B- Les fondements des prescriptions pénales
La doctrine pénale française a
dégagée plusieurs fondements à la prescription des peines
qui, sont pour la plus part des fondements liés à l'étape
de la poursuite des présumés auteurs
33 Dans ce cadre, il n'est pas toujours
évident de distinguer la règle de l'exception. Pour en donner
deux exemples, v. l'Accord de Linas-Marcoussis du 24 janvier 2003 (concernant
la Côte d'Ivoire), d'une part, et l'Annexe `A' de l'Accord de
cessez-le-feu de la République démocratique du Congo du 10
juillet 1999, de l'autre.
En ce qui concerne l'Accord de Linas-Marcoussis, l'article 3.i
prévoit que : « Le gouvernement de réconciliation nationale
prendra les mesures nécessaires pour la libération et l'amnistie
de tous les militaires détenus pour atteinte à la
sûreté de l'Etat et fera bénéficier de la même
mesure les soldats exilés. ». Alors que le chapitre VI de l'Annexe,
dédié au Programme du Gouvernement de réconciliation,
établie que (§ 3) : « Sur le rapport de la Commission
internationale d'enquête, le gouvernement de réconciliation
nationale déterminera ce qui doit être porté devant la
justice pour faire cesser l'impunité.
Condamnant particulièrement les actions des escadrons
de la mort et de leurs commanditaires ainsi que les auteurs d'exécutions
sommaires sur l'ensemble du territoire, la Table Ronde estime que les auteurs
et complices de ces activités devront être traduits devant la
justice pénale internationale ».
Quant à l'Annexe `A' de l'Accord de cessez-le-feu de la
République démocratique du Congo du 10 juillet 1999, le Chapitre
9 consacré au désarmement des groupes armés
prévoit, au § 1, que: «The Joint Military Commission with the
assistance of the UN/OAU shall work out mechanisms for the tracking, disarming,
cantoning and documenting of all armed groups in the DRC [...] (a). handing
over to the UN International Tribunal and national courts, mass killers and
perpetrators of crimes against humanity; and (b) handling of other war
criminals». Alors que le § 2 établit que : «The Parties
together with the UN and other countries with security concerns, shall create
conditions conducive to the attainment of the objective set out in 9.1 above,
which conditions may include the granting of amnesty and political asylum,
except for genocidaires. The Parties shall also encourage inter-community
dialogue».
34 C'est par exemple le cas de l'Arusha Peace
and Reconciliation Agreement for Burundi du 28 Août 2000. L'article
6 du Protocol I on the Principles and measures relating to genocide, war crimes
and other crimes against humanity, inclut, parmi les Political principles
and measures : «(1) Combating the impunity of crimes ; (2)
Prevention, suppression and eradication of acts of genocide, war crimes and
other crimes against humanity, as well as violations of human rights, including
those which are gender-based; (3) Implementation of a vast awareness and
educational programme for national peace, unity and reconciliation; (4)
Establishment of a national observatory for the prevention and eradication of
genocide, war crimes and other crimes against humanity; (5) Promotion of
regional cooperation to establish a regional observatory for the prevention and
eradication of genocide, war crimes and other crimes against humanity. (6)
Promotion of a national inter-ethnic resistance front to combat genocide, war
crimes and other crimes against humanity, as well as generalization and
collective attribution of guilt. (7) Erection of a national monument in memory
of all victims of genocide, war crimes and other crimes against humanity,
bearing the words "NEVER AGAIN"; (8) Institution of a national day of
remembrance for victims of genocide, war crimes and other crimes against
humanity, and taking of measures that would facilitate the identification of
mass graves and ensure a dignified burial for the victims».
27
des infractions. Deux fondements gouvernent ainsi la
prescription des poursuites pénales, à savoir le fondement moral
(1) et le fondement social (2).
1- Le fondement moral
Les fondements moraux des prescriptions pénales peuvent
être considérés comme les plus anciens. Pour ce courant, le
temps accorde un pardon moral aux auteurs des infractions qu'il faudrait
oublier et ne pas prononcer les sanctions. Cette conception est
considérée par J. PRADEL comme du « romantisme juridique
»35 montrant que l'auteur d'une infraction serait
déjà condamné par son angoisse à l'idée de
penser que son acte lui vaudra une sanction. Ainsi, en attendant une punition
légale, le fautif est déjà sanctionné, ce qui
serait inutile de la sanctionner une nouvelle fois.
Cette théorie peut se justifier par plusieurs
éléments. D'abord, le fait de commettre une infraction pousserait
le fautif à se mettre en marge de la société, donc de
vivre une vie solitaire afin d'échapper à la sanction
légale et par conséquent ne plus commettre d'infraction. Ensuite,
toujours dans la logique de la crainte d'être sanctionné, un
remord va se créer sur l'individu et, le délai de prescription
pénal serait un autre moyen de « sanction pénale indirecte
»36. Aussi, la période d'angoisse subit par le
délinquant lui permettrait de retenir une leçon sur le respect de
la vie sociale, ce qui le pousserait à se remettre sur le droit chemin.
De ces arguments, il ressort que la prescription pénale est une arme
efficace qui permettrait au droit pénal de résoudre les
difficultés liées à l'application des peines. Ce qui
réjouit certains criminologues et pénalistes qui se sont
plutôt rangé de ce côté37.
Le pardon moral qui gouverne cette conception voudrait donc
que la loi fixe un délai de prescription de la peine, adapté
à chaque infraction selon sa gravité.
Ces fondements sont toutefois remis en cause et
critiqués par d'autres auteurs qui pensent que la prescription
pénale est un frein pour le droit pénal et la
société en général. En effet, des auteurs comme
Garraud ou Prins, rejettent cette conception et demandent « comment le
simple écoulement du temps pourrait parvenir à l'amendement du
délinquant alors que la peine ne peut
35 J.PRADEL, Procédure
Pénale, Cujas, 15ème ed., 2010, N°236, p.184 mais aussi
R.MERLE et A.VITU, op. cit., N°50, p.66.
36 M-L.RASSAT, Procédure
Pénale, PUF, 2ème ed., 1995, p.469
37 Voir A.MIHMAN, op. cit., N°257,
p.289
28
pas toujours atteindre ce but »38. Le droit
pénal moderne, à travers sa doctrine, rejette également
cette conception qu'elle qualifie de trop idéaliste du temps qui
passe39.
Face à la réalité d'aujourd'hui, nous
pouvons comprendre dans quelle mesure cette conception, bien que moralement
satisfaisante, ne peut être mis en place. Déjà,
l'idée de penser que la prescription pénale peut être un
rédempteur pour le délinquant, nous emmène à parler
après d'un repentir actif ce qui n'est pas équivoque quel que
soit l'époque. En effet, pour pouvoir se repentir d'un fait
infractionnel il faut premièrement en être conscient et avoir agi
volontairement. Ainsi, la rédemption à un comportement criminel
ou délinquant ne vaudrait que pour une infraction intentionnelle. Bien
qu'un certain sentiment de culpabilité puisse naitre d'une infraction
non intentionnelle, le fait que ce type d'infractions relève d'une
imprudence ou d'une faute qualifiée ne traduit pas la volonté
d'un comportement particulièrement déviant pouvant s'amender par
l'angoisse de la répression. La sanction pénale ici aura
plutôt pour fonction de mettre en avant les responsabilités du
délinquant et non pas contrarier une volonté d'atteinte aux
valeurs sociales de la société40.
Aussi, pour se repentir, il faut être conscient d'avoir
commis une infraction. Dès lors, les personnes ayant commis des
infractions de manière involontaire pourront se repentir puisque
conscient de n'avoir commis aucun acte délictueux. Leurs fautes ayant
créée une infraction pénale mais ils n'en savent rien.
L'expiration des délais de prescription dans cette perspective ne punit
pas d'une manière quelconque le fautif.
Enfin, tout semble à comprendre que ces conceptions ne
prennent pas en considération le problème du récidive.
Pour le Professeur Rassat, « l'absence de poursuites des
premières infractions d'un individu a pu le renforcer dans un sentiment
d'impunité et l'inciter, au contraire, à en commettre de
nouvelles »41. Pour éviter que l'angoisse soit un
élément guérisseur du délinquant, Madame Rassat
ajoute que « l'absence de poursuite a empêché d'appliquer
tout de suite à l'intéressé les mesures qui auraient
été propres à le détourner de la délinquance
»42. Ainsi, faire écouler le temps est un obstacle
à la rédemption du délinquant puisqu'il empèche les
autorités d'intervenir afin de lui venir en aide. Pour le Professeur
Pradel, chaque délinquant réagissant individuellement face
à la possibilité de poursuites, il est impossible
d'établir une
38 A.MIHMAN, ibid.
39 Voir J.PRADEL, op. cit.,
p.184 ; R.MERLE et A.VITU, op. cit., p.66 et 67 ; M-L.RASSAT,
op. cit., p.469.
40 V. FOURMY, « Désordre de la
prescription de l'action publique », Mémoire de master en droit
pénal et science pénale. Faculté de droit,
Université Paris II Panthéon -Assas. 2011.
41 M-L.RASSAT, op. cit., N°290, p.468
42 M-L.RASSAT, ibid
29
théorie sur l'expiation aussi générale
« le temps n'étant pas le même pour tous43. Par
ailleurs, il ajoute que la prescription profite aussi bien aux petits
délinquants, lesquels sont les plus susceptibles de rentrer dans la
norme, qu'aux grands malfaiteurs, ancrés dans un comportement
déviant et nettement moins susceptibles de repentir44.
Les théories moralistes de la prescription
pénale apparaissent comme des formes de réflexions
considérées aujourd'hui comme dépassé. Si certains
peuvent aujourd'hui accepter que les infractions soient parfois
oubliées, il est de plus en plus difficile de concevoir cet oubli sur la
base du remord et du repentir du délinquant. Ainsi, d'autres conceptions
comme l'utilité sociale à la répression ont vu le jour et
semble adéquat à la prescription.
2- Le fondement social
Plus actuel que les fondements moraux, les fondements sociaux
ont tout de même un lien avec les premiers. En effet, les fondements
sociaux de la prescription ont pour but de consolider la paix acquise avec le
temps. Il est pour cette conception, pas normal de poursuivre des
délinquants après un temps écoulé alors que les
faits qui leurs sont reprochés ont perdu de traces dans la
société. Ainsi, pour cette conception sociale, c'est l'impact
social de l'infraction qui doit être visé. Dès lors qu'il
cesse avec le temps, il ne convient plus de demander justice.
Le droit pénal dont la fonction est de sanctionner les
troubles sociaux par une infraction, son but est celui de mettre en place une
paix sociale. Toutefois, si par le temps, l'impact d'une infraction n'est plus
visible, les effets de celle-ci sont oubliés, il ne serait pas
nécessaire de recourir aux sanctions pénales puisque la paix et
la sécurité sociale ont été restaurées
d'elles même. Comme le dit le Professeur Bouloc, « au bout d'un
certain temps, mieux vaut oublier l'infraction qu'en raviver le souvenir
»45. Si le temps a pour vertu de permettre à la
société d'oublier l'infraction il serait alors inopportun de
déclencher l'action publique tardivement car le déclenchement des
poursuites aurait pour effet de rappeler à la société le
trouble qu'elle a subi et ainsi « mettre en péril
l'équilibre retrouvé46. Les poursuites tardives dans
cette perspective perdent leur rôle fondamental qui est de veiller sur la
paix et la sécurité sociale. Ainsi, le Professeur Rassat affirme
que « qu'il est inopportun de manifester aussi
43 J.PRADEL, op. cit., p.184
44 J. PRADEL, ibid. « la
prescription est pernicieuse (...) Elle nuit à la protection de la
société en profitant aussi bien aux grands malfaiteurs qu'aux
petits délinquants alors que le temps ne saurait atténuer les
dangers des premiers. »
45 B.BOULOC, Procédure Pénale,
Dalloz, Coll. Précis, 22ème ed, 2010, N°203, p.173.
46 A.MIHMAN, op. cit., N°257, p.288
30
spectaculairement l'inefficacité d'un
système pénal qui met des années avant de se saisir des
délinquants »47. La prescription serait ici un
moyen de pardon permettant de mettre en place une paix sociale. Le
législateur met en place un délai pour la restauration de la paix
et de la sécurité sociale en fonction des infractions, tout en se
basant sur la classification de celles-ci.
Les fondements sociaux, comme les fondements moraux ont
également fait l'objet des critiques. D'abord, comment affirmer que
l'impact de l'infraction s'atténue avec le temps et donc l'application
de la prescription est possible alors même que la poursuite pénale
n'a pas pour seul rôle de sanctionner, mais aussi de prévenir
l'avenir ? Comme pour les conceptions moralistes, l'acquisition de la
prescription, résultant en l'impunité de l'auteur d'une
infraction, n'assure pas son intention de ne plus récidiver dans son
anti socialité. La paix sociale n'est dans cette perspective pas
assurée par l'absence de poursuites. La prescription semble donc ici
encore profiter aux délinquants de toute espèce sans pour autant
les inciter à rentrer dans la norme. Aussi, si l'opinion publique ne
souffre plus de l'infraction, il n'en demeure pas moins qu'une atteinte lui a
été portée et qu'ainsi il est nécessaire d'y
apporter une réponse.
Par ailleurs, le pardon qui est certes un
élément fondamental pour l'instauration de la paix et de la
sécurité, n'est pas généralisé à tous
les troubles car certains ne finissent pas. Chaque crime ne s'équivaut
pas et cette affirmation est aussi valable pour les délits. Ainsi un
génocide n'équivaut pas en termes de gravité un vol
à main armée48 alors que ces deux infractions sont des
crimes. Il ressort aujourd'hui que notre législation prend en compte ces
différences de gravité entre infractions. Les crimes contre
l'humanité dont le génocide fait partie, sont
imprescriptibles49 alors que le vol aggravé donné en
exemple se prescrit selon la règle de l'article 7 du Code de
procédure pénale par dix années révolues.
Paragraphe II : La manifestation des amnisties et des
prescriptions pénales A- Les manifestations des amnisties
Fondées sur la ratification des conventions
internationales relatives au DIDH et au DIH comme les CG, le PIDCP mais
également sur les constitutions de différend Etats, la
manifestation des amnisties ou la procédure de leur mise en place est
clairement défini. En effet, suivant le cas particulier de la RCA qui a
récemment mis en place une amnistie des crimes,
47 M-L.RASSAT, op. cit., N°290,
p.468.
48 Article 311-8 CP français
49 Article 213-5 CP français.
31
la constitution de ce pays précise que c'est à
l'Assemblée Nationale d'adopter les lois d'amnisties, avant leur
promulgation par le chef de l'Etat.
En effet, l'article 41 de la Constitution centrafricaine du 13
mars 2016 dispose que : « lorsque les circonstances l'exigent, le
Président de la République peut soumettre au referendum,
après avis du Conseil des Ministres, celui du Bureau de
l'Assemblée Nationale, celui du bureau de Sénat et celui de
Sénat et celui du Président de la Cour Constitutionnelle, tout
projet de loi ou, avant sa promulgation, toute loi déjà
votée par le Parlement ».
Cette disposition de la Constitution centrafricaine est une
affirmation que la volonté du peuple est nécessaire pour toute
manifestation de l'amnistie. Aussi, nous pouvons comprendre que seule le
Parlement a le plein pouvoir pour la mise en marche des amnisties puisque
représentant le peuple de manière souveraine.
Cependant, on distingue plusieurs types d'amnisties dont les
amnisties générales et les amnisties réelle. Les premiers
s'appliquent sur tous les présumés auteurs d'infractions et des
crimes commis sur un territoire et, n'est valable que pour le pays ou les faits
se sont produits et qui promulgué la loi d'amnistie. L'amnistie
générale exonère de vastes catégories d'auteurs de
violation des DH50. Les amnisties réelles par contre,
concernent des faits précis définis par le législateur.
Ainsi, les personnes ayant été emprisonnées pour des faits
amnistiés sont automatiquement libérées peu importe leurs
condamnations. Une illustration de l'amnistie réelle est faite par le
législateur Congolais en 2005 lorsqu'il dit : « Il est
accordé une amnistie pour les faits de guerre, infraction politique et
d'opinion à tous les Congolais résidents au pays ou à
l'étranger, inculpé, poursuivis ou condamnés par une
décision de la justice51. ».
D'autres types d'amnisties peuvent être cités
comme les amnisties conditionnelles, les amnisties personnelles ou encore les
amnisties mixtes. Toutefois, toutes ces amnisties se manifestent de la
même façon, selon qu'elles dépouillent «
rétroactivement certains faits de leurs caractère infractionnel.
». Gacon (S) et Citron écrivaient sur ce point : «
l'amnistie est un processus juridique surprenant par l'effet radical qu'il
impose : On oublie tout, rien ne s'est passé52.
».
50 Garth, (M.), et al. «
Amnisties with universal juridiction », in international Law Forum, 2000,
vol. 2, n2, p.76.
51 Loi congolaise N 05-023 du 19
décembre 2005 portant amnistie des faits de guerre, d'infractions
politiques et d'opinion.
52 Gacon, (S) et al., «
Amnistie- Les commentaires de la mémoire officielle », in Oublier
nos crimes :L'amnésie nationale, une spécificité
française ? p.100.
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