L'accord de Paris dans l'enjeu climatiquepar Assiri A. Ephraïm OBROU Université Catholique de l'Afrique de l'ouest- Unité Universitaire à Abidjan (UCAO-UUA) - Master en droit public 2019 |
Paragraphe 2 : Le recours juridique mis hors proposL'Accord de Paris interdit le recours juridique à ses Parties lorsque celui-ci a pour fondement son article 8 (A) et par cette même occasion il rechigne l'application du principe du pollueur-payeur (B). A- Le déni de la responsabilité fondée sur l'article 8 de l'Accord La responsabilité environnementale est une occasion de mettre en cause un Etat. Traditionnellement, ce dernier peut en effet être condamné pour faits de pollutions ou d'atteintes à l'environnement qui lui sont directement imputables241. Il suppose ainsi qu'à chaque moment qu'un Etat provoquera du fait de ses activités des dommages à l'environnement d'un autre Etat, il sera indexé et condamné pour cette raison. L'Accord de Paris s'engage sur ces sentiers mais pas de la façon dont on l'espérait. En effet, il laisse hors de lui les longues séries de discussions qui portaient jadis sur un système contentieux environnemental. Il a préféré intégrer à son dispositif un système ingénieux mais insuffisant pour répondre aux attentes des Parties en développement. Il s'agit du Mécanisme international de Varsovie sur les pertes et préjudices liés aux incidences climatiques242 prévu antérieurement par la Conférence de Varsovie en 2013. Celui-ci est placé sous l'autorité de la Conférence des Parties à la CCNUCC agissant comme réunion des Parties à l'Accord de Paris. Il est principalement axé sur les dommages dus aux changements climatiques. Ainsi, il vise à améliorer la compréhension, l'action et l'appui nécessaire pour parer aux effets néfastes des changements climatiques. Selon ce texte, le préjudice serait réparable contrairement aux pertes 240 KAMTO (M.), Droit international de la gouvernance, Paris, Pedone, 2013, pp. 74-75 241 FONBAUSTIER (L.), « L'Etat et la responsabilité environnementale », Le droit et l'environnement, Dalloz, 2010, p. 131 242 Art. 8 § 2 de Accord de Paris 82 qui seraient irréparables243. Les pertes résulteraient d'impacts permanents, irrémédiables alors que les préjudices seraient réversibles244. Comme on le constate, l'obligation environnementale majeure qui réside dans le mécanisme de Varsovie est une obligation d'anticipation et de prévention dont le contenu exact peut varier d'une activité à l'autre ou selon les moyens et progrès techniques245. Le mécanisme de Varsovie laisse en dehors de lui les considérations portant sur la réparation des dommages environnementaux. Plus loin, lorsqu'on passe en révision tous les paragraphes de la décision qui précède l'Accord, on constate un élément perturbant. Rajoutons que la Décision et l'Accord lui-même sont à interpréter l'un par rapport à l'autre. C'est dire combien de fois les deux instruments sont liés. En effet, la Décision ponctue d'une manière particulièrement vorace l'interdiction d'utiliser les dispositions de l'Accord, plus précisément de l'article 8, pour donner lieu à la responsabilité environnementale d'une quelconque Partie. Suivant les termes de la décision de l'Accord de Paris, il est convenu que l'article 8 de l'Accord ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation246. En outre, le mécanisme de Varsovie relatif aux pertes et préjudices ne peut fonder le droit pour une Partie de réclamer réparation pour les dommages. En outre, les pays pauvres sont privés de recours juridique247 pour les effets néfastes du réchauffement qu'ils subissent sans pour autant en être les principaux responsables. Les pollueurs historiques dont les activités sont à la base de la hausse fulgurante des températures ces dernières décennies ne sont pas inquiétés car les barrières qui ont été posées par l'Accord les protègent de leurs responsabilités. L'on note une fissure entre l'ambition de l'Accord de faire participer tous les pays à la lutte contre le réchauffement climatique et celui de l'application effective de la justice climatique. On note sur cette position, une certaine stagnation de l'Accord. Il est acquis qu'un dommage ne fonde un droit à réparation que s'il a une existence certaine et s'il est ressenti par une victime. Dans l'Accord, le refus de donner lieu à des poursuites sur la base de l'article 8, vient se poser en muraille insurmontable. Toute Partie qui pourrait souffrir des dommages environnementaux sur son territoire ne pourra pas se baser sur l'Accord pour poursuivre au niveau international les pollueurs historiques. Identiquement, 243 MALJEAN-DUBOIS (S.), « Le mécanisme de Varsovie relatif aux pertes et préjudices lés aux changements climatiques », p. 125 244 HUQ (S.), ROBERTS (E.), et al., « Loss and Damage », n°3, vol. 11, Nature Climate Change, 2013, p. 948 245 DOUMBE-BILLE (S.), MIGAZZI (C.), et al., Droit international de l'environnement, Larcier, 2013, p. 172 246 § 52 Décision 1/CP 21 de l'Accord de Paris 247 MASSEMIN (E.), « Climat : qu'y a-t-il vraiment dans l'accord de Paris ? », 14 décembre 2015 https://reporterre.net/Climatqu-y-a-t-il-vraiment-dans-laccord-de-Paris/ 83 le Protocole de Kyoto et la Convention de Vienne sur la protection de la couche d'ozone ne disposent pas de mécanisme de mise en cause de la responsabilité environnementale internationale de leurs Parties. Les avancées, dans cette matière, que l'on espérait de l'Accord de Paris ne sont visiblement pas au rendez-vous. Les termes de la Décision de l'Accord constituent une reprise des défaillances des conventions antérieures mais aussi un mur pour les Etats Parties susceptibles d'être impactés par les activités d'un autre Etat Partie. Toutes les négociations sur un contentieux international environnemental semblent avoir avorté. En refusant de donner droit à une Partie de soulever la responsabilité d'une autre sur la base de son article 8, l'Accord rechigne l'application du principe du pollueur-payeur. B- Le refus de l'application du principe de pollueur-payeur Le principe du pollueur-payeur s'entend comme la compensation des dommages causés par les pollueurs eux-mêmes. Il vise à réduire l'impact de l'activité humaine sur l'environnement en favorisant les activités non polluantes. Ainsi, les pollueurs vont prendre en charge les dépenses relatives aux effets de leur pollution248. En principe, la responsabilité environnementale est un principe qui fait que celui qui provoque une atteinte à l'environnement doit être amené à réparer les dommages qu'il a causés. Malheureusement, l'Accord, en interdisant de donner suite à la responsabilité d'un Etat Partie pollueur, met à mal la réalisation de ce principe. L'Accord ne reconnait pas que les pertes et préjudices pourraient se traduire par une compensation de la part des pays historiquement responsables des changements climatiques249. Cela quand bien même la Partie atteinte aurait toutes les composantes qui prouvent que les catastrophes climatiques qu'elle a subies ont provoqué de graves dommages sur son territoire. Le défaut de réparation s'annonce comme une conséquence du refus de la responsabilité basée sur l'article 8 de l'Accord. Encore, c'est une autre conséquence de l'absence de l'établissement d'un contentieux international climatique. Son établissement aurait pu transcrire au niveau international ce principe. En s'abstenant de mettre en pratique ce principe, l'Accord laisse à l'abandon les victimes de potentielles 248 « Le principe du pollueur-payeur », 04 avril 2014, http://www.novethic.fr/ 249 « COP 21 : Notre analyse de l'accord », France Nature Environnement, https://www.fne.asso.fr/dossiers/cop-21/notre-analyse-de-laccord/ 84 pollutions. Le principe du pollueur-payeur est explicite, il vise à faire payer celui qui pollue250. En effet, privées de la mise en oeuvre du principe au niveau international, les États touchés sont obligés de supporter la charge de la pollution. Bien que le mécanisme de Varsovie prévoie la mise en place de système d'alerte précoce, la préparation aux situations d'urgences251, il ne peut pas servir de base à une demande de réparation comme l'interdit la Décision de l'Accord. Il constitue à l'analyse un appui plus technique que financier aux pays du Sud, en particulier aux pays les plus vulnérables, pour faire face aux changements climatiques. Autrement dit, le mécanisme international de Varsovie n'est pas un mécanisme international de compensation des dommages climatiques basé sur le principe du pollueur-payeur252. Son rôle est relativement limité à l'information, la coordination et l'échange de bonnes pratiques entre les États Parties. On oserait, avec toute la prudence possible, qualifier ce fait comme constituant une incohérence. Pourtant, l'Accord de Paris ne propose aucun mécanisme de compensation qu'elle soit sous forme économique, financière ou en nature. D'un autre côté, nous avons aussi la violation d'un principe essentiel en droit de l'environnement. La Déclaration de Rio reconnaît que c'est le pollueur qui doit, en principe, assumer le coût de la pollution, dans le souci de l'intérêt public et sans fausser le jeu du commerce international et de l'investissement253. Il est vrai que la déclaration n'est pas juridiquement contraignante254. Toutefois, il est vraisemblable que, comme dans le cas des déclarations des Nations-Unies sur les droits de l'homme, les gouvernements se sentent obliger d'y adhérer. En refusant d'admettre une indemnisation directe des victimes par les coupables des dommages, l'Accord s'inscrit en porte-à-faux du principe 16 de la Déclaration de Rio. Et pourtant, celui-ci constitue l'un des piliers essentiels du droit de l'environnement. Ce principe devait trouver sa consolidation dans la construction d'un contentieux international climatique, mais il n'en est rien. Les pollueurs historiques qui devaient en principe payer pour les conséquences de la forte industrialisation qu'ils avaient entamé par le passé, se trouvent délivrer de tout poids. On peut affirmer sans sourciller que l'Accord témoigne d'un total évitement des mesures réparatrices. La mise en application de ce principe peut englober des 250 DOUMBE-BILLE (S.), MIGAZZI (C.), et al., Droit international de l'environnement, Larcier, p. 69 251 Art. 8 § 4 Accord de Paris 252 MALJEAN-DUBOIS (S.), « Le mécanisme de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux changements climatiques », p. 128 253 Principe 16, Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, juin 1992 254 Déclaration de Rio, http://www.un.org/ 85 mesures réparatrices, telle la remise en état des lieux, une action civile en réparation des dommages255. Cependant, l'Accord ne permet pas une telle approche. Il condamne ainsi les pays en voie de développement à subir les répercussions d'une pollution à laquelle ils étaient totalement étrangers. On constate ici que la neutralité carbone chérie par l'Accord est vidée de sa substance. Aussi, l'absence d'un contentieux international climatique fait douter des mises à jour que les Parties en développement espéraient voir se matérialiser à l'issue de la COP 21. Tout ceci vient tirer en arrière l'enjambée grandiose que semblait entamer l'Accord. 255 LITTMANN-MARTIN (M-J.), LAMBRECHTS (C.), « La spécificité du dommage écologique », Le dommage écologique en droit interne, communautaire et comparé, Economica, Paris, 1991, p. 50 86 |
|