour évoquer leurs
expériences ou souhaits sur le thème de la polyvalence.
- L'analyse thématique : cette analyse va me permettre,
notamment lors de l'interview des cadres et agents de maîtrise, de
déceler les concepts que les professionnels ont pu énoncer sur ce
thème.
Cette analyse aura pour finalité la confrontation des
données récoltées et analysées avec des concepts
énoncés dans le cadre théorique.
Lors de la réalisation de l'enquête, j'ai pu faire
face à certains obstacles. Une des principales limites réside
dans le fait que certains professionnels n'avaient pas assez de temps à
me consacrer pour l'interview. La planification des rendez-vous a donc
été compliquée. Face à cela, j'ai rencontré
une difficulté dans la voie hiérarchique afin de faire passer mes
messages.
Enfin il était important de bien faire transmettre mon
sujet et sa finalité. En effet, je ne devais en aucun cas, me
présenter auprès des collaborateurs, comme quelqu'un pouvant
apporter des
27
solutions mais bien comme une étudiante cherchant des
conseils et préconisations à transmettre à la
hiérarchie à la suite des constatations faites. Certains secteurs
se sont plus prêtés au jeu des interviews sur le thème de
la polyvalence que d'autres, mais cela m'a permis d'enrichir réellement
les données recueillies.
28
B. Promotion, exercice et reconnaissance : les
hypothèses retenues
Afin de pouvoir conduire à l'exécution des phases
pratiques de l'étude avec toutes les indications opératoires
nécessaires, je me suis attachée à élaborer des
hypothèses.
Le concept de polyvalence traduit la maîtrise de plusieurs
techniques ou compétences, l'amenant à pouvoir occuper des postes
différents. Selon les définitions citées dans la
première partie, il va s'agir pour un/une professionnel(le) d'avoir la
capacité à occuper plusieurs postes. Ce mode d'exercice de
profession va amener à bouleverser les habitudes de travail. En ce sens,
les auteurs s'accordent sur le fait que le concept de polyvalence ne va pas
sans celui de l'accompagnement du collaborateur. En effet, la polyvalence va
entraîner une incessante vague de changement dans l'organisation de
travail de l'individu. Le manque d'explications sur la mise en oeuvre de ce
thème le rend difficile à aborder. Selon l'auteur Alain
LABRUFFE16, l'accompagnement des collaborateurs au coeur du
processus de mise en place de la polyvalence, permet de maîtriser les
turbulences de changement. En ce sens, l'hypothèse retenue est ;
« Une polyvalence managée, maîtrisée, et
intégrée dans le management du chef d'équipe ne va pas
susciter d'opposition »
La mise en place et l'exercice de la polyvalence amène le
sujet de la compétence. La compétence est, dans un sens, une
question de capacité. Une capacité pouvant prendre son sens dans
la notion de capacité reconnue, de référence. Un
professionnel compétent est une personne qui a les aptitudes
nécessaires à l'exercice d'une tâche. Cette capacité
de reconnaissance prend son sens, dans le fait, que l'on va se tourner vers le
professionnel pour l'exercice d'une certaine tâche, de certaines
questions.
En ce sens, l'hypothèse posée est :
« Pour permettre l'exercice de la polyvalence
professionnelle, face aux contextes économique et social, la polyvalence
requière de la compétence »
C. Bernier17, dans son ouvrage « La
polyvalence des emplois : nouvelle tendance de l'organisation du travail »
montre que le modèle de spécialisation n'offre pas de
garantie de totale efficience notamment dans un programme de modernisation.
Dans la mesure où les individus doivent s'adapter en permanence à
de nouvelles situations ce modèle se révèle
contre-productif.
En ce sens, l'hypothèse posée est :
16 LABRUFFE, Alain. Maîtriser le changement. Ed.
Afnor. Paris, Janvier 2014, 202 pages.
17 BERNIER, Catherine. La polyvalence des emplois :
nouvelle tendance de l'organisation du travail. Bulletin de l'IRAT n°22
Institut de recherche appliquée sur le travail, Montréal,
1982.
29
« Pour s'adapter aux fluctuations de la vie de l'entreprise,
face aux problématiques d'absentéisme et de compression des
effectifs, Transgourmet doit remettre en cause les modes traditionnels de
conception des tâches et des postes de travail »
De plus, le rôle d'un employeur est de garantir le maintien
de la compétence de ses membres. Les auteurs, notamment P. Michelleti et
G. Le Boterf s'attachent à expliquer que la multipolarité
professionnelle est propice à la reconnaissance. Selon eux, si les
résultats sont probants, il n'y aucun obstacle à faire
reconnaître la polyvalence professionnelle. Cette vision amène
à poser l'hypothèse suivante :
« L'accroissement du niveau général des
connaissances ou de l'habileté transformant l'emploi en apprentissage
permanent suscite une récompense et une reconnaissance »
M. Dadoy18, dans son ouvrage « Les analyses de
travail : enjeux et formes » explique que la polyvalence permet une
certaine rotation des postes, et ce fait, favorise un équilibrage de la
charge de travail. En ce sens, les tâches et la surcharge de travail
peuvent être allégées. En ce sens la notion de polyvalence
est alors vécue comme un soutien pour les managers. L'hypothèse
retenue est :
« Afin d'alléger le travail des collaborateurs, la
polyvalence constitue une « aide » pour l'organisation globale du
travail. »
18 DADOY, Mireille, HENRY, Claude, HILLAU Bernard
[et al]. Les analyses du travail : enjeux et formes. Ed. Cereq,
Collection des Etudes. Mars 1990, 240 pages
30
C. L'analyse des entretiens confrontés aux concepts de
la polyvalence
Comme expliqué précédemment, les entretiens
semi-directifs, ont été construits autour d'objectifs,
relayés par diverses questions. Pour me permettre de clarifier l'analyse
de l'ensemble des entretiens, j'ai réalisé des tableaux. Une
première annexe19 a été réalisée
pour chacune des questions posées. Une seconde annexe20 a
été tournée sur les différences et similitudes
pouvant être constatées entre les secteurs ou métiers
interrogés. Enfin, un dernier tableau a été
réalisé. Il reprend les principales notions
dégagées au sein des questions posées. Cet outil d'analyse
m'a permis de dégager des thèmes principaux. Ces idées
reflètent les idées récurrentes qu'ont pu me verbaliser
les différents professionnels. Pour chaque thème abordé,
les professionnels tendent vers un ensemble d'idées homogènes.
Cependant, je vais pouvoir constater que certaines variantes apparaissent en
fonction des professions, des secteurs de travail, des expériences
vécues et des carrières.
La première partie abordée par les professionnels
est la perception qu'ils peuvent avoir de la polyvalence. Elle
représente, pour eux, la possibilité pour une personne de
travailler sur un poste différent de son métier d'origine. Les
deux tiers s'attachent à dire que la polyvalence est une notion qui,
lorsque le personnel est soumis à un certain rendement, leur permet de
les soulager sur un travail physique21. Selon eux, la polyvalence
rompt la monotonie, change le quotidien. Elle offre la possibilité de ne
pas tomber dans des tâches répétitives, en trouvant un
certain équilibre. Ils perçoivent à travers cette notion,
l'opportunité de connaître le travail des autres, les
problèmes auxquels les collègues sont
confrontés22. D'un point de vue du personnel d'encadrement,
la polyvalence leur permet d'avoir la capacité de remplacer des
salariés absents, sur une plus ou moins longue durée. Ils voient
en la polyvalence, l'occasion d'offrir à leurs collaborateurs une
montée en compétence.
Cependant, certains s'attachent à dire que la polyvalence
n'est pas la réponse à tous problèmes. En effet, certains
dires expliquent qu'auparavant la polyvalence n'était pas
présente. Pourtant l'entreprise fonctionnait très bien. En ce
sens, en s'appuyant sur ces propos, l'hypothèse relative à la
polyvalence identifiée comme une « aide » peut donc être
rejetée.
L'un des autres thèmes abordés est la
mobilité professionnelle. Une mobilité verbalisée
sous différents aspects. Elle peut être pour la majorité,
répétée, interne, externe, volontaire ou subie. A travers
l'expérience et la carrière vécue des professionnels, la
mobilité est mise en avant en tant que lieu de mise en place de la
polyvalence, en tant que contribution efficace pour développer la
polyvalence. Si nous analysons les propos des employés du secteur du
transport et de l'entrepôt, soit 70% de la population entretenue, les
changements en interne (équipe) ou en externe (secteur : transport/
entrepôt) sont les moyens pour apprécier la polyvalence. Ces
propos ont été repris par les managers de proximité.
Lorsqu'ils sont soumis à un certain rendement, la polyvalence interne ou
même externe est souvent la réponse pour pallier l'accroissement
de l'activité. Cependant, cette vision n'est pas la même pour
tous. Certains voient cette polyvalence comme une obligation à aller
dans d'autres services, afin de pallier le manque de personnel par
exemple23. Tous s'accordent à dire, que la
répétitivité - notamment pour pallier les absences de
personnel - peut être un frein à l'épanouissement
19 Annexe 3 : Analyse des entretiens
20 Annexe 4 : Les thèmes principaux
dégagés lors des entretiens
21 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
6
22 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
6
23 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
3
31
professionnel et de ce fait à l'entretien de la
polyvalence. Ils voient dans la répétitivité une sorte
d'obligation et donc le résultat d'une action subie24.
Pour la majorité des employés interrogés,
sans mobilité interne ou externe, la polyvalence
n'évolue pas ou ne fait pas évoluer. En effet, leur principal
souhait est d'évoluer, d'avoir l'opportunité de voir de nouveau
métier, de changer leur quotidien. Cependant les responsables de
services expliquent la difficulté, d'un point de vue organisationnel,
d'offrir la possibilité de les faire permuter. En effet, une
permutation, quel soit interne ou externe, engendre souvent des
problématiques liées à l'organisation, à la
formation et à l'intégration dans un nouveau service. Le temps
passé à former le personnel à un nouveau métier
engendre du temps et un impact financier. Le personnel au cours de sa formation
n'est pas opérationnel. Cependant, cela leur permettrait de
développer et/ou d'actualiser leurs connaissances et compétences
sur de nouveaux domaines et ainsi de limiter la monotonie.
En exemple, au cours de l'année 2018, grâce à
la réalisation d'une période de professionnalisation, deux
préparateurs de commandes ont été formés au
métier de chauffeur/livreur. Leur formation a duré 7 mois, au
cours de laquelle nous avons dû recruter du personnel en contrat à
durée déterminée pour pallier à ces deux absences.
Ils seront désormais opérationnels fin mai. Cette
expérience leur permettra de s'essayer à un nouveau domaine et
ainsi de limiter le risque de l'épuisement professionnel et la
monotonie. Cependant, deux anciens préparateurs de commandes, au cours
de l'année 2017 avaient déjà tenté
l'expérience. Pour les responsables, cette nouvelle polyvalence avait
pour principal objectif de faire face à l'accroissement
d'activité lors de la période estivale. Il y a peu, l'un de ces
deux préparateurs formés a souhaité retourner à la
préparation de commandes. Un échec a pu être
constaté pour les responsables. Le retour d'expérience peu
concluant provient d'une mauvaise intégration dans le service.
Le capital de connaissance acquis au cours de leurs formations
(formation chauffeur/livreur par exemple) comprend aussi bien la partie
théorique que la partie pratique. Mais selon eux, ils expriment qu'il
est important d'aborder la notion de capacité25 (pouvoir
faire, être capable de) pour pouvoir témoigner sur cette
thématique.
Selon les professionnels, et notamment le personnel
d'encadrement, soit 40% des personnes interrogées, la notion de
compétence est un point primordial dans la mise en oeuvre de la
polyvalence26. Précisons que nous ne parlons pas
là d'expertise mais bien de compétence. La compétence est
dans un sens une question de capacité. Patricia Benner (49) explique au
travers du modèle de Dreyfus qui se décompose en cinq phases,
dont le stade trois est celui de la personne compétente. Ce
modèle, est à vrai dire, assez proche de la réalité
de terrain et reprend les dires des professionnels. En effet, l'auteur explique
ce stade en disant que « la personne compétente n'a pas encore la
rapidité, ni la souplesse d'une personne performante, mais elle a le
sentiment de maîtriser les choses et d'être capable de faire face
aux situations imprévues le cas échéant. ». Pour les
professionnels, la polyvalence doit être abordé avec des personnes
ouvertes, humbles ayant une capacité d'écoute et une ouverture
d'esprit. Pour une mise en place réussie, il faut avoir selon eu en
face, des personnes
24 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
8
25 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
5
26 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
5
32
pluridisciplinaires. C'est à dire, des personnes dans une
optique de monter en compétence, de découvrir autre chose, avec
un certain intérêt pour les tâches proposées.
Il est important de faire comprendre aux potentiels candidats
polyvalents d'oublier leurs postes et leurs statuts actuels. Il en va de
même pour les responsables qui doivent également, malgré
leurs niveaux hiérarchiques, pouvoir se mettre à la place des
employés. La curiosité, l'envie d'apprendre et le goût du
risque sont les principaux mots ressortis au cours des entretiens.
De ce fait, le rôle des managers d'encadrement va
également être d'expliquer les différentes
compétences à développer afin de recourir à la
polyvalence. En ce sens, la seconde hypothèse posée relative
à la compétence est retenue.
Dans ce cadre, les fiches de poste27 vont donc
s'avérer très utiles. Ces fiches de postes permettront de
décrire aux personnels les éléments fondamentaux de la
situation professionnelle et des compétences à déployer.
En exemple, un préparateur de commandes susceptible d'être
polyvalent sur un poste de chauffeur/livreur, a avant sa formation la fiche de
poste chauffeur/livreur. Cette fiche lui permet d'avoir déjà un
avant-goût des compétences requises pour exercer l'emploi. Elle
lui sert concrètement à connaître ses missions et
activités, les moyens mis à sa disposition ainsi que sa place
dans l'organigramme.
Cependant, pour les cadres interrogés, toute
personne n'est pas apte à permuter de poste28. Une
incapacité qui vient souvent d'un point de vue intellectuel. Ils
expliquent que certains employés du fait par exemple de leurs
études ou de leur ancienneté ne sont pas capables d'exercer un
nouveau métier. C'est à ce moment-là, que le contexte de
« choc de
générations » est abordé. En effet,
l'entreprise Transgourmet a une pyramide des âges assez haute. Les
salariés les plus âgées, du fait de leur expérience
et de leur ancienneté, n'adhérent pas à la promotion de
cette nouvelle notion encore peu développée. Acceptant
difficilement le changement et habitués aux anciennes méthodes
ils expriment des réticences quant au développement de la
polyvalence. On peut alors peut-être se poser la question de la promotion
? En effet, une mauvaise communication sur la notion peut-être à
l'origine de la non acceptation du changement.
Un des autres points énoncés au cours des
entretiens est celui des difficultés rencontrées au cours
de l'exercice ou de la mise en place de la polyvalence.
L'une des plus importantes est le cadre29. En effet,
aucun cadre n'est défini autour de la polyvalence. Au sein de la
convention collective de branche, dont relève Transgourmet, aucune
règle de fonctionnement n'est clairement exprimée. Les
dispositions relatives à la polyvalence présentées dans la
partie théorique, nous indiquent que cette notion n'est pas clairement
définie. Ce manque de cadrage officiel est donc un frein à
l'exercice de la polyvalence tant dans sa mise en place que dans sa
reconnaissance.
De plus, les managers de proximité s'accordent à
dire que l'une des difficultés réside dans la notion
d'accompagnement. En exemple, la formation n'est pas assez présente afin
de mettre correctement en place la polyvalence30. Selon les
définitions citées dans la première partie, un
professionnel polyvalent est capable de travailler dans divers domaines si
l'accompagnement
27 Annexe 6 : Apercu d'une fiche de poste d'un
préparateur de commandes
28 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
5
29 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
7
30 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
4
33
et la gestion du changement de la part des managers sont
maîtrisés. Comme déjà souligné dans la partie
théorique relative à la courbe du changement. Pour soutenir ses
collaborateurs lors des transformations, comme la mise en place de la
polyvalence et gérer les résistances, les auteurs expliquent que
le management de reconnaissance est primordial.
L'un des managers témoigne qu'il n'a jamais
été formé sur les tâches sur lesquelles il est
dorénavant polyvalent. Pour lui, la formation s'est faite grâce
à son expérience acquise au cours des années. Certaines
personnes expliquent que sans accompagnement et sans explications la
polyvalence ne peut pas fonctionner. Or, chez les professionnels
interrogés, le concept d'accompagnement est abordé seulement par
celle du domaine du transport mais pas chez les autres.
Les résistances au changement qui peuvent s'opérer
lors des transformations, comme celui de la mise en place de la polyvalence,
sont d'autant plus fortes et elles peuvent provoquer, comme en témoigne
un collaborateur, un sentiment de précarité et des zones
d'incertitude. En effet, ce salarié explique que la polyvalence l'a
bouleversé dans ses repères. Il avait auparavant réussi
à tisser un réseau avec ses collègues de travail et ce
changement de poste a tout modifié. Les remarques (bien que
n'étant pas forcément négatives) de la part de ses
nouveaux managers l'ont également bouleversé. Habitué
à une certaine zone de confort, sa principale difficulté à
été le renversement de ses repères de travail
Certains professionnels abordent également la
reconnaissance tant monétaire que non monétaire (90% des
personnes entretenues). En effet, une absence de management reconnaissant est
à souligner selon eux.
Certaines personnes réclament une augmentation de leur
rémunération par le biais de primes31, d'autres
admettent un manque de reconnaissance sur le plan humain. Malgré une
politique de promotion favorable à la polyvalence, ce thème n'est
pas valorisé par un système de juste
contribution/rétribution. Au contraire, par exemple les postes
métiers sont mieux payés car ils nécessitent une formation
de spécialiste. D'autre part, le système de promotion ne joue pas
son rôle de développement. En effet, selon les professionnels, la
polyvalence bloque l'évolution vers des postes d'un degré
supérieur, par manque de postes vacants. On assiste donc à une
démotivation pour beaucoup. Ils définissent la polyvalence
actuelle comme passive et réactive. Ils ont une impression de subir les
aléas, les fluctuations de la vie économique de l'entreprise. Ils
en adaptent par conséquence leurs compétences.
Pour les employés, la polyvalence s'illustre à
travers une reconnaissance pécuniaire. Car ils
expliquent que sans la mise en place d'un cadre réglementé et
récompensé, le risque serait une demande, au fur et à
mesure, de plus en plus multipliée de la part de la hiérarchie.
Ils privilégient, d'un point de vue de la reconnaissance, la partie
monétaire. Les propos tenus appuis donc la quatrième
hypothèse puisqu'ils soulignent la suscitation d'une récompense
et d'une reconnaissance.
Selon les cadres, les managers de proximité ayant une
expérience que ce soit en entrepôt ou au transport, ont beaucoup
de connaissances mais sur un panel de domaines larges et non pas
spécifiques et ciblés. Certains sont amenés à
permuter de services en services. Du fait de leurs expériences, leur
vision de la reconnaissance est influencée. En effet, à la
différence des autres professionnels, nous retrouvons cette idée
de reconnaissance mais uniquement dans un sens32. Ils ciblent un
manque de reconnaissance de la part de la hiérarchie mais pour certains
ils n'énoncent pas la partie pécuniaire. Ils expliquent que la
polyvalence est une notion faisant partie intégrante de la vie
économique actuelle et que de ce fait, elle n'a pas forcément
lieu
31 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
3
32 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
1
34
d'être. Offrant de nombreuses opportunités avec la
possibilité d'instaurer la polyvalence pour leurs employés,
certains s'accordent à dire que la partie pécuniaire est
reléguée au second plan. Selon eux, la reconnaissance par le
biais du management est, dans un sens, plus important pour
l'épanouissement professionnel. En ce sens, la première
hypothèse posée dans la deuxième partie peut être
retenue. Ces deux visions divergentes sont sans doute liées aux
métiers et aux niveaux hiérarchiques où les professionnels
exercent.
Selon les professionnels, les managers n'ont pas l'habitude
d'utiliser ces nouvelles méthodes de polyvalence. C'est une
notion qui n'est pas intégrée dans la culture
d'entreprise. En ce sens, afin de promouvoir ce nouveau dispositif
Transgourmet doit remettre en cause tout son mode d'organisation. La
troisième hypothèse est retenue.
L'un d'entre eux affirme que l'expérience d'une
polyvalence non réussie transmet un message négatif. L'un d'entre
eux témoigne que l'un de ses collègues a vécu une mauvaise
expérience de la polyvalence. Le message d'une polyvalence non
réussie véhicule chez ce dernier une position réticente
quant à l'idée de permuter de poste.
La conciliation vie professionnelle et vie personnelle
est un thème, également, abordé au cours des
entretiens33. En effet, certains témoignent que l'exercice de
la polyvalence peut parfois s'avérer contraignant. Concilier deux postes
à la fois peut parfois être compliqué. En effet, dans une
modalité spatiale, être affecté à plusieurs
métiers ou services entraînent parfois des changements de
conditions de travail, d'horaires. C'est en ça que réside
certains obstacles. Certains professionnels témoignent que,
malgré l'aspiration à vouloir permuter de postes, le changement
des horaires de travail était parfois difficile. Ces changements de
conditions de travail étaient parfois compliqués à
concilier avec la vie personnelle.
Un autre point soulevé, au cours des entretiens avec les
employés est celui de la compétitivité
interne. Les responsables et notamment le responsable de
l'entrepôt a mis en place des objectifs liés à la
préparation de commandes ou au système de contrôle. Les
rotations peuvent donc être parfois limitées vers d'autres postes
ou tâches puisque chacun doit tenir ses objectifs de taux de commande
parfaite ou taux de contrôle parfait.
Ces objectifs rendent difficile l'affectation de ce personnel sur
un autre secteur d'activité. La polyvalence inter service est donc
freinée par cette compétitivité interne.
Néanmoins, la polyvalence se développe en
réaction à cette organisation rigide. Pour la direction, comme ce
sont, dans le cas présent, les salariés mettent en oeuvre les
modes de polyvalence ; en réaction au système centralisé.
La polyvalence peut aller à l'encontre de l'entreprise et donc à
terme être néfaste à la cohérence de
l'organisation.
Enfin, les notions de collaboration et de
coopération ont fortement été présentes au
cours des entretiens, principalement au sein du service de l'entrepôt
avec les préparateurs de commandes, les contrôleurs et les agents
de manutentions interviewés. Tous les professionnels ont unanimement
proposé le responsable de l'entrepôt ou les managers de
33 Annexe 2 : Restitution des entretiens ; entretien
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proximité des différents services comme ressources,
pour pallier leurs difficultés lors des périodes de forte
affluence. Certains n'ont pas hésité à appuyer sur le fait
que la collaboration qu'elle soit horizontale (entre collègues) ou
verticale (de la part de la hiérarchie) est importante pour l'exercice
d'une polyvalence réussie.
Mais parallèlement à la collaboration avec
l'ensemble de ces personnes énoncées, le personnel
interrogé puise également beaucoup de renseignements
auprès de ces derniers. Savoir qu'ils ne sont pas seuls et qu'ils
peuvent avoir un soutien de la part de leur hiérarchie leur permettent
de relativiser. Ils se servent de cette coopération pour progresser en
en apprenant davantage. Cependant, cette collaboration ne peut s'exercer sans
l'implication totale de la part de la hiérarchie.
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