A. L'utilité résiduelle de la défense
d'immixtion
Les commanditaires de la commandite simple ont un statut
similaire à celui des associés de la SARL puisque leur
responsabilité est limitée au montant de leurs
apports226. La conséquence logique aurait
été de permettre à ceux-ci d'être éligibles
aux fonctions de gérants tout comme les associés de la SARL. Mais
une telle autorisation aurait été un danger pour la
société, puisque n'ayant pas forcément les aptitudes d'un
commerçant, le commanditaire ne saurait gérer efficacement. Si le
principe de la défense d'immixtion peut être vu comme l'un des
facteurs d'inégalité au sein de la SCS, il n'y a pas de raison de
méconnaitre à ce principe une importance résiduelle.
Il faut éviter qu'un dirigeant profane cause un
préjudice à la société par ses éventuels
actes d'imprudence qui fonderaient la croyance légitime du tiers. C'est
pour épargner la société de ce risque que le
législateur interdit formellement aux commanditaires d'exercer des
fonctions de gérant. Les commanditaires « ne peuvent faire
aucun acte de gestion externe, même en vertu d'une procuration
»227. Cette règle,
également vue comme une discrimination228
à l'égard du commanditaire, s'avère être une
qualité qui participe à la gestion saine de la SCS. Il s'agit de
l'utilité résiduelle du principe de la défense
d'immixtion.
225 J. HEMARD, F. TERRE, P. MABILAT,
Sociétés commerciales, 3 vol., t. II, Paris, 1972-1978,
n°1323.
226 Suivant la définition légale
de la société en commandite donnée à l'article 293
de l'AUSCGIE.
227 AUSCGIE, art. 299, préc.
228 V. supra., p. 12 s.
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En effet, en interdisant l'immixtion des commanditaires, soit
directe sous forme de participation ostensible229
à la gérance, soit indirecte230, le
législateur OHADA vise trois finalités. D'abord, l'interdiction
d'ingérence du commanditaire dans la gestion externe vise à
protéger les tiers contre les manoeuvres par lesquelles les
associés cherchent à leur donner l'illusion d'un gage important.
Un gage qui serait offert en confiant la gérance à un
commanditaire mieux nanti financièrement et en laissant dans l'ombre les
commanditaires dont la situation ne saurait inspirer confiance aux
créanciers.
Ensuite, la défense d'immixtion tend à
protéger la société elle-même contre les imprudences
et les hardiesses d'un commanditaire gérant, d'autant enclin à
aggraver le passif social pour lequel il sait que personnellement sa
responsabilité est limitée.
Enfin, cette règle est un avantage, à la fois,
pour la société et pour le tiers dans la mesure où ils
sont « protégés contre la gérance occulte
»231 faite par les commanditaires. Dans
cette même optique de présentation de l'intérêt de la
défense d'immixtion, certains
auteurs232 affirment que la
gestion occulte est au moins dangereuse aussi que la gestion ostensible. Pour
eux, il est à craindre que des associés, disposant de capitaux
importants, mais désireux de diminuer leurs risques, ne «
s'abritent derrière un commandité de pacotille, simple homme
de paille sans surface réelle, car lorsque la signature est aux mains du
commanditaire, les créanciers peuvent être induits en erreur et se
figurer qu'ils ont affaire à l'associé principal, responsable du
passif social sur tous ses biens »233.
Mais si malgré l'interdiction, le commanditaire,
associé dont la responsabilité financière est
limitée s'immisce dans la gestion, il répondrait de sa faute
conformément à l'article 300 de l'AUSCGIE. Il s'agirait, dans ce
cas, un recul marginal de limitation de la responsabilité tel que l'a
développé M. FOLLY. Pour cet auteur, l'aggravation de la
responsabilité limitée d'un associé pour faute personnelle
n'est pas spécifique aux sociétés à risque
limité. « Cette situation (...) est aussi présente dans
les sociétés à risques illimités. Dans ce cas de
figure, les associés ne répondent que des conséquences de
leurs propres fautes et non des actes des
229 La gestion ostensible est celle qui est
faite au vu de tous sans intention de se cacher.
230 L'immixtion indirecte concerne les actes
d'ingérence. Les actes dont l'accomplissement par le commanditaire
pourrait induire le tiers en erreur.
231 P. PIC, « La défense
d'immixtion des commanditaires dans la gestion des sociétés et la
crise actuelle », Dalloz Recueil Hebdomadaire, 1933, n°10,
Chronique, p. 21.
232 Ch. LYON-CAEN et L. RENAULT,
Traité de Droit commercial, Editions F. Pichon et Durand-Auzias,
1922, Paris, tome V, n° 487, p. 433.
233 P. PIC, op. cit., p. 22.
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dirigeants »234. La
sanction du commanditaire fautif outrepassant la défense d'immixtion par
l'extension de sa responsabilité correspond avec exactitude à
cette affirmation.
Il est donc clair que les règles gouvernant la gestion
de la société en commandite simple revêtent une grande
utilité relativement à la défense d'immixtion du
commanditaire. Il faut par ailleurs ajouter que les qualités des
règles de gérance de la société en commandite
simple concernent le mode de contrôle de cette société.
B. La fiabilité du mode de
contrôle de la gestion
Le mode de contrôle de gestion de la
société en commandite simple garantit une fiabilité
particulière inhérente aux titulaires internes et externes du
droit de contrôle. Il s'agit du rôle des commanditaires et
commandités non gérant, d'une part et de l'intervention possible
d'un commissaire aux compte, d'autre part.
Le contrôle est effectué par les commanditaires
et les commandités non gérants dans la phase de nomination du
gérant ou des gérants. Une fois que les fonctions du
gérant prennent effet, la loi leur donne pouvoir de poursuivre leur
rôle de contrôleurs.
En tant qu'associés, les commanditaires et
commandités désignent d'un commun accord celui qui va assurer la
gérance de la SCS. Au cours de cette opération de
désignation, chaque associé, qu'il soit commanditaire ou
commandité, exerce son droit de contrôle par son vote. La loi
donne le pouvoir à ceux-ci d'obtenir, deux fois par an, communication
des livres et des documents sociaux et de poser par écrit des questions
sur la gestion auxquelles il doit être répondu également
par écrit.
L'article 307 AUSCGIE qui est le siège de ce pouvoir de
contrôle des associés non gérants, offre aux
commandités les mêmes pouvoirs que les commanditaires. Le
législateur a donc choisi de donner aux commandités des pouvoirs
qu'ils n'auraient pas eus s'ils étaient dans une SNC, puisque dans cette
forme sociale, la loi a expressément prévu que « les
associés non gérants ont le droit de consulter, au siège
social, deux fois par an, tous les documents et pièces comptables ainsi
que les procès-verbaux des délibérations et des
décisions collectives235. Cette
disposition précise que s'ils décident d'en prendre copies, ce
serait à leurs frais236. Cela implique
qu'ils n'ont qu'un simple droit de consultation. L'accroissement
234 M. A. FOLLY, Le statut des dirigeant
sociaux en droit de l'OHADA, thèse de Doctorat, Université
de Montpellier, 2014, n° 83, p. 51.
235 AUSCGIE, art. 289, préc.
236 AUSCGIE, art. 289, préc.
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particulier du droit de contrôle des commandités
non gérants au côté des commanditaires dans la SCS renforce
l'efficacité du contrôle de la gestion.
Par ailleurs, ces dispositions sont efficaces en ce qu'elles
ne restreignent pas la nature des sanctions applicables au gérant en cas
de faute de gestion. Ce silence législatif sur la sanction signifie que
les associés peuvent engager la responsabilité personnelle du
gérant qui ne s'acquitte pas de cette obligation légale. Etant
donc averti de la possibilité que sa responsabilité soit à
tout moment engagée, le gérant va veiller à
l'assainissement de la gestion, qu'il soit un associé commandité
ou un tiers. En cas de faute de gestion, la décision de
révocation, tout comme celle de nomination du gérant ou de
modification des statuts, constitue un des aspects de l'exercice du
contrôle par les associés commanditaires et commandités non
gérants237.
En outre, dans la société en nom collectif, le
législateur a expressément prévu les cas dans lesquels les
associés doivent procéder à la désignation d'un
commissaire aux comptes pour le contrôle238.
Les règles relatives à la société en commandite
simple n'ont pas expressément prévu le contrôle de la
société par le commissaire aux comptes au-delà d'un seuil,
mais le recours global au régime juridique de la société
en nom collectif239 induit l'applicabilité
des dispositions de l'article 289-1 à la société en
commandite simple.
Ainsi, la possibilité de faire contrôler la
société en commandite simple par un commissaire aux comptes,
acteur externe à la société, vient renforcer le dispositif
de contrôle interne exercé par les associés non
gérants. D'où la fiabilité des modes de contrôle de
la SCS, une qualité aussi ignorée par les acteurs
économiques.
Les qualités juridiques que regorge la
société en commandite simple sont immenses. Elles concernent
aussi bien les règles relatives à sa constitution qu'à son
fonctionnement. En dehors de cette utilité juridique de règle
régissant la commandite simple, cette forme sociale présente
d'autres qualités qui sont d'ordre économiques.
237 P. LE CANNU et B. DONDERO, op. cit.,
p. 935.
238 AUSCGIE, art. 289-1.
239 AUSCGIE, art. 293-1, préc.
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