II.2.2. Controverse du sens de
la relation entre le développement financier et la croissance
Le sens du lien entre le développement boursier et la
croissance économique fait l'objet d'une intense controverse, non
seulement théorique, mais aussi empirique. En effet, s'il est bien admis
que le marché boursier stimule la croissance (résultat
prouvé par les récents travaux se réclamant de la
théorie de la croissance endogène), il apparaît aussi
évident que cette dernière pourrait provoquer le
développement des marchés financiers. Cette thèse a
été soutenue au début des années 50 par Joan
Robinson. Selon cette dernière, le développement
économique crée la demande d'un certain nombre de services
financiers, lesquels sont automatiquement fournis par le système
financier. Le secteur financier répond donc passivement et simplement
à la croissance et ne peut jouer de rôle fonctionnel dans le
processus de développement économique. Le développement
boursier n'est dans ce contexte, qu'une résultante de la croissance car
« là où la croissance conduit, la finance suit
» cité par Robinson (1952, p 86). Notre hypothèse 2 est
ainsi vérifiée théoriquement par les travaux de Robinson
(1952).
Patrick (1966) suggère, de son côté, que
la direction de la relation entre les sphères réelle et
financière dépend du niveau de développement
économique du pays. Il distingue deux étapes dans le processus de
développement économique d'un pays. Dans la première
étape, le secteur financier joue un rôle d'impulsion dans le
développement économique. Il permet, grâce à l'offre
des services financiers, une meilleure canalisation des épargnes (des
secteurs « traditionnels » peu productifs vers les secteurs «
modernes » plus efficaces) et, par conséquent, une
croissance économique plus accélérée
(phénomène de « supply leading »). Patrick
démontre par ailleurs qu'au fur et à mesure du
développement de l'économie, le système financier se
perfectionne, devient liquide et vient stimuler la croissance. Il se
développe consécutivement au développement
économique et non l'inverse. Il le fait de manière passive,
répondant simplement à la demande de nouveaux services financiers
qui s'adresse à lui (phénomène de « demande
following »). L'analyse de Patrick (1966) suggère ainsi que
les institutions financières, même rudimentaires, pourraient jouer
un rôle prépondérant dans la croissance.
Plusieurs modèles théoriques soutiennent la
présence d'interactions croisées entre le développement
boursier et la croissance (Greenwood et Jovanovic (1990), Saint Paul (1992),
Boyd et Smith (1996), Greenwood et Smith (1997)). Greenwood et Jovanovic (1990)
développent un modèle de croissance endogène à
partir duquel ils modélisent formellement de telles relations
bidirectionnelles. Ils montrent que, par la collecte et l'analyse de
l'information, les marchés financiers permettent la réalisation
d'économies sur les coûts informationnels. Ils offrent des
rendements sûrs et élevés sur les placements financiers et
assurent une allocation efficace des ressources financières, avec des
retombées favorables sur la croissance économique.
La littérature néoclassique enseigne dans sa
grande tendance que la finance est neutre. Cette neutralité se traduit
par le fait que la théorie néoclassique du consommateur et du
producteur analyse les décisions de consommation et d'investissement
sans faire référence à la finance et à la monnaie.
Malgré le fait que ces dernières permettent de prendre des
décisions dans un cadre inter-temporel, elles sont traitées de
façon superficielle sous l'hypothèse de la perfection du
marché des capitaux .Aussi, il faut ajouter que les deux
théorèmes du bien-être économique qui constituent en
quelque sorte le socle de base de la théorie économique,
dérivent d'un modèle où la monnaie et la finance ne jouent
aucun rôle.
Ainsi, Robinson (1952), Robert Lucas (1988) ou Levine (1997)
dénoncent le rôle exagéré donnée au
système financier dans la croissance et prétendent que celui-ci
ne fait que suivre la croissance sans l'influencer. Mayer (1988) affirme qu'un
marché boursier développé n'est pas important pour le
financement de l'entreprise.
Joseph Stiglitz (1985,1993) affirme que la liquidité
des marchés boursiers n'a pas d'impact sur le comportement des
gestionnaires de compagnies et donc n'exerce pas un certain contrôle
corporatif. Toujours selon, Stiglitz (2010) : « il n'y a guère
de preuve que l'approfondissement des marchés boursiers contribue
à la croissance économique, en particulier pour les pays moins
avancés ».
En effet, il est d'une part très difficile de connaitre
l'emploi exact des fonds levés sur les marchés boursiers et
d'autre part, il semble que, les grandes entreprises cotées en bourse
utilisent les fonds de leurs actionnaires à d'autres fins que
l'investissement productif. Pour ce dernier, elles préfèrent
s'adresser traditionnellement au secteur bancaire. En conséquence, il
semble que les marchés boursiers ne puissent pas jouer de rôle
significatif dans le développement des économies africaines,
(Chouchane V, (2001)).
La plupart des économistes du développement sont
également sceptiques quant au rôle du système financier
dans la croissance économique.
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