2) Supériorité de l'analyse interminable
(sans fin) sur l'analyse systématique (atteignant une forme de
clôture auto-satisfaite dans l'interprétation).
« Sans cesse recommencée et à reprendre,
l'interprétation est
interminable comme l'analyse thérapeutique. Et comme
cette der- nière, on ne l'interrompt que sur la satisfaction
momentanée. » 566.
Sans réemployer le terme d'interprétation, nous
estimons qu'une expérimentation authentique d'Hamlet passe par
l'acceptation du caractère interminable de cette démarche. Une
analyse finie de Hamlet ne serait pas souhaitable.
L'intérêt de la psychanalyse de l'oeuvre littéraire tient
à l'ouverture d'un champ de possibles, à la libération de
signes, jamais dogmatiques. Elle permet à la fois au lecteur, à
l'auteur et à l'oeuvre d'affirmer leur liberté comme
émotion du pos-
565. André Green, La folie privée, op.
cit.
566. Jean Bellemin-Noël, Psychanalyse et
littérature, op. cit.
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sible, vertige, angoisse.
Paradoxe seulement apparent : c'est parce qu'il n'y a pas
d'élément indivisible ou d'origine simple que l'analyse est
interminable. La divisibilité, la dissociabilité et donc
l'impossibilité d'arrêter une analyse, comme la
nécessité de penser la possibilité de cette
indéfi-nité, telle serait peut-être, si l'on y tenait, la
vérité sans vérité de la déconstruction.
567.
Freud a choisi de se heurter à la difficulté du
mystère d'Hamlet, problème ayant suscité les plus diverses
interprétations et semblant nous conduire à la conclusion qu'il
s'agit là d'une aporie. Il est en effet impossible de trancher parmi les
plus pertinentes de ces interprétations. Toutefois, le noeud du
problème ne semble pas résider dans un problème
d'interprétations conflictuelles. Freud n'a jamais renoncé
à l'épreuve de ces apories , qui sont pour Derrida la chance de
la pensée 568. Dans cette perspective, Hamlet, comme aporie
de la modernité, est tout sauf [une] impasse accidentelle qu'il
faudrait tenter de forcer selon des modèles théoriques
reçus 569.
Freud ne souhaitait pas ériger l'outil psychanalytique
au rang d'instrument tutélaire pour rendre compte de
l'intelligibilité ultime de l'oeuvre littéraire.
La voie ouverte par Green sur la psychanalyse
d'Hamlet. Il peut
y avoir un noyau psychotique, une forme de folie
privée, au coeur même de la névrose. Ce noyau psychotique
est distinct de la psychose apparente. Cette idée de Green est
éclairante pour comprendre l'ambiguïté du personnage
d'Hamlet. S'il semble relativement facile à saisir, Hamlet demeure
équivoque dans son rapport à l'aliénation mentale.
Plutôt que de parler d'application de la psychanalyse à Hamlet, on
pourrait parler de mise en oeuvre vivante et créative à partir de
ce savoir.
Nous ne pouvons accepter que nos théories soient des
fantasmes. Le mieux est probablement d'accepter qu'elles soient non pas
l'expression de la vérité scientifique, mais une approximation un
analogon de celle-ci. Alors, il n'y a pas de mal à construire un mythe
des origines si nous savons que ce ne peut être qu'un mythe. [...] Je
dirai que notre figure mythique est aujourd'hui Hamlet plutôt
qu'×dipe. 570.
Hamlet est un cas-limite pour Green, il frise la folie mais
aucune distinction précise, qui permettrait de séparer en lui ce
qui relève de la folie de ce qui n'en relève pas, ne peut
être opérée. En ce sens, névrose et psychose ne
s'excluraient pas mutuellement. La défense névrotique a pour
fonction de contrer la psychose.
567. Jacques Derrida, Résistances de la psychanalyse,
Galilée, coll. La philosophie en effet, Paris, 1996, p. 48.
568. ibid., p. 103.
569. ibid.
570. André Green, La folie privée, op. cit.,
p. 101-103.
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