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Hamlet et Freud, de la psychanalyse appliquée à  sa critique philosophique.

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par Layla Dargaud
Paris Ouest Nanterre La Défense - Master 2 Philosophie  2015
  

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II- Cartographies schizo-analytiques d'Hamlet.

La démarche schizo-analytique consiste à renoncer à se demander ce que veut dire l'auteur, ce que à quoi renvoie tel ou tel signifiant, ce que signifie tel ou tel symbole pour se poser la question : Comment ça marche? Qu'est-ce qui circule? .

Face à Hamlet, il faut cesser de hiérarchiser l'importance des scènes, des personnages, des dialogues et des monologues afin de tout replacer sur un même plan d'immanence. Tout traiter sur le même plan (Ophélie, Hamlet, les fleurs, l'eau, les remparts d'Elseneur, Horatio, la scène dans la scène, le dialogue entre Ophélie et Hamlet qui suit le célèbre monologue, etc.) permet de mieux saisir les différences, les réseaux, les rapports entre les plans.

La schizo-analyse est décentrée par rapport à toute problématique du sujet comme être pensant ou être affectif. Elle est chargée d'extraire les deux pôles constitutifs de l'inconscient que sont le pôle réactionnaire et le pôle révolutionnaire. Elle doit entraîner une déterritorialisation et ainsi une libération de l'inconscient, produire un agencement d'énonciation analytique et défaire les illusions que sont l'×dipe, le Moi, l'identité et l'unité individuelles.

La schizo-analyse ne se définit pas en premier lieu comme une thérapeutique, ses champs d'application étant davantage la littérature et la politique. La schizo-analyse appliquée à la littérature permet l'extraction du caractère révo-

lutionnaire et novateur du texte étudié.

Tracer les cartographies d'Hamlet consiste à voir la pièce de Shakespeare comme un agencement rhizomatique qui n'est justiciable d'aucun modèle

455. François Zourabichvili, La question de la littéralité , La littéralité et autres essais sur l'art, PUF, Lignes d'art, Paris, 2015.

456. Emmanuel Levinas, Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, Le livre de poche, Biblio essais, Paris, 1990.

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structural ou génératif et qui est étranger à toute idée d'axe génétique, comme de structure profonde ??. Ces cartographies sont schizo-analytiques car elles ne renvoient pas à un schème névrotique, à un codage oedipien.

La double perspective onto- et phylo-génétique adoptée par Freud ne semble pas pertinente pour comprendre le cas Hamlet. Guattari proposait de faire une hétérogenèse de la subjectivité ??, tenant compte des multiplicités et agencements travaillant en profondeur le sujet qui n'est plus maître dans sa propre maison depuis la découverte de l'inconscient, comme aimait à le rappeler Freud.

Il serait ainsi possible de mettre en valeur un Hamlet désoedipianisé, sans complexe et la présence d'un inconscient machinique à l'oeuvre dans Hamlet. En partant de la machine Hamlet de Freud, on se dirigerait progressivement vers un Hamlet-machine , machine à produire de l'inconscient, inconscient qui ne

préexistait pas à l'oeuvre de Shakespeare.

Avec Lacan, on en reste à un sujet enserré dans sa dépendance vis-à-vis d'un signifiant despotique alors que l'inconscient machinique est a-subjectif et a-signifiant.

La culpabilité freudienne, qui se décline en conscience de culpabilité et qui fait, d'après Freud reprenant les vers d'Hamlet, de nous tous des lâches , témoigne d'une tentative pour tout recentrer sur l'individu privé et son inconscient oedipien. C'est ce mode privé et culpabilisé qui cantonne la psychanalyse freudienne à la dimension du familialisme et qui la fait passer à côté de l'étude de l'agencement des signes, dont elle tirerait pourtant un grand bénéficie du point de vue conceptuel et clinique.

Ainsi que l'explique Anne Sauvagnargues dans Deleuze et l'art??, le signe deleuzo-guattarien se définit comme affect et comme rapport de forces et s'oppose de ce fait au signifiant psychanalytique. On ne cherche dès lors plus à faire ressortir un sens ou une signification, mais on cherche à repérer le fonctionnement des machines. Tout est machine, apprenait-on dans l'Anti-×dipe.

Comment fonctionne la machine Hamlet créée par Freud? Comment fonctionne le personnage d'Hamlet comme machine? Comme ça marche dans Hamlet? Ophélie est-elle aussi machine ou corps sans organe? C'est ce type de questionnement et de problèmes (rappelons la supériorité que Deleuze accordait à la question et au problème sur la simple interrogation) qu'une cartographie schizo-analytique d'Hamlet tenterait de poser.

Ceci implique bien évidemment de renoncer au type d'interrogations analytiques qui concerne aussi bien l'analyse académique de textes littéraires (dont le modèle est l'explication ou le commentaire de texte) que la psychanalyse appliquée à la littérature :

De quoi s'agit-il dans Hamlet? Que veut dire l'auteur? Quel est l'effet produit sur le lecteur spectateur? Par quels moyens, par quels signifiants

457. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Les éditions de Minuit, Paris, 1980, p. 19.

458. Félix Guattari, Chasmse, Galilée, coll. L'espace critique, Paris, 1992.

459. Anne Sauvagnargues, Deleuze et l'art, PUF, Lignes d'art, Paris, 2005.

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l'auteur parvient-il à cet effet? Que représente tel ou tel personnage? Que signifie telle ou telle scène? Etc, etc. En somme, tout ceci n'est bien en effet qu'interrogations, discussion, bavardage insignifiant digne d'un Polonius (Polo-nius, le bavard », était l'objet des railleries d'Hamlet et, à sa suite, de Freud.).

Dresser des cartographies schizo-analytiques d'Hamlet passe par le repérage de son fonctionnement empirique : il s'agit de rendre sensibles les devenirs de la pensée ». Freud et Deleuze se rejoignent par le même intérêt constant qu'ils accordent à l'analyse de l'oeuvre littéraire (qui occupe une place privilégiée au sein du domaine artistique) et par l'usage de l'oeuvre comme terrain d'expérimentation et de validation » 460. La méthode à suivre pour cartographier de manière schizo-analytique Hamlet consiste donc à s'intéresser aux devenirs en jeu dans Hamlet, à ne pas chercher à faire une téléologie de l'oeuvre ni à recourir au mythe de l'intériorité comme clef ultime, explicative du sens » de Hamlet, et à être attentif au processus de déplacement de concepts dès lors que le chef-d'oeuvre de Shakespeare ne met pas seulement en mouvement des percepts et des affects.

La méthode est dite externaliste » car il s'agit, avant toute analyse classique » ou lecture suivie de l'oeuvre, de tracer des lignes dans l'oeuvre, de se focaliser sur le surgissement du nouveau à même le déjà-là. Anne Sauvagnargues repère une tension problématique qui relie la pensée de Deleuze et Guattari à celle de Freud. L'attention est portée par Deleuze et Guattari sur l'expression matérielle, sensible du signe.

Avec le personnage d'Hamlet, on semble en rester au discursif et au verbalisme, tandis qu'avec Ophélie s'offre à nous une multiplicité de signes non discursifs et d'images, elle introduit une sorte de rupture asignifiante à même la pièce de Shakespeare.

Tandis qu'Hamlet se prête davantage à l'interprétation de type psychanalytique, Ophélie est (schizo-)analysable en termes de forces.

La méthode deleuzo-guattarienne qui s'applique à la littérature considère l'oeuvre littéraire sur le mode asubjectif impersonnel » et comme étant irréductible à la figure de l'auteur, ou à celle du génie privé [...] individualité d'exception, livrant ses souvenirs personnels et autres sales petits secrets ». 461».

Choisir de minorer » ou d' amputer » Hamlet, c'est renoncer à (re)produire des logorrhées de plus sur le personnage du prince danois pour produire quelque chose de nouveau à partir du personnage d'Ophélie, personnage pour une large part ignoré, ou du moins méconnu, des analystes, et pourtant privilégié par les peintres dans leurs oeuvres picturales s'inspirant de la pièce de Shakespeare. Ophélie, dans son discours délirant, fait sortir la langue de ses sillons, elle l'a fait littéralement délirer, comme dirait Deleuze dans Critique et clinique. Sa mort même est agencement de séries disparates, production de lignes de fuite, déterri-torialisation.

Dans Cartographies schizo-analytiques462, contre la machine psychanalytique perçue comme assujettissement à la dictature du signifiant, Guattari pro-

460. ibid., p. 10.

461. ibid., p. 17.

462. Félix Guattari, Cartographies schizo-analytiques, Galilée, Paris, 1989.

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pose l'idée d'une machine d'art comme libération par rapport au dualisme signifiant-signifié.

La machine est productrice d'une certaine forme de subjectivité dans les deux cas. Avec Ophélie, on sort de la centration sur le sujet autoréférentiel et auto-consistantiel. Pour Guattari, tous les systèmes de modélisation sont acceptables uniquement dans la mesure où leurs principes d'intelligibilité renoncent à toute prétention universaliste et admettent qu'il n'ont d'autre mission que de concourir à la cartographie de territoires existentiels impliquant des univers sensibles, cognitifs, affectifs, esthétiques, etc.

La méthode proposée par Guattari n'implique pas de repérer des axes si-gnificationnels ou des état de sens mais de mettre en acte des cristallisations existentielles s'instaurant, en quelque sorte, en-deçà des principes de base de la raison classique. 463, dont la raison psychanalytique est un avatar.

Il s'agit de critiquer le rationalisme borné qui ne tient pas compte des traits intensifs , de ce qui fait que l'existence peut-être singularisée, de ce qui ne peut être saisi par des modes rationnels de connaissance discursive.

La schizo-analyse entend conjoindre ce qu'il y a de plus universel avec ce

qu'il y a de plus contingent.

1) Un Hamlet de moins : comment minorer et déprésenter Hamlet?

Lire Hamlet, le réécrire, le mettre en scène, le jouer, c'est se créer son propre Hamlet et faire surgir alors quelque chose de nouveau à partir d'un matériau déjà présent, le texte de Shakespeare.

Partant des expérimentations faites par Carmelo Bene sur Hamlet, nous proposerons plusieurs pistes pour une approche schizo-analytique d'Hamlet. Un Hamlet de moins de Carmelo Bene suit, non sans ironie, les développements de Freud sur Hamlet et ×dipe, tout en s'inspirant de la réécriture de Laforgue dans Hamlet, les suites de la piété liale464. Carmelo ne considérait pas ses textes comme une énième réinterprétation de l'Hamlet de Shakespeare, lui-même étant tout comme Deleuze et Guattari rétif à la notion d'interprétation, mais comme une restitution de ce que Klossowski définissait comme le sens métaphysique du théâtre .

Minorer Hamlet consiste à soustraire la littérature, soustraire le texte, une partie du texte et voir ce qui advient, ceci constitue pour Deleuze une approche qui comporte plus d'amour pour Shakespeare que tous les commentaires 465.

Et si Hamlet était en réalité psychotique? Nous avons vu que

l'hypothèse qu'Hamlet hallucinerait, notamment en voyant le spectre de son père, avait été explorée par Greg dans son article Hamlet's hallucination 466.

463. Félix Guattari, op. cit., p. 12.

464. Jules Laforgue, Carmelo Bene, Hamlet & suite, éditions vagabonde, 2013.

465. Gilles Deleuze, Un manifeste de moins , dans Carmelo Bene, Gilles Deleuze, Superpositions, Les éditions de Minuit, Paris, 1979.

466. Walter Wilson Greg, art. cit.

467. Sigmund Freud, Sur la dynamique du transfert , in O.C.F. XI (1911-1913), PUF, Paris, 2005.

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A cela Freud répondrait sans doute qu'il ne s'agit pas d'une hallucination psychotique, mais que c'est la capacité hallucinatoire de l'inconscient » 467qui

en est la cause.

L'Hamlet de Freud, c'est toujours la névrose. Même si Hamlet peut revêtir sous la plume freudienne diverses variantes névrotiques (hystérie, obsession, mélancolie), ce qui dans son comportement et dans son état pourrait éventuellement renvoyer vers l'autre de la névrose, à savoir son versant négatif», la psychose, est toujours relégué au second plan, et interprété comme un symptôme névrotique déguisé et qui ne franchit pas les limites de la nosographie du névrosé.

Considérer la psychose uniquement comme le négatif de la névrose et la renvoyer à son caractère ineffable et inanalysable nous semble une dérobade facile de la part de Freud. Si d'un point de vue strictement clinique et thérapeutique, une approche schizo-analytique nous semble de moindre utilité voire hasardeuse, d'un point de vue théorique et littéraire, une analyse des manifestations s'apparentant davantage à la psychose qu'à l'éternelle névrose privée nous paraît être une voie que n'a pas assez exploré Freud (bien qu'il se soit tout de même intéressé aux phénomènes psychotiques, ses conclusions tendaient toujours à les exclure du champ d'investigation psychanalytique).

La machine de guerre Hamlet. On peut considérer qu'Hamlet fait fonctionner le théâtre comme véritable machine de guerre contre la machine à illusions, la machine à fantasmes qu'il observe sans cesse dans le jeu de ses proches, personnages avançant toujours masqués (le terme latin persona » désigne à la fois le personnage et le masque), jouant un rôle pour dissimuler la triste vérité de ce qu'ils sont réellement.

Seems, madam? Nay, it is, I know not seems ».

'Tis not alone my inky cloak, good mother,

Nor customary suits of solemn black,

Nor windy suspiration of forc'd breath,

No, nor the fruitful river in the eye,

Nor the dejected haviour of the visage,

Together with all forms, moods, shapes of grief,

That can denote me truly. These indeed seem,

For they are actions that a man might play.

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But I have that within which passes show,

These but the trappings and the suits of woe. 468. Hamlet ne doit plus être conçu comme tragédie littéraire.

Il ne peut pas y avoir d'oeuvre tragique parce qu'il y a nécessai-

rement une joie de créer : l'art est forcément une libération qui fait

tout éclater, et d'abord le tragique. 469.

Représentation et déprésentation. Deleuze et Guattari reprochaient

à la psychanalyse freudienne de donner une importance prépondérante à la dimension de la représentation. Pourtant, Bachelard reconnaissait déjà à la psychanalyse de lui avoir fourni une méthode pour penser l'homme en termes de dynamisme, d'énergie vitale, de forces agissantes alors qu'il était jusque là envisagé d'après la double dimension de l'intellect et de la représentation. Que peut

bien vouloir dire déprésenter Hamlet ?

Prenons un exemple interne à la pièce de Shakespeare qui a suscité beaucoup de commentaires, notamment de la part d'Otto Rank en psychanalyse 470.

Hamlet dit qu'il veut capturer la conscience du meurtrier Claudius par le biais de cette mise en scène. La scène dans la scène serait le miroir de l'âme dans

lequel pourrait se réfléchir la conscience du roi.

468. William Shakespeare, Hamlet, I, 2, 76-86 :

Semble, madame? Non, est. Je ne connais pas semble .

Ce n'est pas seulement mon manteau d'encre, tendre mère,

Ni les habits coutumiers d'un noir solennel,

Ni les soupirs haletants d'une respiration forcée,

Non, ni la prodigue rivière dans l'÷il,

Ni la mine accablée du visage,

Ni aucune des formes, modes ou figures du chagrin,

Qui peuvent me peindre au vif. En effet, elles semblent,

Car ce sont des actions qu'un homme peut jouer.

Mais j'ai ceci en moi qui passe le paraître,

Et tous ces harnachements et habits de la douleur. .

469. Gilles Deleuze, L'Île déserte et autres textes, op. cit., p. 186.

470. Voir Otto Rank, art. Le spectacle dans Hamlet , art. cit.

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N'est-il pas possible de considérer cette mise en abîme shakespearienne autrement que comme une re-présentation d'un crime qui a eu lieu par ailleurs réellement dans le passé?

Considérer cette scène uniquement sous son angle de répétition du même, au sens des grandes répétitions psychanalytiques (la compulsion de répétition qui fait répéter au névrosé exactement les mêmes comportements sans marge de manoeuvre, sans possibilité d'irruption du nouveau), n'est-ce pas passer à côté d'une dimension importante?

Ne pourrait-on pas au contraire imaginer cette répétition d'un événement passé comme une répétition au sens deleuzien, à savoir qu'il s'agirait de répéter quelque chose différemment, et non de reproduire à l'identique, de mimer exac-

tement quelque chose?

De même, la ritournelle d'Ophélie n'est pas une fixation au passé, renvoyant directement au père mort et à l'amour déchu.

La grande ritournelle s'élève à mesure qu'on s'éloigne de la

maison, même si c'est pour y revenir, puisque plus personne ne nous reconnaîtra quand nous reviendrons. ?.

Le délire d'Ophélie est tout entier désir, logique de la sensation et de l'existence, vie.

Et les trois ensemble. Forces du chaos, forces terrestres, forces

cosmiques : tout cela s'affronte et concourt dans la ritournelle. ??.

Le théâtre est lieu de l'expérience, de la vie, du réel et non lieu de la représentation, des fantasmes. Il est machine réelle, productrice et non la machine à illusions, la machine de prestidigitation.

Un Hamlet de moins [...] fait se rencontrer Laforgue et Freud au chevet du solitaire d'Elseneur . il s'agit d'une tentative d'envisager le théâtre comme lieu de destruction organisée consciente et délirante à la fois de l'illusion du représenter, du donner vie au dé-

doublement légalisé du moi sur la scène. ??.

Le théâtre minoritaire est attentif à ce qui couve, aux zones d'ombre que le fait majoritaire a éclipsé en attirant toute la lumière sur lui (la folie d'Ophélie éclip-

sée par la nécessité de la vengeance d'Hamlet).

471. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Qu'est-ce que la philosophie?, Les éditions de Minuit, Paris, p. 181.

472. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille plateaux, Les éditions de Minuit, coll. Critique, Paris, 1980, p. 384.

473.

David Sanson, Préface à Hamlet & suite, op. cit., p. 11.

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Les complexes de subjectivation et les agencements repérables dans

Hamlet. Dans Chaosmose474, Guattari parle de réviser les modèles
d'inconscient qui ont cours actuellement » afin de considérer ce qui produit machiniquement de la subjectivité. Pour cela, il faut considérer le caractère hétérogène des composantes qui agencent la production de la subjectivité. À côté des composantes sémiologiques signifiantes » qu'il ne s'agit pas de renier à tout prix en faisant preuve d'un anti-freudisme primaire, on trouve des éléments fabriqués par l'industrie des média, du cinéma, etc.» 475 ainsi que des dimensions sémiologiques asignifiantes mettant en jeu des machines informationnelles de signes fonctionnant parallèlement ou indépendamment du fait qu'elles produisent et véhiculent des significations et des dénotations, et échappant donc aux axiomatiques » 476. La possibilité pour une personne de se re-singulariser et de sortir des impasses répétitives passe par la constitution de complexes de subjectivation.

Dans le cas de l'analyse d'Hamlet on peut envisager un complexe de subjec-tivation individu - Ophélie - groupe - autres personnages - machine. La machine Hamlet est embranchement du délire d'Ophélie sur quelque chose de l'ordre du trans-subjectif ». Guattari rappelle que l'attention ne doit pas être portée sur les dimensions déjà-là de la subjectivité, cristallisées dans des complexes structuraux » 477 mais bien plutôt partir d'une création ». Le caractère inventif de l'approche schizo-analytique préfère au paradigme scientiste, un paradigme éthico-esthétique ».

Le thérapeute s'engage, prend des risques, met en jeu ses

propres fantasmes, et crée un climat paradoxal d'authenticité existentielle assorti d'une liberté de jeu et de simulacre. » 478.

Il faut prendre en considération les agencements collectifs d'énonciation qui travaillent en profondeur la subjectivité. L'adjectif collectif » ne fait pas référence au social, mais à la multiplicité, à ce qui est au-delà de l'individu et en-deçà de l'individu, c'est-à-dire les intensités pré-verbales et la logique des affects. C'est pourquoi au binôme freudien ontogenèse-phylogenèse, Guattari oppose une hé-

térogenèse de la subjectivité.

La psychanalyse distingue le fantasme de la réalité. Par opposition, Deleuze et Guattari considèrent que les fantasmes sont directement branchés sur les objets de la réalité. Ça machine. Deleuze donne une définition du désir comme délire dans son Abécédaire :

L'inconscient n'est pas un théâtre. Ce n'est pas un endroit où il y a ×dipe et Hamlet qui jouent éternellement leur scène. Ce n'est pas un théâtre, c'est une usine, c'est de la production, c'est le contraire de la vision psychanalytique de l'inconscient où il s'agit toujours d'Hamlet et d'×dipe à l'infini. On délire le monde, on ne délire pas sa petite famille. Le délire n'a rien à voir avec ce que la psychanalyse en a fait. On ne délire pas sur papa-maman. La psychanalyse ramène tout à des déterminations familiales, elle

474. Félix Guattari, Chaosmose, op. cit., p. 12-20.

475. ibid.

476. ibid.

477. ibid.

478. ibid.

185

n'a jamais rien compris à des phénomènes de délire. On délire sur le

monde entier. 479.

Chez Hamlet, la puissance de redondance se sclérose en réitérations dans le cadre de sa névrose obsessionnelle, qui marque un appauvrissement de sa vie psychique. Il est la parfaite occasion pour Freud de s'adonner à son tour à une sorte de compulsion de répétition, lorsqu'il fait revenir Hamlet tout au long de ses écrits.

Au contraire, Ophélie n'a pas contracté de dette avec la psychanalyse et inversement la psychanalyse ne lui doit rien : elle est liberté, répétition libre.

La répétition de la tragédie shakespearienne par Freud serait-elle en dernière

analyse comique, pathétique, histrionique?

La ritournelle d'Ophélie résonnera toujours dans notre esprit et la maintiendra à l'existence à travers l'imaginaire poétique, tandis qu'Hamlet retournera au silence et au néant, à savoir aux logorrhées des psychanalystes et des critiques littéraires.

La répétition est puissance de production et de transformation des cultures. On pense à l'impact d'Ophélie sur l'histoire de l'art.

Hamlet peut-il être conçu comme ritournelle freudienne?

Hamlet peut être pensé comme moi larvaire, car il fourmille aujourd'hui des habitudes des singularités rencontrées sur son chemin depuis sa création par Shakespeare. En effet, les subjectivités et les habitudes de pensée de Goethe, de Freud et de Carmelo Bene ont transformé en profondeur ce moi hamlétien. Hamlet, comme personnage, se modifie au contact des singularités des autres personnages. Hamlet, comme oeuvre séculaire, subit encore des transformations à la rencontre des multiples individus qui souhaitent en faire l'expérimentation.

C'est le premier qui répète tout les autres. C'est Hamlet qui répète toutes ces

tentatives de réécriture.

Dans Littérasophie et filosophiture 480, Deleuze ramène le désir d'interprétation à la paranoïa. Il y a deux types de personnes dangereuses selon lui : d'une part ceux qui ne savent qu'interpréter et d'autre part, ceux qui s'offrent à l'interprétation, Freud d'une part et Hamlet d'autre part.

Le démon d'interpréter, le psychanalyste, le paranoïaque sommeille en nous. Il faut dès lors lutter extérieurement pour s'empêcher d'interpréter.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault