La société en commandite simple en droit OHADApar Lamoussa YIMOU NASSANDJA Université de Lomé, Togo - Master en Droit privé fondamental, Recherche 2021 |
B. L'incertitude du principe de la défense d'immixtionAu nom du principe de la défense d'immixtion dans la gestion externe, le commanditaire, ne peut jamais gérer la société. Cette règle posée aux articles 299 et 300 de l'AUSCGIE a une origine ancienne. Connue sous « la défense d'immixtion », elle est devenue le principe fondamental de la commandite dans le Code de commerce de 1807 modifié par la loi du 6 mai 1863122. Le principe a été repris par une loi française du 24 juillet 1966123 pour être incorporé dans le Code des sociétés124. Le même principe a été transcrit à l'alinéa 1er de l'article 299 de l'AUSCGIE révisé dans les mêmes termes125. Cette disposition est le siège d'une inégalité voire d'une injustice à l'encontre du commanditaire tel que cela a été évoqué précédemment126. Admettre qu'un tiers puisse gérer la SCS, et jamais le commanditaire, paraît paradoxal. Cela voudrait dire qu'il est préférable, voire plus rassurant, de confier la gestion au tiers plutôt qu'au commanditaire. Certes, c'est dans la nature de la SCS que les commanditaires soient 119 G. LAGARDE (dir.), J. HAMEL, A. JAUFFRET, op. cit., n° 383. 120 J.-P. BERTREL, « Liberté contractuelle et sociétés, essai d'une théorie du juste milieu en droit des sociétés », RTD Com. 1996, p. 595 et ss. 121 Ph. MERLE, op. cit., p. 185, n°167. 122 R. DEMOGUE, « Du droit de contrôle du commanditaire », Annale de droit commercial, 1901, p. 124 ; E. POTU « La défense d'immixtion du commanditaire », Annale de droit commercial, 1910, p. 121. 123 V. la loi française n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, art. 28, disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr., consulté le 2 avril 2021, à 20h 05'. 124 Code français des sociétés, 32e éd., Dalloz, 2016, L. 222-6, al. 1. 125 AUSCGIE, art. 299. 126 V. Supra, pp. 21 s. 32 écartés de la gestion externe. Cependant, les fondements qui semblent justifier cette règle127 sont moins convaincantes. Le premier pourrait être la protection du commanditaire. Ce serait pour conserver intact son pouvoir de contrôle, son indépendance, qu'on le tiendrait éloigné de la gestion. Mais la prohibition s'applique à la seule gestion externe. Cela n'interdit pas de participer à la gestion interne de la société. Donc risque, pour le gérant commandité, de perdre autorité et indépendance existe. Ce premier fondement n'est donc pas assez convaincant. La protection des commandités offre une deuxième justification. Le commanditaire apporte l'argent, mais ne doit pas gérer, c'est presqu'impossible car si le commanditaire peut être assimilé à un investisseur, il ne l'est pas véritablement. Il a une chose de plus qu'un investisseur : la qualité d'associé. Un tel fondement ne peut être accepté128. Or, la distinction entre acte de gestion interne et acte de gestion peut souvent être source de difficultés129. Le troisième fondement qui semble avoir les faveurs des tribunaux et de la doctrine serait la protection des tiers. L'impératif n'est plus de protéger les associés commandités ou commanditaires, mais de sauvegarder les intérêts des tiers130. Les créanciers sociaux pourraient être abusés par la collaboration du commanditaire à la gestion. En l'imaginant commandité, les cocontractants pourraient apprécier, en conséquence, le crédit à accorder à la société. La théorie de l'apparence131 fournirait mieux l'assise de la défense d'immixtion. En effet, la jurisprudence décidait en ce sens, avant 1966, lorsqu'elle recherchait si les tiers avaient pu être trompés sur la véritable qualité du commanditaire132. La doctrine présente ce fondement comme le plus approprié133. C'est cette tendance que le législateur OHADA aurait 127 E. POTU, op. cit., p. 123 s. 128 Le principe prohibe toutes les immixtions quelles qu'elles soient, alors que le législateur vise uniquement les ingérences en matière de gestion externe. 129 Il peut arriver qu'un acte de gestion interne soit la source d'une difficulté financière alors que les commanditaires qui l'ont décidé étaient dans l'exercice de leurs droits d'associés. Le législateur n'a d'ailleurs pas précisé la nature des actes de gestion interne et celle de gestion externe. 130 V. art. 159 du Code de Commerce du Japon, traduit en français par S. Komachiva, Paris, LGDJ, 1954. 131 La théorie de l'apparence est une règle du droit civil qui permet aux tiers de bonne foi de se prévaloir de la régularité apparente d'une situation, nonobstant une situation juridique différente ; Voir, dans cette logique, Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 13è éd., 2020. 132 Cass. req. 10 juillet 1990, D. 1901, p. 436 ; Cass. civ. 28 mai 1921, S. 1921, 1, p. 321. 133 J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, 3 vol., 7e éd., Administration du « Journal des notaires », Paris, 1935, t. I, n° 334 ; R. ROBLOT, Traité élémentaire commercial de Georges 33 consacré en cantonnant la prohibition sur la seule gestion externe. Mais que faut-il en penser ? Une telle explication ne pourrait convaincre. D'un côté, elle profite de l'estime dans laquelle les commercialistes tiennent la théorie de l'apparence ; de l'autre, elle est en harmonie avec la justification apportée à deux défenses d'immixtion très voisines : celle du mari134 et celle de l'associé dans la société en participation135. Mais un examen approfondi conduit à en douter. La croyance des tiers, condition indispensable au jeu de la théorie de l'apparence, serait-elle légitime dans ce cas ? L'indulgence serait-elle encore permise dès lors qu'il est possible aujourd'hui, pour le tiers, de vérifier facilement la carte délivrée par le Centre des Formalités des Entreprises (CFE) au du dirigeant, ou la carte d'opérateur économique ou encore de consulter le journal d'annonces légales pour s'informer sur la véritable qualité du négociateur ? Il est vrai que l'absence du nom d'un commandité dans la raison sociale ne prouve pas que celui qui prétend tenir ce rôle est dépourvu de cette qualité136. Cela constitue, néanmoins, un indice qui invite à certaines précautions137. Mais en réalité, la logique doit conduire à admettre l'erreur des tiers lorsque la société en commandite est gérée par un non-associé. Ils ont pu croire à la qualité de commandité de ce dernier, ce qui impose en conséquence de tenir le gérant non-associé pour un commandité. Or, il faut rappeler que le gérant non-associé n'a jamais été tenu pour indéfiniment et solidairement. Le législateur de l'OHADA aurait-il voulu se conformer à l'application de la théorie de l'apparence, qu'il aurait rédigé différemment l'article 299 de l'AUSCGIE. Cela n'a pas été fait. Il faut donc en conclure que la preuve de la croyance légitime des tiers n'est pas une condition de la mise en oeuvre de la responsabilité solidaire et indéfinie du commanditaire. Même si l'acte de gestion externe a été accompli par un commanditaire qui aurait pris soin de prévenir le tiers de sa véritable qualité, les articles 299 et 300 seraient toujours applicables. Dans ces conditions, peut-on encore soutenir que la protection des tiers constitue le fondement de la défense d'immixtion ? RIPERT, 2 vol. L.G.D.J., Paris, t. II, 9e éd., 1981 n° 879 ; R. RODIERE et B. OPPETIT, Droit commercial et groupements commerciaux, Dalloz, Paris,10e éd., 1980, n° 99. 134 C. civ., art. 1420, al. 2 anc. 135 C. civ., art. 1872-1, al. 3 anc. 136 E. THALLER, Traité élémentaire de droit commercial à l'exclusion du droit maritime, 7e éd., par J. PEPCEROU, A. ROUSSEAU, Paris, 1925, n° 302. 137 L'admission de la négligence du tiers s'apparenterait à une fatalité. Aussi doit-on douter du bien-fondé de l'explication tirée de l'apparence. En l'espèce, faute d'erreur légitime, un tel recours serait inutile. 34 Le commanditaire est, certes, un associé. Mais c'est un associé passif. Le véritable fondement de la défense d'immixtion serait bien la division du travail que postule l'idée de commandite. Des insuffisances des autres fondements, deux arguments légaux peuvent être avancés. En premier lieu, les articles 299 et 300 concernent la répartition des pouvoirs dans la société et n'ont aucun lien avec les droits des tiers. En second lieu, l'article 299 interdit les actes de gestion externe « même en vertu d'une procuration ». Or, la procuration est suffisante pour prévenir le tiers de la véritable qualité de commanditaire. Malgré cela, la gestion externe demeure interdite. C'est encore la preuve que la protection des tiers ne constitue pas le fondement de la défense d'immixtion. La défense d'immixtion de commanditaire serait un principe imparfait. Son fondement est incertain, la sanction de sa violation, inappropriée. Aussi, certains auteurs ont-ils d'ailleurs proposé l'abrogation de cette règle138. Une telle analyse pourrait réformer positivement le régime de la SCS en droit OHADA si elle est suivie par le législateur communautaire. Les insuffisances du régime juridique de la SCS en commandite simple s'étendent aux obligations de cette forme sociale envers l'administration publique. § II. L'IMPRÉCISION DU STATUT DES MEMBRES DEVANT L'ADMINISTRATION PUBLIQUE Les membres de la SCS n'ont pas un sort précis devant l'administration fiscale et le service de la sécurité sociale. Il en résulte une complexité du régime fiscal des membres de la SCS (A) couplée avec des difficultés liées statut social des associés de cette société (B). |
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