B- Le contentieux devant le juge pénal
En parlant du contentieux devant le juge pénal, nous
parlerons exclusivement de la place de la victime dans le procès
pénal. En effet, La victime a été durant de longues
décennies la grande absente du procès pénal, au profit
d'un duel « Parquet-délinquant » et ce depuis que l'Etat s'est
arrogé le monopole de la poursuite publique, aux alentours du XIVe
siècle107. Toutefois, depuis une vingtaine d'années,
on assiste à une véritable révolution législative
pour reconnaitre effectivement les droits des victimes dans le procès
pénal. Aujourd'hui la victime intervient dans le procès
pénal comme une troisième partie, aux côtés du
ministère public et de la partie défenderesse. Elle peut ainsi
par exemple faire des demandes d'actes au stade de l'instruction et même
avant cela dispose de la faculté de mettre en mouvement l'action
publique. En conséquence, elle exerce un véritable poids face au
Ministère Public, puisqu'elle peut aller à l'encontre de la
volonté de ce dernier. On peut s'interroger ainsi sur la vraie place
qu'occupe la victime dans le procès pénal. De cette
interrogation, deux courants s'opposent. En effet, une partie de la doctrine et
des praticiens est favorable à une place restreinte de la victime dans
le procès, alors qu'à l'inverse une autre partie dénonce
des avancées jugées « timides » ou encore «
insuffisantes » en la matière. « Parmi, les «
opposants » à un rôle actif de la victime dans le
procès pénal, certains auteurs vont jusqu'à affirmer que
la victime ne doit pas intervenir du tout dans ce procès, et qu'elle
doit en être purement et simplement exclue. Selon eux, une immixtion de
la victime dans la sphère pénale correspond ni plus ni moins
à un retour à la vengeance privée, à « un
archaïsme néfaste » pour notre système judiciaire, la
victime s'apparentant alors à « un acteur sauvage »
»selon les termes de Daniel Soulez-Larivière.
Pour Jean Granier dénonçais la montée de
la présence de la victime depuis 1958 lorsqu'il affirmait « la
constitution de partie civile [déshumaniserait] la victime pour en faire
un animal juridique »108. De façon un peu plus
nuancée, Xavier PIN estime que cette privatisation du procès
pénal conduit à un « brouillage des [ses]
finalités du procès pénal et au recul du caractère
impératif de ses règles »109. Toujours dans
le même sens, si le préjudice subi par la victime n'est
évidemment pas remis en cause, on estime que ce dernier peut être
et même doit être réparé par le biais d'une action en
réparation engagée devant les tribunaux civils.
107 Jean Pierre ALLINNE, les victimes des
oubliées de l'Histoire du Droit ? In OEuvre de justice et Victimes
(volume 1), extrait des sessions de formation du site de l'ENM.
108 J GRANIER, la partie civile au procès
pénal, in RSC 1958, p. 11.
109 Xavier PIN, la privatisation du
procès pénal, in RSC et de droit pénal comparé
2002, n°2, p. 245-261.
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A cet égard, Marie-Laure RASSAT, dans un Rapport
relatif à la présomption d'innocence remis au Garde des Sceaux en
1996, justifiait cette exclusion par le manque d'objectivité de la
victime. Selon elle, l'indemnisation allouée à cette
dernière dépendant de la culpabilité de l'auteur
présumé, elle a nécessairement « intérêt
à charger, en mentant au besoin, la personne poursuivie ».
Cependant, d'autres auteurs pensent le contraire, c'est le cas
de Robert Cario qui soutient au contraire que la place conférée
aujourd'hui à la victime reste encore insuffisante, alors que l'Etat
paraît dépassé par la quantité de procédures
engagées''0. En outre, selon lui, « les victimes ne
recherchent pas seulement, dans l'oeuvre de justice, la sanction de
l'infracteur, ni l'indemnisation pécuniaire du préjudice subi.
Elles réclament surtout que la vérité soit affirmée
dans sa complexité et, davantage encore, que leurs droits à la
reconnaissance, à l'accompagnement et à la réparation
globale des traumatismes subis soient effectivement garantis »'''.
Et il apparaît en effet a priori en tous cas, difficile
d'exclure totalement la victime du procès pénal. S'il appartient
effectivement aux représentants de l'Etat, à savoir le
Ministère Public de poursuivre le trouble causé par l'infraction,
la victime n'a-t-elle pas une légitimité à intervenir dans
ce procès alors qu'elle a, elle aussi, subi le trouble causé, et
ce autrement que par le seul biais d'une indemnisation purement
financière ? Les professionnels de l'aide aux victimes expliquent
à cet égard l'importance du procès pénal pour la
victime, dans son processus de reconstruction et de « réinsertion
» dans la société, suite au traumatisme subi par
l'infraction. Dans le même sens, le procès est jugé
nécessaire dans la mesure où il va permettre de trouver sa place
transitoire de victime. En effet, il rétablit les individus comme sujet
de la loi, alors que l'infraction avait placé l'agresseur et
l'agressé hors la loi.''2
Ces mêmes professionnels vont encore plus loin,
puisqu'ils insistent en outre sur la nécessité d'un procès
où la victime serait bien traitée, afin d'éviter ce qu'ils
appellent une « sur victimisation » ou une « victimisation
secondaire »''3. Ainsi, comme le souligne Liliane DALIGAND dans
son Rapport sur la bientraitance des victimes, « la reconnaissance de
leur
110 Robert CARIO, « victimes d'infractions
», article précité »
111 Robert CARIO, in OEuvre de justice et
Victimes (volume 1), introduction, extrait des sessions de formation du site de
l'ENM.
112 Liliane DALIGAND, extrait de la
deuxième concertation interrégionale menée par le
Secrétariat d'Etat aux droits des victimes, CA Versailles, 4 avril 2005,
la victime et le procès pénal ; JAC n°54.
113 La bientraitance des victimes, Liliane
DALIGAND, Rapport remis au Garde des Sceaux en mars 2002, p.6
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statut au cours des procédures, en particulier
pénales, (...) concourt à leur apaisement et à leur
reconstruction psychique par la réparation symbolique ».
Enfin, d'autres auteurs (Robert CARIO, Denis SALAS...) mettent
aussi en lumière les avantages de ce qu'ils appellent la justice
restauratrice.
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