PARTIE 2 :
LES INSUFFISANCES DE L'ACCORD
La démarche entreprise par l'Accord pour atteindre son
objectif de limitation de la hausse des températures se dessine par
moment hésitante ou boiteuse. Les articles qu'elle contient et qui
constituent son cheval de course témoignent de certaines insuffisances
qui viennent contraster ses innovations. En effet, les obligations d'une
convention environnementale pour qu'elles soient exécutées de
manière efficace doivent être sans équivoque. En outre,
elles doivent suffisamment être claires pour que l'exécution par
les Parties soit davantage facilitée. A ce niveau, l'Accord de Paris
semble avoir manqué de cette précision si vitale à la
réalisation effective de son objectif de réduction des
émissions de gaz à effet de serre. Certaines obligations qu'il
impose aux Parties vont à contre-courant de l'ambition qu'il nourrit.
Aussi, nous détectons un problème de taille. La conférence
qui a donné naissance à l'Accord de Paris a été le
théâtre de plusieurs discussions. Les Parties présentes, et
principalement les pays en développement, nourrissaient le rêve de
voir des matières importantes prendre forme contraignante au sein de
l'Accord. Malheureusement, la lecture du résultat de la COP 21 laisse
comprendre que plusieurs matières essentielles à la lutte contre
le réchauffement climatique et chères aux pays en
développement ont simplement été jetées dans le
néant. En somme, des incompréhensions se soulèvent et des
vides sont découverts dans l'Accord de Paris. Ainsi, l'on se rend compte
que vis-à-vis des conventions précédentes
déjà étudiées, l'Accord sur certaines
matières clés stagne ou même avance à reculons. De
nombreux hiatus ressortent de son cadre multilatéral insuffisamment
précisé (Chapitre 1) et des matières
névralgiques hors du texte (Chapitre 2).
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CHAPITRE I : UN CADRE MULTILATERAL INSUFFISAMMENT
PRECISE
Au sens du droit international, « tout traité
en vigueur lie les parties et doit être exécuté de bonne
foi »157. L'exécution de bonne foi exige que les
cocontractants usent de leurs prérogatives de manière raisonnable
en s'abstenant de toute mesure contraire aux buts du
traité158. Ainsi, pour que ces obligations puissent
être exécutées de manière efficace il est
nécessaire qu'elles soient clairement précisées. Or,
l'Accord de Paris ne livre pas tous les éléments indispensables
pour l'accomplissement de certaines obligations. Pourtant, celles-ci sont
vitales pour la bonne marche de la lutte contre le réchauffement
climatique. Le système financier établi par l'Accord comporte des
imprécisions d'une importance dangereuse. En somme, l'Accord de Paris
reprend par endroit les écueils des précédentes
conventions et semble même avoir reculé. Cela se ressent dans les
obligations multilatérales mal définies (Section
1) et dans le système financier partiellement
éclairé (Section 2).
Section 1 : Des obligations multilatérales mal
définies
L'Accord de Paris, comme certaines conventions en droit de
l'environnement, impose à ses Parties une panoplie d'obligations
censées faire progresser la lutte contre le réchauffement
climatique. Malheureusement, leur imprécision fait craindre la
progression de la lutte contre l'augmentation des températures. Ces
imprécisions se retrouvent dans la nature des contributions
déterminées au niveau national (Paragraphe 1) et
dans la périodicité défaillante du dépôt de
celles-ci (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'imprécision des contributions
déterminées au niveau national
Les contributions déterminées au niveau national
sont au coeur de l'Accord de Paris et de la matérialisation de ses buts
sur le long terme. Pourtant, celles-ci sont insuffisamment
157 Art. 26, Convention de Vienne sur le droit des
traités
158 ROCHE (C.), L'essentiel du droit international
public, 2019, Gualino, p. 26
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précisées car les cibles qu'elles doivent
contenir sont incertaines (A) et leur rehaussement avant le
bilan (B) est imprécis.
A- Les cibles incertaines des contributions nationales
Comme nous l'avons relevé plus haut, l'Accord fait
mention des contributions nationales que sont censés établir les
États Parties.
Chaque partie est censée communiquer une
contribution déterminée au niveau national tous les 5
ans159. Elles ont ainsi l'obligation de préparer,
communiquer et de respecter celles-ci et de prendre des mesures à
l'échelle nationale en vue d'atteindre les objectifs qui y sont
fixés160. A ce niveau, on note une difficulté qui
s'attache au contenu des contributions déterminées au niveau
national. Il n'est expliqué nulle part dans l'Accord, le contenu de
telles contributions. La notion de contribution déterminée au
niveau national n'est pas exactement circonscrite par l'Accord. En outre, elle
n'est pas définie et sa qualification juridique reste incertaine. S'il
est vrai que l'établissement des contributions nationales des Parties
constitue une obligation de résultat, l'ensemble des
éléments se trouvant à l'intérieur ne sont
nullement abordés. Aucune disposition de l'Accord ne définit
clairement les éléments obligatoires qui doivent se retrouver
dans les contributions déterminées au niveau national. Nous avons
donc un contenant mais vidé de sa substance. L'Accord dit que les
contributions doivent être prises dans des domaines qui permettront
à la Partie en question d'atteindre ses engagements au sein de la
convention climatique. Quant à savoir quels sont les secteurs exacts sur
lesquels les Etats Parties devront s'appesantir pour prendre et honorer leurs
contributions nationales, on note une hésitation de l'Accord. Or, les
contributions déterminées au niveau national sont
impérieuses pour permettre aux Parties, dans leur globalité,
d'atteindre le but ultime de la Convention. Ainsi, les contributions
déterminées au niveau national, centrales pour atteindre les
objectifs de l'Accord, ne sont pas dans le traité ni en annexe de
celui-ci161. Il préfère laisser la latitude aux
États de choisir le domaine, les activités qu'ils pensent pouvoir
le mieux répondre aux objectifs majeurs qu'il leur indique en son
article 2.
159 Art. 4 § 9 de l'Accord de Paris sur le Climat
160 « Contributions déterminées au niveau
nationale et cycles d'évaluation »,
https://www.climat.be/politique-climatique/internationale/accord-de-paris/contributions-determinees-au-niveau-national-et-cycles-d-evaluation/
161 LAVALLEE (S.), MALJEAN-DUBOIS (S.), « L'Accord de
Paris : fin de la crise du multilatéralisme climatique ou
évolution en clair-obscur ? », Revue juridique de
l'environnement, 2016, p. 10
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La difficulté est toute grande car le risque majeur est
de voir les Parties porter toute leur attention sur des domaines à
l'emprunte carbone quasi nulle. Le choix d'un secteur important peut être
décliné par les dirigeants au profit d'un autre162.
Cet éventail de possibilités ne garantit aucunement
l'efficacité et l'accomplissement des ambitions de l'Accord. On ne
saurait nier le caractère vital des contributions nationales. C'est
suivant elles que va s'opérer le réajustement des ambitions
prévu lors du bilan mondial. Alors, le fait qu'il n'y ait aucune
précision sur leur contenu se dénote comme un danger.
Quant à la forme du document supposé contenir
les contributions « déterminées au niveau national
» et confirmer leur mise en oeuvre, un autre problème surgit.
Le manque d'entrain de l'Accord pour une description ou pour l'adoption d'une
forme particulière du document est inquiétant. Tout porte
à penser que celle-ci est abandonnée au bon gré des
Parties. Autrement dit, l'Accord n'impose pas aux Parties une forme exacte de
l'instrument censé contenir les contributions déterminées
au niveau national. Tout ce que l'on peut tirer des dispositions de l'Accord de
Paris et de la décision qui le complète, c'est que les Parties
sont astreintes à l'obligation d'établir un instrument qui va
contenir leurs contributions nationales. C'est ce document dont la forme sera
choisie par la Partie, qui devra par la suite être transmis au
secrétariat qui se chargera de l'inscrire au registre public. Cette
autre imprécision de l'Accord est fort intrigante.
Lorsque l'on jette un regard averti sur le Protocole de Kyoto,
il s'avère plus avenant que l'Accord au sujet de la détermination
des contributions nationales. En effet, celui-ci énonce avec
limpidité les domaines dans lesquels les Parties sont obligées de
prendre des mesures. Les programmes qu'elles établissent doivent
impérativement prendre en compte plusieurs secteurs. Ils doivent
concerner les secteurs de l'énergie, des transports et de
l'industrie ainsi que de l'agriculture et la gestion des
déchets163. En somme, les Etats Parties sont astreints
à articuler leurs programmes autour de ces secteurs principalement. Il
faut ajouter à cela que les Parties ont la possibilité de se
pencher sur d'autres domaines dont les réductions de gaz à effet
de serre sont susceptibles de participer grandement à la lutte contre le
dérèglement climatique. Tout compte fait, les Parties au
Protocole de Kyoto doivent tout mettre en oeuvre pour que leurs contributions
touchent immédiatement les domaines énumérés. Comme
on peut le remarquer, les mesures telles que présentées dans les
dispositions du Protocole de Kyoto ne sont en aucune
162 LAVALLEE (S.), « Quelques réflexions sur
l'Accord de Paris et la souveraineté économique des États
», Protection du Climat et souveraineté étatique,
Vertigo, mai 2018
163 Art. 10 § b) al. i), Protocole de Kyoto
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manière évasives comparées à
celles de l'Accord de Paris. Les secteurs déterminés constituent
des pans majeurs de la lutte contre le réchauffement climatique. Comme
l'évidence se présente, les dispositions du Protocole de Kyoto
sont plus précises et par cela même ne laissent pas la latitude
aux Parties de trouver une échappatoire comme c'est le cas dans l'Accord
de Paris. Le Protocole met à charge des Parties des obligations
nettement circonscrites comme le requiert la matière climatique.
La teneur et les cibles des contributions sont incertaines
dans l'Accord. Tout ceci tend à prouver que les contributions
déterminées au niveau national ne sont pas dotées d'un
statut juridique précis164.
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