4) Une perspective intellectualiste qui ne tient pas compte
de la beauté de l'oeuvre?
Un ou deux amis m'ont reproché le fait que mon travail
sur Hamlet a diminué le plaisir esthétique que leur
procurait la pièce. Je ne peux m'empêcher de penser toutefois
qu'une meilleure compréhension de l'÷uvre de Shakespeare, de sa
profonde vérité, de sa constante justesse psychologique, de la
profondeur de son inspiration, ne peut qu'accroître
énormément le plaisir que nous prenons à
cette merveille. 371.
La perspective introduite par la psychanalyse appliquée
sur Hamlet risque-t-elle de produire une forme d'amoindrissement du
plaisir esthétique face à l'÷uvre?
Freud circonscrit d'emblée le domaine d'application de
la psychanalyse en ce qui concerne l'art. La dimension esthétique et
formelle ainsi que la question du don artistique, nous l'avons vu, sont
évacuées comme n'intéressant pas la psychanalyse.
Serait-ce précisément parce que ces aspects
résistent à l'outil psychanalytique? Les déclarations de
Freud à ce sujet n'apparaissent pas vraiment comme un aveu
d'incompétence de la part de la psychanalyse mais plutôt comme un
rejet de ces problèmes qui seraient l'affaire des métaphysiciens
et théoriciens de l'esthétique, vus comme des spéculations
vaines et dénuées d'intérêt scientifique.
La volonté de Freud de se démarquer de
l'esthétique et des discours traditionnels sur l'oeuvre d'art
conduit-elle pour autant à adopter une perspective cognitiviste, en
affirmant que seul le plaisir intellectuel découlant de la
compréhension de l'oeuvre compte? La question kantienne du plaisir
esthétique ( Est beau ce qui plaît universellement, sans concept
372) est jugée inapte à rendre compte
de ce qui se joue réellement dans l'expérience de l'oeuvre.
371. Ernest Jones, op. cit.
372. Immanuel Kant, Critique de la faculté de juger,
Critique du jugement (1790), Flammarion, GF, Paris, 2015.
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Derrida, tout en ne cessant de souligner la pertinence
philosophique de la psychanalyse dans nombre de ses ouvrages, condamnera sa
dimension mé-tapsychologique comme désuète et inapte
à résister à l'examen critique ???.
Dans l'imaginaire populaire, la psychanalyse appliquée
est perçue comme une violence faite à l'oeuvre, une
véritable menace faite à l'autonomie de l'oeuvre, à la
liberté de l'auteur et du lecteur ainsi qu'à toute
idéalité. Par ailleurs, elle peut apparaître comme une
extrapolation hasardeuse.
La question saillante devient alors : quelles raisons peuvent
justifier l'application de la méthode psychanalytique à l'oeuvre
littéraire? De quel droit la psychanalyse se permet-elle de s'immiscer
indiscrètement dans la tragédie ?? ? Quelle
légitimité peut-il y avoir dans cette démarche?
Contrairement à l'analysant, l'oeuvre littéraire, telle qu'elle
se donne à l'analyste, ne dispose pas de cette liberté propre
à l'être humain.
Elle n'a à sa disposition aucun des droits qui rendent
l'analyse supportable. [...] L'oeuvre se présente dans un mutisme
obstiné, elle est refermée sur elle-même,
désarmée, devant le traitement que l'analyste pourrait être
tenté de lui faire subir. ???.
A ce titre Hamlet ne peut être que passivement
analysé, là où le patient dans la
cure est analysant.
Se réclamer de la psychanalyse dans le cadre d'une
analyse littéraire est toujours problématique . Plutôt
qu'une application de la psychanalyse, il faudrait peut-être parler de
pratique intertextuelle ??? entre le texte freudien et le texte shakespearien.
On peut dire que Freud informe la lecture de Hamlet . Contrairement au
critique littéraire, le psychanalyste prend en compte la
réalité
du créateur et s'interroge sur la création
artistique.
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