B. Le traitement des créances de salaire
D'une façon générale, les
créanciers d'une procédure collective d'apurement du passif sont
classés en trois catégories pour le traitement ou le paiement de
leurs créances : créanciers dans la masse, créanciers
contre la masse et créanciers hors de la masse.
? Créanciers dans la masse
Les créanciers dans la masse sont ceux dont la
créance est née avant le jugement d'ouverture de la
procédure collective d'apurement du passif. C'est à ces
créanciers que le débiteur demande, dans ses propositions
concordataires, de consentir des remises et des délais pour lui
permettre de redresser son entreprise. Ce sont eux qui recevront les dividendes
concordataires et la distribution des deniers provenant de la
réalisation des biens meubles et immeubles. Ils les recevront dans
l'ordre établi par les articles 166 et 167 AUPC.
- Article 166 : « Les deniers
provenant de la réalisation des immeubles sont distribués ainsi
:
1° aux créanciers des frais de justice
engagés pour parvenir â la réalisation du bien vendu et
â la distribution elle-même du prix ;
2° aux créanciers de salaires super
privilégiés en proportion de la valeur de l'immeuble par rapport
à l'ensemble de l'actif ;
3° aux créanciers hypothécaires et
séparatistes inscrits dans le délai légal, chacun selon le
rang de son inscription au livre foncier ;
4° aux créanciers de la masse tels que
définis par l'article 117 ;
5° aux créanciers munis d'un privilège
général selon l'ordre établi par l'Acte uniforme portant
organisation des sûretés ;
6° aux créanciers chirographaires.
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- Article 167 : « Les deniers
provenant de la réalisation des meubles sont distribués ainsi
:
1° aux créanciers des frais de justice
engagés pour parvenir à la réalisation du bien vendu et
à la distribution elle-même du prix ;
2° aux créanciers de frais engagés pour
la conservation du bien du débiteur dans l'intérêt du
créancier dont les titres sont antérieurs en date ;
3° aux créanciers de salaire super
privilégiés en proportion de la valeur du meuble par rapport
à l'ensemble de l'actif ;
4° aux créanciers garantis par un gage selon
la date de constitution du gage ;
5° aux créanciers garantis par un nantissement
ou par un privilège soumis à publicité, chacun suivant le
rang de son inscription au registre du commerce et du crédit mobilier
;
6° aux créanciers munis d'un privilège
mobilier spécial, chacun sur le meuble supportant le privilège
;
7° aux créanciers de la masse tels que
définis par l'article 117 ;
8° aux créanciers munis d'un privilège
général selon l'ordre établi par l'Acte uniforme portant
organisation des sûretés ;
9° aux créanciers chirographaires.
? Créanciers contre la masse
Ce sont les créanciers dont la créance est
née postérieurement au jugement d'ouverture de la
procédure collective. Ces créanciers, compte tenu du risque
qu'ils courent en faisant crédit à une société
déjà déclarée en cessation des paiements,
bénéficient de l'avantage de passer avant les créanciers
munis d'un privilège général et les créanciers
chirographaires.
? Créanciers hors de la masse
Il s'agit de ceux dont la créance est née d'une
activité irrégulière du débiteur soit avant le
jugement, soit après le jugement. Avant le jugement déclaratif,
le débiteur peut avoir accompli des actes anormaux ou suspects qui sont
susceptibles d'être déclarés inopposables à la masse
des créanciers.242En outre, les actes d'exploitation
accomplis postérieurement au jugement déclaratif par le
débiteur seul, c'est-à-dire sans l'assistance ou la
représentation du syndic ou dans le cadre d'une activité
continuée sans autorisation, sont déclarés inopposables
à la masse des créanciers.243
Tandis que les créanciers hors de la masse ne peuvent
absolument pas prendre part à la procédure collective dont ils
sont exclus jusqu'à sa clôture, les deux autres catégories
de créanciers demeurent dans la procédure collective
242 Art. 67 et suivants AUPC.
243 Art 11, 52 et 53 AUPC.
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mais sont traités différemment selon qu'ils sont
considérés comme étant dans ou contre la masse. Il en est
de même des travailleurs dont nous allons rendre compte du sort de
créances dans les lignes qui suivent.
En effet, les travailleurs, tout comme les autres
créanciers d'une procédure collective, pourront être
exposés à des risques importants lors du paiement des salaires.
Mais du fait que les procédures collectives proviennent d'une
organisation légale et sont exécutées sous un
contrôle judiciaire, celles-ci offrent un cadre protecteur dans le
désintéressement de ces créanciers.
Par ailleurs, l'article 95 AUPC consacre ou plutôt
confirme le privilège des salariés en ces termes : « Les
créances résultant du contrat de travail ou du contrat
d'apprentissage sont garanties, en cas de redressement judiciaire ou de
liquidation des biens par le privilège des salaires établi pour
les causes et le montant définis par la législation du Travail et
les dispositions relatives aux sûretés. » Ce texte renvoie au
droit du Travail pour la définition des créances de salaires
protégées par le privilège et au droit des
sûretés pour le rang de ce droit de préférence.
Il nous parait plus rationnel d'exposer brièvement les
principes retenus par le droit positif pour établir le privilège
des salaires en droit commun avant d'examiner ce qu'il est dans le cadre des
procédures collectives d'apurement du passif.
1°) Principe du privilège général des
salaires
Le concept « salaire» est largement entendu dans le
droit du travail et l'article 180-3° de l'Acte uniforme portant
organisation des sûretés (AUS) ne le dément pas, dès
lors qu'il retient comme privilégiées « toutes les sommes
dues aux travailleurs et apprentis pour exécution et résiliation
de leur contrat durant la dernière année ayant
précédé le décès du débiteur, la
saisie des biens ou la décision judiciaire d'ouverture d'une
procédure collective. »
Le privilège des créances de salaire est un
privilège général, c'est-à-dire qu'il porte sur les
biens meubles et immeubles du débiteur244et
il est opposable aux autres créanciers sans qu'il soit besoin de le
publier au RCCM.
Dans le Code du travail congolais, sont
considérées comme des créances de salaire
privilégiées, toutes les sommes dues aux travailleurs, qu'il
s'agisse du salaire ou de ses accessoires (primes, indemnités,
allocations, dommages-intérêts, etc.).
En effet, le Code du travail congolais, comme ceux de tous les
Etats membres de l'OHADA, a prévu de protéger la créance
de salaire contre les
244 Art. 110 al. 2 Code du Travail.
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saisies de créance (autrefois appelées
saisies-arrêts) en fonction de l'importance du salaire du travailleur et
de son caractère alimentaire.245
Certains Etats, dans leurs codes du travail, ont mis une
quotité incessible et insaisissable à l'abri de la concurrence
des créanciers en cas de distribution des deniers du débiteur en
en faisant un « super privilège », c'est-à-dire en le
plaçant à un rang plus avantageux que le privilège des
salaires proprement dit. C'est ce super privilège que le droit OHADA a
voulu préserver dans les textes concernés246 sans pour
autant le définir.
La RDC, contrairement à certains Etats parties de
l'OHADA, n'a pas prévu dans sa législation le concept de «
super privilège » et n'a pas fait une distinction entre une
quotité de salaire devant être la plus privilégiée
par rapport à l'autre. Elle conçoit le salaire dans son
entièreté, y compris tous ses accessoires, comme étant
privilégié.
Le fait que certains Etats reconnaissent le super
privilège et d'autres non donne l'impression d'une anomalie dans
l'application de ces textes. C'est pourquoi le point de vue du professeur
ISSA-SAYEGH (que nous épousons aussi) tend à la proposition d'un
remède envisageant soit la révision des textes concernés,
soit le comblement par un avis de la CCJA247de cette lacune. Ainsi
l'article 180 AUS pourra définir le privilège comme concernant
tous les salaires et le super privilège comme concernant la seule
quotité incessible ou insaisissable des salaires.248
2°) L'application du principe du privilège
des salaires dans la procédure
collective.
La préservation des quotités incessibles et
insaisissables des salaires apparaît comme la plus urgente tâche
à accomplir avant d'effectuer le paiement des créances des
salaires dans la masse et contre la masse.
a) Le paiement d'urgence des créances de salaires
super privilégiés
Cette règle est ainsi exprimée par l'article 96
AUPC : « Au plus tard dans les dix jours qui suivent la décision
d'ouverture et sur simple décision du juge- commissaire, le syndic paie
toutes les créances super privilégiées des travailleurs
sous déduction des acomptes déjà perçus ».
Si, au moment où le syndic entre en fonction, il trouve
des salaires impayés contenant le super privilège, il doit payer
ces créances, sous déduction des acomptes déjà
perçus sur la période concernée avant toutes autres sur
les fonds disponibles ou sur les premières rentrées de fonds. Si
c'et le syndic ou toute autre personne qui en fait l'avance, le payeur est
subrogé dans les droits
245 ISSA-SAYEGH J., Le sort des travailleurs, op.cit, p.
12.
246 Art. 225 et 226 AUS, Art. 166 et 167 AUPC.
247 Cour Commune de Justice et d'Arbitrage.
248 ISSA-SAYEGH J., Le sort des travailleurs, op.cit, p.
12.
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des travailleurs et doit être remboursé
dès la rentrée des fonds nécessaires sans qu'aucune autre
créance puisse y faire obstacle.
Il faut comprendre que ce paiement est destiné à
préserver le caractère alimentaire des salaires et la
quotité incessible et insaisissable qui lui correspond et qui peut
cruellement faire défaut aux travailleurs.
b) Le paiement des créances de salaire dans la
masse et contre la masse
Les créances de salaire « dans la masse
» sont des créances échues et exigibles avant le
jugement déclaratif de la cessation des paiements. Les travailleurs
titulaires de telles créances font partie de la masse et doivent, en
principe, concourir avec les créanciers placés dans la même
situation. Toutefois, du fait du caractère privilégié, ils
bénéficient d'une préférence dans l'ordre de
distribution des deniers établi par les articles 166 et 167 AUPC selon
que ces deniers à partager entre les créanciers proviennent de la
réalisation d'un bien immeuble ou meuble du débiteur.
Les titulaires des créances de salaire contre la masse
sont aussi dits créanciers de la masse249et font partie de la
masse. Mais l'appellation « créanciers contre la masse
» est plus conforme à l'article 117 AUPC qui définit
les créances contre la masse comme « toutes les dettes nées
régulièrement, après la décision d'ouverture, de la
continuation de l'activité et de toute activité
régulière du débiteur ou du syndic.
Il s'agit donc de toutes les créances nées
après le jugement déclaratif de cessation des paiements du
débiteur et durant la période allant jusqu'à la
clôture de la liquidation des biens, date à laquelle le
débiteur et les créanciers reprennent leur liberté.
En outre, il ne faut pas perdre de vue que certains
créanciers, dont les travailleurs, peuvent figurer dans la
procédure collective à deux titres : d'une part créanciers
dans la masse pour les salaires exigibles antérieurs au jugement
d'ouverture et d'autre part, créanciers contre la masse pour les
salaires nés après cette décision.
Après toutes les procédures ci-haut
détaillées, la liquidation des biens prend fin. Les
créanciers vont être totalement désintéressés
s'il n'y a pas insuffisance d'actif. Par la même occasion, le syndic, en
présence du débiteur, rend ses comptes au juge-commissaire qui,
par procès verbal, constate la fin des opérations. Le
procès verbal est communiqué au tribunal qui prononce la
clôture de la liquidation des biens et tranche, par la même
occasion, les contestations éventuelles. L'union est donc dissoute de
plein droit et les créanciers recouvrent l'exercice individuel de leurs
actions ; et par-dessus tout, la société disparaît
absolument.
249 Art. 166-4° et 167-7° AUPC.
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