La vaste étendue nous oblige à la concision.
« Ça se dit, ça se chante, ça se joue, ça se
mime les comptines », affirmait soigneusement Soussan (2007).
Effectivement, la comptine peut être parlée, chantée,
gestuelle (Pasquier & Vaillaut, 2007). Plusieurs catégories de
comptines coexistent, possédant chacune leur richesse singulière
(Gauthier & Lejeune, 2008). Parmi elles, on peut en citer quelques-unes
:
- « Les formulettes d'avant conter »
- Les comptines s'inscrivant dans les jeux de mots ou jeux de
sons. Exemples : « Une oie, deux oies, trois oies, quatre
oies, cinq oies, six oies, sept oies (c'est toi) » ou « Le jars est
jaloux des jolis jarrets »
- Les jeux de mains ou de doigts associant la
mimo-gestualité à la parole. Exemple : « Ainsi
font font font, les petites marionnettes... »
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- Les jeux chantés ou rondes favorisant les repères
spatio-temporels de l'enfant.
(Soussan)
Au niveau structurel, on peut avoir affaire à des :
- « Comptines courtes à un couplet
- Comptines et chansonnettes à plusieurs couplets
(même air, paroles changent)
- Comptines et chansonnettes à couplets et refrains
(même air, paroles changent) »
(Lescout, 1985)
En pratique, j'ai choisi d'exploiter la deuxième
option, en associant les gestes et les mimes à haute dose. Au
départ, aucune règle n'était fixée, et les
comptines se créaient instinctivement. C'est en réalité un
vrai travail de composition.
La comptine n'appartient qu'à l'univers de l'enfant
(Lescout, 1985). Selon Gauthier & Lejeune (2008), elle fournit un excellent
biais de soutien pour « les apprentissages surtout cognitifs,
psychomoteurs et sociaux ».
? Intérêt affectif :
D'après Lescout (1985) ,Resmond-Wenz (2008), et
Gauthier & Lejeune (2008), la part affective gravitant autour de la
comptine est capitale. Par exemple, l'enfantine émise au moment du
coucher alliée à la proximité corporelle amène un
plus à la relation. Il s'agit là d'un moment intime empli
d'échanges, indispensable pour consolider les liens entre parents et
enfants.
À l'école, l'enfant a besoin de se sentir en
sécurité. L'entrée en maternelle s'apparente à un
lourd « déracinement ». Le changement, déjà
radical pour un petit possédant la langue officielle du pays, devient
bouleversant pour un enfant de migrant. Lescout poursuit en parlant de «
groupe familial réparateur », qui rallierait les écoliers
fraîchement débarqués autour de la comptine, dans une
atmosphère chaleureuse et réconfortante leur permettant de mieux
percevoir la transition. Aménager spécialement un endroit en
instaurant un instant musical comme celui-ci et en faire une coutume ne serait
qu'avantageux. Dans ma partie pratique, j'ai tenté d'appliquer ce
principe avec les ressources disponibles sur place, ainsi qu'avec des
accessoires personnels (coussins...).
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? Intérêt gestuel .
·
Si un jeune enfant possède quelques difficultés
d'expression verbale, la mimo-gestualité associée aux enfantines
ne pourra que le rassurer et l'encourager dans un autre canal de communication.
Les échanges ne seront pas rompus. Il pourra ainsi patienter sereinement
en attendant d'acquérir le code verbal, plus usité en
société. Gauthier & Lejeune (2008) prétendent qu'un
mime spontané témoigne d'une écoute attentive.
Par ailleurs, une comptine se doit d'être vécue
en plus de vivre (Goëtz-Georges, 2006 ; Lescout, 1985). Gauthier &
Lejeune mentionnent une de leurs études démontrant une
progression générale de l'enfant bien qu'il n'ait jamais
souhaité chanter la formulette, se contentant d'y associer les
gestes.
? Intérêt social .
·
Comme dit précédemment, le jeu semble
être la discipline considérée par la croyance populaire
comme la plus appropriée pour énoncer des comptines. Or, il n'y a
pas qu'un seul et unique environnement propice à la comptine. Que ce
soit dans les cours de récréation, dans le cadre familial, dans
les colonies de vacances : la chansonnette réunit, rassemble. Un pur
instant de partage se créé autour de ces comptines. Il serait
aberrant de penser à déloger ce folklore de l'école
maternelle. Former des groupes et solliciter le vécu permettrait de
minimiser les différences interindividuelles (Gauthier & Lejeune,
2008 ; Lescout, 1985).
? Intérêt scolaire .
·
Les formulettes sont désormais couramment
employées à des fins pédagogiques, en vue des
différents apprentissages conceptuels (nombres, espace, temps...)
(Gauthier & Lejeune, 2008). Afin de mieux appréhender la lecture,
l'utilisation de la comptine est préconisée en maternelle.
Goëtz-Georges (2006) atteste de sa présence dans les programmes
officiels français depuis peu. Sa représentation sur un support
écrit est appréciable, dans la mesure où les images, les
dessins ou les photos sont situés non loin du mot symbolisé.
Ainsi, les enfants auront un premier aperçu du patron
général du terme écrit. Ils commencent également
à prendre conscience de la correspondance entre l'oral et
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l'écrit, comme le soulignent Lescout (1985) et Gauthier
& Lejeune. L'expérience réalisée avec Dilahan et
Naïsha illustrera ces dires.
? Intérêt mnésique.
L'appropriation d'une comptine ne pourra s'ancrer solidement
que si l'enfant est confronté à une répétition
régulière de celle-ci. L'idéal serait de l'exercer 10
à 15 fois pour une mémorisation relativement correcte. Ainsi,
l'enfant pourra « anticiper, prévoir, intérioriser et
traiter les données » (Lescout, 1985, p.36). Savoir une comptine
sur le bout des doigts permet également aux parleurs les plus timides
d'oser prendre la parole. Exploiter ainsi des enfantines entraîne
excellemment la mémoire, cette dernière étant cruciale
pour tout apprentissage de la vie. Sans mémoire, on ne peut apprendre
(Robert, 2011). Enfin, l'aspect musical permettrait une mémorisation
plus efficiente engendrant une vive reconnaissance avec un nombre
d'écoutes pourtant limité (Resmond-Wenz, 2008). Ce phrasé
vient motiver mon hypothèse initiale.
? Intérêt langagier .
C'est le gain mis le plus en évidence, puisque la
comptine intervient à différents niveaux dans ce domaine. Rien
que l'écoute donnera une idée à l'infans (qui ne parle
encore pas) de l'allure prosodique de sa langue.
Les virelangues et les sonorités qui se taquinent
familiarisent l'enfant et lui inculquent tout naturellement le système
phonologique cible.
Exemple : « Am Stram Gram, Pic et Pic et
Colégram, Bour et Bour et Ratatam
Am Stram Gram »
L'attention affinée grâce à la
répétition, il parviendra plus aisément à
distinguer les sons de sa langue pour plus tard les manipuler.
La comptine optimisera également la rencontre avec de
nouveaux mots, et participera à l'augmentation de son stock lexical.
L'articulation doublée de la prononciation ne s'en trouveront
qu'améliorées. (Gauthier et Lejeune, 2008).
Entraîner l'enfant à apprendre une comptine de
façon cadencée l'emmène progressivement sur le chemin
syntaxique de sa langue maternelle. L'exploration ludique d'une structure
linguistique permet une imprégnation plus efficace (Goëtz-Georges,
2006).
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L'assertion de Gauthier & Lejeune disant qu'avoir recours
à des chants, spécifiquement des comptines, serait d'un
bénéfice extrême lorsqu'il s'agit d'apprendre
précocement une langue étrangère. Cet
élément milite en faveur de la pratique qui suivra.
En conclusion , cet « art mineur » mêlant
« verbe et poésie » sublimé si l'instrumental se greffe
à la parole (Bruley & Painset, 2007), conduit au plein
épanouissement de l'enfant, et contribue à son éducation
et à son développement global dès le plus jeune âge
(Gauthier & Lejeune, 2008). La comptine n'est qu'un contexte parmi d'autres
opérant dans l'acquisition d'une langue, différant des
méthodes classiques par son originalité. (Lescout, 1985)