SECTION II. UNE GARANTIE DE LA GESTION EFFICACE DE LA
SOCIÉTÉ
L'efficacité d'une société commerciale se
résume à sa gestion et à son contrôle par les
associés qui ne doivent pas être impliqués dans la gestion
sociale. Il n'est pas normal qu'un dirigeant d'une société
commerciale pluripersonnelle ait encore la charge de se contrôler. Le
risque d'abus de diverses natures serait éminent. Le régime
juridique de la commandite
205 AUDCG, art. 9, préc.
206 J. MESTRE et Ch. BLANCHARD-SEBASTIEN,
Sociétés commerciales, op. cit., n°2595, p.
1143.
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simple garantit l'efficacité de sa gestion par le biais
des qualités remarquables qui caractérisent le statut de la
gérance (§ I) ainsi que celles issues du
rôle des associés non gérants (§
II).
§ 1. LES QUALITÉS INHÉRENTES AU STATUT DE LA
GÉRANCE
La gérance de toute société commerciale a
ses particularités. Les règles qui régissent la
gérance de la commandite simple constituent un gage de stabilité
des fonctions du gérant (A) et favorisent le
renforcement des pouvoirs de celui-ci (B).
A. La stabilité des fonctions du gérant
Plusieurs facteurs militent en faveur de la stabilité
des fonctions du gérant dans la commandite simple. A la
différence de la société à responsabilité
limitée207 dans laquelle les fonctions du
gérant prennent impérativement fin après quatre ans
à défaut de stipulation statutaire, la commandite simple connait
une gérance sans risque de perturbation. Ces facteurs clés de la
stabilité des fonctions du gérant sont relatifs au mandat et
à la révocation du gérant.
D'une part, la loi ne fixe aucune durée maximale du
mandat du ou des gérants de la commandite simple. Cette situation «
épargne donc aux intéressés les affres d'une
réélection »208 et sauf
décision contraire des associés, le gérant de la SCS est
nommé pour toute la durée de la société, ses
fonctions sont très stables209.
D'autre part, la révocation du gérant par les
associés est difficile à obtenir dans la société en
commandite simple. En effet, dans cette société, la
révocation doit être décidée dans les mêmes
conditions que dans la société en nom
collectif210. Ainsi, l'unanimité des
associés commandités et la majorité des associés
commanditaires en nombre et en capital social sont les deux conditions
cumulatives exigées pour mettre fin aux fonctions du gérant
statutaire211. Ces conditions résultent de
l'application combinée des articles 279 et 305 de l'AUSCGIE, puisque la
révocation du gérant statutaire est une opération dont la
conséquence serait la modification des statuts. Aux termes du premier
texte, « si tous les associés sont gérants, ou
207 Dans la société à
responsabilité limitée, le législateur a
expressément prévu à l'article 324 que dans le silence des
statuts, le mandat du gérant est de 4 ans.
208 A. VIANDIER (dir.), J. HILAIRE, H. MERLE
et H. SERBAT, La société en commandite entre son passé
et son avenir, op. cit. p. 213, n° 272.
209 Y. GUYON, Droit des affaires : Droit
commercial et sociétés, op. cit., p. 236.
210 F. LEFEBVRE, Sociétés
commerciales, Mémento Pratique Francis Lefebvre, 2016,
n°27001, p. 375.
211 J. MESTRE et C. BLANCHARD-SEBASTIEN, op.
cit., p. 1148, n° 2614.
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si un gérant associé est
désigné par les statuts, la révocation de l'un d'eux ne
peut être faite qu'à l'unanimité des autres associés
»212.
Toujours en ce qui concerne la révocation, même
lorsque le gérant n'est pas associé et n'est pas statutaire, le
législateur OHADA tout comme français ont institué la
règle générale de la révocation pour juste
motif213. Cette règle est susceptible de
dissuader les associés d'un éventuel projet de révocation
du gérant, dès lors que ce dernier n'aurait commis aucune faute
et que les premiers ne voudraient pas courir le risque d'une condamnation au
paiement de dommages et
intérêts214.
En outre, la révocation de l'unique commandité
gérant peut avoir des conséquences négatives sur la vie
future de la société. Ainsi, les associés peuvent craindre
de révoquer un tel gérant dès lors qu'il n'existe dans les
statuts aucune clause de continuation pouvant épargner la
société de la dissolution.
La stabilité des fonctions du gérant de la SCS
est telle qu'il ne doute de rien dans l'exercice de ses pouvoirs, car ses
pouvoirs sont également renforcés.
B. Le renforcement des pouvoirs du
gérant
Selon qu'ils sont exercés vis-à-vis des
associés ou à l'égard des tiers, les pouvoirs du ou des
gérant de la SCS sont renforcés. Certes, le caractère
supplétif de la loi est indéniable dans le régime
juridique de la société en commandite simple. Les associés
sont libres de prévoir telle ou telle autre clause. Cela a
été démontré215.
Les statuts définissent les pouvoirs. Lorsque les
associés ont désigné plusieurs gérants, ils peuvent
fixer les pouvoirs de chacun dans les statuts. Mais si les statuts ne
prévoient rien à cet effet, chaque gérant peut faire tous
les actes de gestion dans l'intérêt de la société et
chaque gérant a le droit de s'opposer à toute opération
projetée par un autre216. Le
législateur renforce ainsi les pouvoirs du gérant en cas de
silence des statuts sur leur étendue. C'est un moyen
212 Art. 279, al. 1er de l'AUSCGIE,
préc.
213 AUSCGIE, art. 281 ; V. Code de commerce
français, art. L. 221-12, al. 4.
214 Les dommages et intérêts
désignent une « somme d'argent destinée à
réparer le dommage subi par une personne en raison de
l'inexécution, de l'exécution tardive, ou de l'exécution
défectueuse d'une obligation ou d'un devoir juridique par le
cocontractant ou un tiers », V. Lexique des termes juridiques,
Dalloz, Paris, 27e éd. 2020.
215 V. Supra, p. 54 où il est
traité de la liberté dans la rédaction des statuts.
216 AUSCGIE, art. 177.
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pour éviter l'inaction des gérants sous
prétexte que les statuts n'auraient pas déterminer leurs
pouvoirs.
Dans les rapports avec les tiers, le gérant de la SCS,
à l'instar de celui de la SNC, engage la société pour tout
acte entrant dans l'objet social217 et les clauses
restreignant ses pouvoirs ne sont pas opposables aux
tiers218. Il faut donc dire que ses pouvoirs envers
les tiers sont encore plus étendus qu'à
l'interne219. La société devra donc
exécuter les obligations que le gérant a contractées en
son nom dès lors que ces obligations se situent dans l'objet social.
Le caractère obligatoire des clauses statutaires
limitatives de pouvoirs implique que la société se retrouve
engagée à l'égard des tiers, même si le
gérant a accompli un acte entrant dans l'objet social mais qui lui
était interdit par les statuts220. La
société est également engagée par les actes qui
entrent dans l'objet social, même s'ils sont contraires à
l'intérêt social.
Par ailleurs, la responsabilité solidaire et
indéfinie des commandités221,
ressentie comme inconvénient majeur des sociétés de
personnes222 et source d'injustice dans la
commandite simple223, se trouve être le
véritable atout au renforcement des pouvoirs du gérant de cette
société.
Pour le Doyen VIANDIER, il faut aller plus loin et
considérer la responsabilité du commandité comme le «
nerf de l'activité économique et le meilleur des stimulations
qui puisse animer un gestionnaire (...). En vérité, le profit
retiré de la responsabilité n'est pas uniquement d'ordre moral,
il participe également du réel en tant qu'il renforce le pouvoir
du commandité, ce qui se traduit de droit à sa manière, en
tenant éloignés de la gestion externe, ceux des associés
qui ne courent aucun danger, les commanditaires
»224.
L'autre aspect du renforcement efficace de la gérance
de la SCS que les acteurs ignorent est de favoriser la transmission du pouvoir
et d'assurer ainsi la continuité de la gérance. Pour certains
auteurs, le moyen juridique existe, c'est l'organisation d'une gérance
« héréditaire »
217 L'objet social d'une
société commerciale est constitué par l'activité
qu'elle entreprend et qui doit être décrite dans les statuts de
cette société, V. art. 19 de l'AUSCGIE.
218 AUSCGIE, art. 177-1.
219 D. MARTIN, « Les pouvoirs des
gérants de sociétés de personnes », RTD com.
1973, n° 185.
220 Il s'agit ici d'une faute du
gérant, susceptible d'aboutir à des sanctions internes, mais elle
n'a aucun impact sur l'engagement de la société à
l'égard du cocontractant dès lors que l'acte accompli entre dans
l'objet social.
221 AUSCGIE, art. 293 relatif à la
définition de la SCS et l'art. 270 concernant les associés en
nom.
222 Ph. MERLE, op. cit., n°157,
p.180.
223 V. Supra., p. 12 s.
224 A. VIANDIER (dir.), J. HILAIRE, H. MERLE et
H. SERBAT, op. cit., p. 213, n° 271.
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par les statuts, qui désignent les futurs titulaires du
poste, qui seront, par exemple, les héritiers du gérant
commandité225.
L'efficacité de la gestion de la société
en commandite simple ne se limite pas seulement à la stabilité
des fonctions du gérant et au renforcement des pouvoirs de ce dernier.
Elle est reflétée également dans le rôle que jouent
les associés de la SCS qui n'y exercent pas les fonctions de
gérants.
§ II. LES QUALITÉS FONDÉES SUR LE RÔLE
DES ASSOCIÉS NON GÉRANTS
Deux aspects du rôle des associés non
gérants de la SCS permettent d'apprécier un autre aspect de
l'efficacité des règles régissant la gestion de la SCS. Il
s'agit démontrer l'utilité résiduelle de la défense
d'immixtion (A) et du mode de contrôle de la gestion
sociale (B).
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