§3 CONSTITUTION ET FONCTIONNEMENT DE LA SOCIETE
Les formalités de constitution d'une
société commerciale (A) ainsi que les règles de
fonctionnement de celle-ci (B) seront résumées ici.
A. Les formalités de constitution
La constitution d'une société commerciale est
soumise à des conditions de fond cumulant celles des contrats en
général et du contrat de société en particulier
ainsi qu'à des conditions de forme exclusivement prévues pour les
sociétés commerciales.
Les formalités ou conditions de forme revêtent
une importance particulière en droit des sociétés car
elles remplissent de multiples fonctions :
- elles renseignent les associés sur leurs engagements
et, de ce fait, les protègent ;
- elles informent les tiers et leur permettent de
connaître la nature de la forme sociale empruntée, l'organisation
et le fonctionnement de celle-ci, de mesurer l'importance financière de
la société, et de cette façon, les protègent
également ;
- elles permettent aux autorités administratives,
judiciaires, fiscales et sociales de contrôler et de sanctionner
l'activité de la société en cas de leur absence ou de leur
inexactitude.
Selon les nouvelles règles des articles 100 et suivants
de l'Acte uniforme, on distingue désormais trois phases dans la
création des sociétés commerciales :
- une première phase de préparation (ou de
fondation) correspondant à celle où la société
n'est pas encore constituée11 ;
- une deuxième phase, centrale et décisive,
correspondant à la constitution de la société
matérialisée par la signature des statuts12
;
- et la troisième phase correspondant à
l'acquisition de la personnalité juridique grâce à
l'immatriculation13 (articles 97 à 99 et 101 al 2
AUSCGIE).
Durant les phases 1 et 2, ce sont les fondateurs qui sont
chargés de conduire les opérations, c'est-à-dire les
personnes qui participent activement aux opérations conduisant à
la constitution de la société. Leur rôle commence
dès les premières opérations ou l'accomplissement des
premiers actes de constitution. Il prend fin dès que les statuts ont
été signés par tous les associés ou
l'associé unique.14 A partir de la signature des statuts les
dirigeants sociaux se
11 Art 100 AUSCGIE.
12 Art 101 al 1.
13 OHADA, Traités et actes, op.cit, p.
389.
14 Art 102 AUSCGIE.
13
substituent aux fondateurs. Ils agissent au nom de la
société constituée et non encore immatriculée.
L'établissement ou l'adoption des statuts(1),
l'immatriculation(2) et les formalités de publicité(3) sont les
grandes étapes de constitution de la société qui
méritent d'être évoquées dans les lignes qui
suivent. Aussi est-il vrai que l'irrégularité commise dans
l'accomplissement des formalités de constitution d'une
société entraîne des sanctions prévues par l'Acte
uniforme (4).
1. L'établissement des statuts
Les statuts constituent soit le contrat de
société en cas de pluralité d'associés, soit l'acte
de déclaration unilatérale de volonté d'une seule personne
en cas d'associé unique.15 Il peu être
rédigé en forme d'un acte notarié ou de tout acte offrant
des garanties d'authenticité dans l'Etat du siège de la
société, déposé avec reconnaissance
d'écritures et de signatures par toutes les parties au rang des minutes
d'un notaire.16
Aux termes de l'article 13 AUSCGIE, les statuts
énoncent un certain nombre de mentions destinés à
renseigner sur :
- la forme de société, sa dénomination,
son siège, sa durée, l'identité des apporteurs en
numéraire et en nature, le montant ou la valeur des apports et la valeur
des titres sociaux remis en contrepartie de chaque apport ;
- l'identité des bénéficiaires des
avantages particuliers et la nature de ceux-ci ;
- le montant du capital social, le nombre et la valeur des
titres sociaux émis, en distinguant le cas échéant, les
différentes catégories des titres créées
;
- les stipulations sur la répartition du
résultat, sur la constitution des réserves sur la
répartition du boni de liquidation ;
- les modalités de fonctionnement.
Il est à noter que ces mentions sont obligatoires.
L'article 2 de l'AUSCGIE dispose que toutes les dispositions de l'Acte uniforme
sont d'ordre public, sauf quand il est expressément stipulé le
contraire.
2. L'immatriculation
Toute société doit être
immatriculée au RCCM sauf la société en
participation.17Ce sont les dirigeants sociaux nommés par les
statuts ou
15 Art 12 AUSCGIE.
16 Art 10 AUSCGIE.
17 Art 97 AUSCGIE.
14
l'Assemblée Générale constitutive qui
sont chargés de procéder à cette formalité
puisqu'ils ont pris désormais la place de fondateurs.18
L'immatriculation ne peut être demandée et
obtenue que si l'on produit et dépose au greffe une déclaration
de régularité et de conformité. Cette déclaration
est rédigée et signée par les fondateurs et les premiers
membres des organes de gestion, d'administration et de direction relatant
toutes les opérations en vue de constituer régulièrement
la société et par laquelle ils affirment que cette constitution a
été réalisée en conformité de l'Acte
uniforme.19 La même disposition est applicable en cas de
modification des statuts.20
En effet, l'immatriculation se fait conformément aux
dispositions régissant le RCCM contenues dans l'Acte uniforme portant
sur le droit commercial général (articles 29 et suivants).
Quid des effets de l'immatriculation P
- l'immatriculation confère la personnalité
juridique à la société commerciale. Avant son
immatriculation, l'existence de la société n'est pas opposable
aux tiers ; néanmoins, ceux-ci peuvent s'en
prévaloir.21
- Les rapports entre les associés sont régis par
le contrat de société et par les règles
générales des contrats et des obligations entre la date de la
constitution et celle de l'immatriculation de la société.
Il est à remarquer de ce qui précède que
l'énoncé de la règle relative à la
personnalité juridique amène à se poser la question de
savoir quelle est la situation juridique de la société et des
associés avant l'immatriculation.
Néanmoins, l'on sait qu'il peut exister des engagements
que la société a pris avant l'immatriculation, voire même
avant sa constitution. Il y a dès lors moyen de se situer, si les
engagements ont été pris soit avant la constitution de la
société, soit avant l'immatriculation de la
société.
? Engagements pris avant la constitution de la
société
Ces engagements ont été pris par les fondateurs.
Ils doivent être portés à la connaissance des
associés avant la signature des statuts ou lors de l'assemblée
constitutive.22 Ils doivent être décrits dans un
état intitulé « état des actes et engagements
accomplis pour le compte de la société en formation » avec
indication, pour chacun d'eux, de la nature et de la portée des
obligations qu'ils comportent. Dans les sociétés sans
assemblée constitutives, cet état est annexé
18 Art 104 AUSCGIE.
19 Art 73 AUSCGIE.
20 Art 76 AUSCGIE.
21 Art 101 AUSCGIE.
22 Art 106 AUSCGIE.
15
aux statuts ; la signature des statuts et de cet état
emporte reprise par la société de ces
engagements.23
Les actes et engagements repris par la société
régulièrement constituée et immatriculée sont
réputés avoir été contractés dès
l'origine.24
? Engagements pris avant
l'immatriculation
Les associés peuvent, dans les statuts ou par acte
séparé, donner mandat à un ou plusieurs dirigeants sociaux
de prendre des engagements pour le compte de la société
constituée mais non encore immatriculée. L'immatriculation
emporte reprise par la société de ces engagements.25
Au cas où ils ne seraient pas repris, ces engagements sont
inopposables à la société et les personnes qui les ont
souscrits sont tenues solidairement et indéfiniment des obligations
qu'ils comportent.
3. Formalités de publicité
Les formalités de publicité sont
effectuées à la diligence et sous la responsabilité des
représentants légaux des sociétés.26
Après l'immatriculation, la société doit
passer par les formalités de publicité. Pour ce faire, dans un
délai de quinze jours suivant l'immatriculation, un avis est
inséré dans un journal habilité à recevoir les
annonces légales pour publication.27
L'avis est signé par le notaire qui a reçu le
contrat de société ou par les fondateurs. Il contient les
énonciations suivantes :
- La raison ou la dénomination sociale de la
société, suivie, le cas échéant,
de son sigle ;
- la forme de la société ;
- le montant du capital social ;
- l'adresse du siège social ;
- l'objet social indiqué sommairement ;
- le montant des apports en numéraire ;
- la description sommaire et l'évaluation des apports en
nature ;
- les noms, prénoms usuels et domicile des associés
tenus indéfiniment
des dettes sociales ;
- les noms, prénoms usuels et domiciles des premiers
dirigeants et des
premiers commissaires aux comptes ;
- les références du dépôt au greffe
des pièces de constitution ;
- les références de l'immatriculation au RCCM ;
23 Art 107 AUSCGIE.
24 Art 110 AUSCGIE.
25 Art 111 AUSCGIE.
26 Art. 259 al. 1er .
27 Art 261 et 262 AUSCGIE.
16
- le cas échéant, la date effective ou
prévue du commencement d'activité.
4. Sanctions d'irrégularité
Non seulement les formalités de constitution d'une
société commerciale sont nombreuses mais encore elles sont
complexes. Il n'est donc pas rare que les fondateurs ou les premiers dirigeants
omettent une formalité ou commettent une irrégularité dans
l'accomplissement de l'une d'elles.
L'irrégularité commise dans l'accomplissement
des formalités sus évoquées entraîne des sanctions,
notamment la nullité de la société et la
responsabilité des auteurs de
l'irrégularité.28
a) La nullité de la
société
Le régime de la nullité des
sociétés déroge sur de nombreux points à celui du
droit commun. On s'en rendra aisément compte sur trois
éléments qui sont : les causes de nullité, l'action en
régularisation et les effets de la nullité.
? Les causes de nullité
L'article 242 AUSCGIE pose le principe selon lequel la
nullité de la société ou de tous actes, décisions
ou délibérations modifiants les statuts ne peut résulter
que :
- d'une disposition expresse de l'Acte uniforme ;
- des textes régissant la nullité des contrats
en général et du contrat de société en particulier
(ex : vices du consentement, incapacité, objet illicite, défaut
d'apports, etc.)
Par ailleurs, certains vices de fond ou de forme ne peuvent
pas entrainer la nullité. Il s'agit de(s) :
- L'énonciation incomplète des mentions devant
figurer dans les statuts ;
- Vices du consentement ou l'incapacité qui ne peuvent
menacer de nullité que la société en participation, la SNC
et la SCS. Dans les SA et les SARL, ils ne peuvent constituer des causes de
nullité que si l'incapacité atteint tous les associés
fondateurs.29
- Formalités de publicité, sauf dans les SNC et
SCS où elles sont requises à peine de
nullité.30
Il faut noter que le tribunal a la faculté de ne pas
prononcer la nullité si aucune fraude n'est constatée. Il peut
donc prononcer la régularisation.
28 Voir les articles 242 à 256 AUSCGIE.
29 Art. 243 AUSCGIE.
30 Art. 245 AUSCGIE
17
? L'action en régularisation
Afin d'éviter la nullité dans les cas où
elle est encourue, l'acte uniforme prévoit et organise la
régularisation de plusieurs vices.
Il ressort de la lecture de l'article 247 AUSCGIE que le
tribunal saisi d'une action en nullité peut, même d'office, fixer
un délai pour permettre de couvrir la nullité. Il ne peut pas
prononcer la nullité moins de mois après la date de l'exploit
introductif d'instance. Si une assemblée est nécessaire pour
régulariser le vice, le tribunal accorde, par un jugement, le
délai indispensable pour que les associés puissent prendre une
décision. Si, à l'expiration du délai accordé,
aucune décision n'est prise, le tribunal statue à la demande de
la partie la plus diligente.
? Les effets de la nullité
Lorsque la nullité de la société est
prononcée, elle met fin, sans rétroactivité, à
l'exécution du contrat de société. Il est donc
procédé à la dissolution de la société et,
pour ce qui est des sociétés pluripersonnelles, à leur
liquidation.31Concernant les sociétés unipersonnelles,
il n'est pas procédé à leur liquidation puisque ce n'est
pas nécessaire. En effet, la question de la répartition d'un boni
entre associés ne se pose pas. Quant aux créanciers, ils ne
craignent rien dans la mesure où l'on passe d'un patrimoine
d'affectation au patrimoine général et universel de
l'associé
b) La responsabilité des fondateurs ou dirigeants
auteurs de l'irrégularité
L'Acte uniforme prévoit et organise la
responsabilité civile et pénale des fondateurs et des dirigeants
qui auront été les auteurs d'omissions ou d'erreurs dans
l'accomplissement des formalités de constitution des
sociétés.
? La responsabilité civile
La responsabilité éclate ici en deux
hypothèses, selon qu'il y a eu nullité ou non.
- Si la nullité a été prononcée,
les associés et les dirigeants auxquels la nullité est imputable
peuvent être déclarés solidairement responsables du dommage
résultant pour les tiers de l'annulation de la
société.32La disparition de la cause de nullité
ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action en responsabilité
tendant à la réparation du préjudice causé par le
vice dont la société était entachée. Cette action
se prescrit toutefois par 3 ans à compter du jour où la
nullité a été découverte.
- En dehors de toute nullité, les articles 75 à
80 AUSCGIE organisent la responsabilité des fondateurs et des premiers
organes de gestion. Ceux-ci
31 Art. 253 AUSCGIE.
32 Art. 256 AUSCGIE. Voy. également les
articles 316 pour la SARL, 413 et 738 pour la SA.
18
sont solidairement responsables du préjudice
causé soit par le défaut d'une mention obligatoire dans les
statuts, soit par l'omission ou l'accomplissement irrégulier d'une
formalité prescrite pour la constitution d'une société. En
cas de modification des statuts, les membres des organes de gestion,
d'administration et de direction alors en fonction encourent la même
responsabilité. L'action en responsabilité se prescrit par 5 ans
à compter du jour de l'immatriculation ou de la publicité de
l'acte modifiant les statuts.
? La responsabilité pénale
L'AUSCGIE contient des dispositions pénales
définissant les éléments constitutifs des infractions et
non les sanctions. Ces infractions sont réparties selon qu'elles sont
commises relativement à telle ou telle phase de la vie de la
société (constitution, gérance, administration et
direction, assemblées générales, modifications du capital,
contrôle des sociétés, dissolution, liquidation, appel
public à l'épargne, etc.)33
Les infractions concernant la constitution de la
société sont décrites par les articles 886 à 888 de
l'AUSCGIE. Il s'agit entre autres des faits suivants :
- Le fait pour les fondateurs ou les dirigeants
d'émettre des actions lorsque l'immatriculation est obtenue en fraude ou
que la société est irrégulièrement
constituée ;
- Le fait d'affirmer sincères et véritables, par
l'établissement de la déclaration notariée de souscription
et de versement ou du certificat du dépositaire, des souscriptions que
l'on sait fictives ou de déclarer qu'ont été
définitivement versés des fonds non mis à la disposition
de la société ;
- Le fait de provoquer des suscriptions ou des versements en
publiant les noms des personnes désignées contrairement à
la vérité comme étant ou devant être
attachées à la société à un titre quelconque
;
- Le fait d'attribuer à un apport en nature une
évaluation supérieure à sa valeur réelle ;
- Le fait de négocier des actions d'apport avant
l'expiration du délai pendant lequel elles ne sont pas
négociables, etc.
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