A. La complexité du régime fiscal de la
commandite simple
La complexité du régime fiscal de la
société en commandite simple s'explique par deux raisons. La
première est inhérente à l'absence d'un droit fiscal au
plan communautaire, ce qui a donné aux Etats la liberté quant au
régime fiscal à appliquer aux associés de la SCS. En
effet, pour ce qui est de l'absence de règles fiscales au plan
communautaire, il faut dire que cela concerne toutes les sociétés
commerciales. Ainsi, chaque Etat édicte son droit fiscal en fonction des
besoins nationaux. Cet état de choses a engendré des
disparités de régimes fiscaux pour les associés de la
même catégorie de société selon que l'associé
se retrouve dans tel ou tel pays de l'espace OHADA.
138 R. HOUIN et B. BOULOC, Les grands
arrêts de la jurisprudence commerciale, Sirey, Paris, 2e
éd., t. I, 1972, p. 226.
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La SCS n'est pas imposée en tant que telle, mais voit
l'impôt139 frapper les associés
eux-mêmes. Le principe en vigueur dans cette société est la
transparence140. C'est une transposition quasiment
complète du régime fiscal de la société en nom
collectif. Le Code Général des Impôts (CGI) dispose
à cet effet que « ...les associés des
sociétés en nom collectif et les commandités des
sociétés en commandite simple sont, lorsque ces
sociétés ont opté pour le régime fiscal des
personnes physiques, personnellement soumis à l'impôt sur le
revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à
leurs droits dans la société
»141.
En effet, pour l'imposition des revenus, le commandité
est soumis à un régime identique à celui des
associés en nom. Chaque associé commandité est
personnellement passible de l'impôt sur le revenu tel qu'il a
été présenté par la disposition
précédemment citée. Ils seront imposés selon des
bénéfices réalisés, tels qu'ils sont définis
par les règles fiscales qui fixent l'assiette de
l'impôt142 sur le
revenu143 dans la catégorie des
bénéfices industriels et
commerciaux144, sans qu'il soit nécessaire
de déterminer s'ils ont été, ou non, distribués par
la société et donc appréhendés par les
bénéficiaires145. Si le
commandité est gérant, sa situation serait encore plus complexe.
Il en faudra rechercher si au titre de ce mandat social, il y cumule un contrat
de travail proprement dit. Au cas échéant, son revenu serait
soumis à l'impôt sur
139 G. Jèze, Cours de finances
publiques, Paris, LGDJ, 1936, p. 38 ; L'impôt « une
prestation pécuniaire, requise des particuliers par voie
d'autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue
de la couverture des charges publiques » ; selon Olivier NEGRIN,
« Une légende fiscale : la définition de l'impôt de
Gaston Jèze », Revue de droit public, n° 1, 2008, p.
119-131, G. Jèze a également proposé la définition
moderne suivante : « l'impôt est une prestation de valeur
pécuniaire, exigée des individus d'après des règles
fixes, en vue de couvrir des dépenses d'intérêt
général et uniquement à raison du fait que les individus
qui doivent les payer sont membres d'une communauté politique
organisée ».
140 Le principe de la transparence fiscale
suppose que chaque associé déclare sa part de
bénéfices à laquelle il a vocation et paie l'impôt y
afférant. Concernant l'imposition de ces bénéfices au
niveau de ces associés, il n'y a pas lieu de distinguer selon que les
bénéfices sont mis en réserve ou distribués. Les
associés sont imposés même en l'absence de distribution de
bénéfices. Cependant, lorsque les bénéfices seront
ultérieurement distribués, la distribution sera totalement
exonérée d'imposition.
141 Loi n°2018-024 du 20 novembre 2018
portant Code Général des Impôts du Togo, entrée en
vigueur le 1er janvier 2019, modifiée par la loi de finance gestion 2020
adoptée le 18 décembre 2019 et par la loi de finance gestion 2021
adoptée le 18 décembre 2020, art. 9.
142 Encore appelée « l'assiette
fiscale », l'assiette de l'impôt est constituée de la somme
de l'ensemble des revenus devant servir de base pour le calcul d'un impôt
ou d'une taxe. Le montant de l'impôt est obtenu en application du taux
légal à cette somme.
143 Aux termes de l'article 12 du CGI,
l'impôt sur le revenu est un prélèvement annuel dû
à l'administration fiscale « à raison des
bénéfices ou revenus de source togolaise ou
étrangère que le contribuable réalise ou dont il dispose
au cours de la même année ».
144 Les bénéfices industriels
et commerciaux sont ceux issus de l'exercice d'une profession industrielle et
commerciale par des personnes agissant pour leur propre compte et poursuivant
un but lucratif ou d'opérations de caractère industriel et
commercial conformément aux énumérations de l'article 31
et suivants du CGI.
145 CGI, art. 13.
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les revenus d'emplois146. C'est
donc toute une série de complications et les exemples ne manqueraient
pas.
Quant à la part des bénéfices revenant
aux associés commanditaires, c'est un autre régime fiscal qui
s'applique. La société en commandite simple perd, en quelque
sorte, sa transparence pour entrer dans le champ d'application de l'impôt
sur les sociétés. Si les bénéfices sont
distribués aux commanditaires, ces derniers sont, à leur tour,
imposés sur les revenus ainsi perçus, soit à l'impôt
sur le revenu dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers, s'il
s'agit d'une personne physique, soit à l'impôt sur les
sociétés, s'il s'agit d'une personne
morale.147 Une telle solution n'est pas pleinement
logique.
Qu'il s'agisse de l'imposition des bénéfices
ordinaires d'exploitation ou de celle des profits exceptionnels
réalisés par les associés de la SCS, les
législations fiscales dans divers Etats membres de l'espace OHADA
prennent totalement en compte la présence des deux catégories
d'associés de la SCS148. La disparité
dans l'imposition provoque une différence de revenus entre les
associés de la SCS. En effet, sur la part de bénéfice
revenant au commanditaire, par exemple, la société en commandite
simple est passible de l'impôt sur les sociétés au taux de
27% prévu par le CGI149, et ceci dès
la réalisation du bénéfice. Si cette part est ensuite
distribuée, elle constitue pour le commanditaire un revenu passible,
soit de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus des
capitaux mobiliers, si le commanditaire est une personne physique, soit de
l'impôt sur les sociétés si le commanditaire est une
personne morale.
Cette différence de régimes fiscaux n'est pas
sans conséquence sur l'égalité des associés. En
outre, à l'égard de l'administration publique, le régime
juridique de la société en commandite simple engendre d'autres
difficultés liées au statut social des associés.
B. Les difficultés liées au statut social
du gérant
La société en commandite simple peut être
dirigée par un ou plusieurs gérants. Il va se poser des
difficultés relatives au régime social applicable au titre des
cotisations sociales. Au plan
146 CGI, art. 17.
147 CGI, art. 41, al. 2.
148 L'exemple du CGI du Togo avec l'article 9
précité.
149 CGI, art. 113 al. 2.
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communautaire, il n'existe pas un droit communautaire de la
sécurité sociale150. Il revient
à chaque Etat de prévoir des règles prenant clairement en
compte la situation des dirigeants de sociétés. Il s'agit donc
d'une première difficulté qui ne doit pas être
ignorée dans certains Etats membres de l'espace OHADA.
Dans la recherche du régime de protection pouvant
correspondre à la situation du gérant de la SCS, quatre
situations s'offrent à l'analyse. Le gérant peut être
associé salarié au titre de son mandat social, il peut être
un associé gérant sans rémunération. Le
gérant peut être un tiers salarié au titre de son mandat
social tout comme il peut ne pas être rémunéré
aussi. A la lumière du Code de sécurité sociale du Togo
par exemple, le régime social du gérant de la SCS ne sera pas
stable et exigera de l'administration de protection sociale des
vérifications tatillonnes avec des documents à l'appui, ce qui ne
plait pas souvent aux entreprises.
D'abord, si le gérant est associé et
rémunéré, il relèvera du régime social des
travailleurs salariés à titre
personnel151. Son employeur, personne morale, devra
donc veiller à une retenue à la source de la part de cotisation
au titre de la rémunération mensuelle. Or, dans toute
société commerciale, le dirigeant représente l'employeur.
Cela revient à dire que le commandité gérant
rémunéré devra procéder à
l'immatriculation152 de la personne morale qui
l'emploie puis à sa propre immatriculation en tant personne
physique153.
La deuxième situation est celle où le
gérant est associé et non rémunéré. Dans ce
cas, il est soumis au régime des travailleurs non-salariés. Il
cotise sur la part des bénéfices qui lui reviennent. Le Code de
sécurité sociale ne traite pas de l'obligation pour les
associés de payer des cotisations sociales minimales même en
l'absence de bénéfices. Il n'est donc pas question d'exiger une
telle cotisation à partir du moment où il n'y a pas de
bénéfices distribuables.
La troisième situation concerne celle où le
gérant est non associé et rémunéré en
qualité de salarié. Il bénéficie proprement du
régime social des salariés à savoir les cotisations
patronales devant être supportées par la société
à hauteur de 17, 5% du salaire154 et la
150 La sécurité sociale est
l'ensemble des régimes assurant la protection de l'ensemble de la
population contre les différents risques sociaux : maladie,
maternité, invalidité, vieillesse, etc., V. Lexique des
termes juridiques, Dalloz, Paris, 27è éd. 2020.
151 Loi n° 2011-006 portant Code de
sécurité sociale au Togo, art. 3.
152 Loi n° 2011-006 portant Code de
sécurité sociale au Togo, art. 7.
153 CGI, art. 9.
154 Décret n° 2012-038/PR du 27
juin 2012 portant révision des taux de cotisation à la caisse
nationale de sécurité sociale, art. 2.
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cotisation ouvrière à la branche des pensions
devant être supportée par l'employé dont le taux est de 4%
du salaire155.
La quatrième et dernière situation concerne le
cas où le gérant n'est ni associé ni salarié. Il
n'est pas tenu d'adhérer à un régime de
sécurité sociale. Il peut cependant, s'il le désire,
s'affilier à un régime d'assurance personnelle.
L'imprécision des régimes fiscal et social de la
société en commandite se situe donc à la fois aux plan
communautaire et national. Les Etats membres de l'OHADA prennent
individuellement des lois fiscales et sociales qui répondent à
leurs besoins. Cela crée une disparité que le législateur
communautaire devrait corriger.
Tout ceci participe donc à la complexité de ces
différents régimes. Encore, faut-il noter que
l'imprécision n'épargne pas les dispositions relatives à
la fin de la SCS.
SECTION II. LES INCONVÉNIENTS INHÉRENTS
À LA FIN DE LA COMMANDITE SIMPLE
La société en commandite simple est soumise aux
causes de dissolution communes à toutes les autres des
sociétés commerciales. Ces causes ne pas toutes adaptées
à la SCS. Elles influent directement sur l'existence de cette
société (§ I) dont le sort est souvent
incertain en cas de défaut de commandité (§
II).
§ I. LA FRAGILITÉ DE L'EXISTENCE DE LA COMMANDITE
SIMPLE
Deux raisons expliqueraient la fragilité de l'existence
de la SCS. Il s'agit de la multiplicité de ses facteurs de dissolution
(A) et de la possibilité de transformer la SCS en
d'autres formes sociales (B).
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