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Hamlet et Freud, de la psychanalyse appliquée à  sa critique philosophique.

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par Layla Dargaud
Paris Ouest Nanterre La Défense - Master 2 Philosophie  2015
  

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e) Culture, conscience morale et sentiment de culpabilité.

«La conscience (morale) fait de nous tous des lâches» 296.

Dans Malaise dans la culture (1927-31), Freud analyse l'importance de ce qu'implique cette citation d'Hamlet pour la psychanalyse. Freud entend expliquer la relation entre le sentiment de culpabilité et la conscience (il s'agit là pour Freud de la conscience morale, c'est lui-même qui ajoute l'adjectif « morale » à la citation de Shakespeare). Le sentiment de culpabilité est une variante de l'angoisse, comme peur du Surmoi.

« Qu'on ait mis à mort le père ou qu'on se soit abstenu de l'acte,

cela n'est vraiment pas décisif, dans les deux cas on ne peut que

294. ibid.

295. Starobinski, op. cit., p. XIX.

296.

Il s'agit, comme nous l'avons vu, d'un vers du célèbre monologue d'Hamlet, en III, 1, 82.

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se trouver coupable, car le sentiment de culpabilité est l'expression du conflit d'ambivalence du combat éternel entre l'Eros et la pulsion de destruction ou de mort. [...] aussi longtemps que cette communauté ne connaît que la forme de la famille, ce conflit doit nécessairement se manifester dans le complexe d'×dipe, instituer la conscience morale, créer le premier sentiment de culpabilité. 297.

Freud explique que les progrès menant de la dimension familiale à celle de l'humanité et de la culture sont indissociablement liés à un accroissement du sentiment de culpabilité porté peut-être à des hauteurs que l'individu trouve difficilement supportables. 298. Freud rappelle l'aisance supérieure avec laquelle le Dichter pressent des choses que le psychanalyste peine à saisir :

Et l'on peut bien pousser un soupir quand on reconnaît qu'il est donné à tels ou tels êtres humains de faire surgir du tourbillon de leurs propres sentiments, à vrai dire sans peine, les vues les plus pénétrantes vers lesquelles nous autres avons à nous frayer le chemin en nous tourmentant dans l'incertitude et en tâtonnant sans répit. Parvenu au terme d'un tel chemin, l'auteur ne peut que prier ses lecteurs de l'excuser de n'avoir pas été pour eux un guide habile, de ne pas leur avoir épargné l'expérience de parcours arides et de dé-

tours pénibles. 299.

Freud met ensuite en avant l'intention de son essai qui est la suivante :

Mettre en avant le sentiment de culpabilité comme le problème le plus important du développement de la culture, et de montrer que le prix à payer pour le progrès de la culture est une perte de bonheur, de par l'élévation du sentiment de culpabilité. [note de Freud : C'est ainsi que la conscience morale fait de nous tous des lâches... - Thus conscience does make cowards of us all... .] 300.

C'est ce passage du monologue d'Hamlet que Freud retient tout particulièrement, contrairement à nombre de commentateurs qui retiendront surtout l'alternative existentielle To be or, not to be (notons que, de manière plus originale, Winnicott s'attardera sur le not to be 301).

De toute évidence, Freud ne pouvait analyser l'importance du sentiment de culpabilité dans la vie psychique individuelle et supra-individuelle sans se référer à son mentor . En effet, Hamlet offre à Freud un exemple saisissant de psychisme embarrassé par une conscience de culpabilité trop envahissante et dont l'objet n'est pas déterminé pour le sujet qui l'éprouve ainsi que d'une acti-

vité inhibée par cette même conscience.

Sartre répondrait sans doute ironiquement à Freud que c'est davantage l'inconscient qui fait de nous tous des lâches! Pourtant, c'est bien parce que

297. Sigmund Freud, Le malaise dans la culture (1929), O.C.F. XVIII (1926-1930), PUF, 1994, p. 320.

298. ibid., p. 320.

299. ibid., p.321.

300. ibid., p. 321 (La référence à Hamlet apparaît en note de bas de page).

301. Donald Woods Winnicott, Jeu et réalité. L'espace potentiel, Gallimard, coll. Connaissance de l'inconscient, Paris, 1975.

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Hamlet est envahi par cette culpabilité diffuse qu'il peut tout faire sauf accomplir la vengeance ordonnée par le spectre. C'est précisément sa conscience de culpabilité inconsciente 302 qui le rend lâche et de mauvaise foi !

Freud explicite cette référence en pointant du doigt le comportement puritain consistant à dissimuler à l'être adolescent quel rôle la sexualité jouera dans sa vie mais avant tout un certain abus des exigences éthiques dont le but serait de faire croire en une possibilité d'atteindre une certaine idée du bonheur par un comportement irréprochable et vertueux. L'analyse prend sens dans l'étude du rapport du sentiment de culpabilité à notre conscience 303. Freud étudie ces mécanismes dans le cas de la névrose de contrainte ou névrose obsessionnelle 304 :

Dans l'une de ces affections, la névrose de contrainte, le sentiment de culpabilité s'impose à la conscience en parlant à très haute voix, il domine le tableau de la maladie tout comme la vie des malades, ne laissant guère apparaître autre chose à côté de lui. Mais dans la plupart des autres cas et formes de névrose, il reste totalement inconscient, sans manifester pour autant des effets de moindre importance. [. . .] il y a aussi dans la névrose de contrainte des types de malades qui ne perçoivent pas leur sentiment de culpabilité ou qui ne l'éprouvent comme un malaise tourmentant, comme une sorte d'angoisse, qu'au moment où ils sont empêchés d'exécuter certaines actions. [.. .] le sentiment de culpabilité n'est au fond rien d'autre qu'une variété topique de l'angoisse; dans ses phases tardives, il coïncide tout à fait avec l'angoisse devant le surmoi. [...] D'une manière ou d'une autre, l'angoisse se cache derrière tous les symptômes, mais tantôt elle accapare bruyamment la conscience, tantôt elle se dissimule si parfaitement que nous sommes obligés de parler d'angoisse inconsciente, ou [. . .] de possibilités d'angoisse. [...] surmoi, conscience morale, sentiment de culpabilité, besoin de punition, remords, [...] Tous se rapportent au même état de choses, mais en en dénommant des aspects différents. 305.

Il est ici intéressant de noter avec quelle minutie Freud tient à distinguer des degrés de conscience, ce qui évacue le préjugé d'un psychisme découpé réellement en parties incommensurables. C'est ainsi que Freud peut qualifier le sentiment de culpabilité de partiellement , totalement ou encore aucunement inconscient.

Hamlet vient ici appuyer les thèses freudiennes sur les interactions entre conscience et inconscient lors des mécanismes névrotiques liés à l'angoisse et au sentiment de culpabilité.

Inspiration et illustration, médecin de la civilisation et cas pour l'étude psychanalytique, Hamlet n'a pas uniquement servi à l'élaboration du complexe

302. Voir la lettre à Fliess du 15 octobre 1897.

303. ibid., p. 322.

304. Rappelons qu'après avoir souscrit à l'hypothèse d'un Hamlet hystérique, Freud bascule dans son étiologie de la névrose hamlétienne en lui prêtant précisément une névrose de contrainte.

305. ibid., p. 322-323.

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oedipien.

Hamlet, ou la présentation voilée et indirecte du désir. Dans un autre court essai de psychanalyse, appliquée initialement aux Frères Karamazov de Dostoïevski 306, Freud revient sur l'importance de ses hypothèses sur le sentiment de culpabilité et la conscience morale pour la compréhension d'Hamlet.

Ainsi que Freud l'avait déjà expliqué dans Personnages psychopathiques à la scène, l'intention universelle de parricide ainsi que le désir universel envers la mère (liée au complexe d'×dipe) doivent être voilés dans les oeuvres littéraires pour produire un effet thérapeutique sur le lecteur-spectateur.

Freud rapproche trois grands chefs-d'oeuvre de la littérature mondiale : Les Frères Karamazov, ×dipe roi et Hamlet. Le personnage d'Hamlet est analysé comme un névrosé souffrant d'un sentiment de culpabilité dû à son complexe d'×dipe (c'est là que résiderait l'origine de son incapacité à agir).

Ce n'est guère un hasard si trois chefs-d'oeuvre de la littérature de tous les temps traitent le même thème, celui de la mise à mort du père : l'×dipe Roi de Sophocle, le Hamlet de Shakespeare et Les frères Karamazov de Dostoïevski. Dans tous les trois, le motif de l'acte, la rivalité sexuelle pour la femme, est également mis à nu. On en trouve la présentation certainement la plus franche dans le drame qui se rattache à la légende grecque. Ici, c'est encore le héros lui-même qui a accompli l'acte. Mais sans atténuation ni camouflage, l'élaboration poétique n'est pas possible. L'aveu tout cru de l'intention de mettre à mort le père, tel que nous y arrivons dans l'analyse, paraît insupportable sans préparation analytique. Dans le drame grec, alors même que les faits sont maintenus, leur indispensable adoucissement est amené de façon magistrale, car le motif inconscient du héros est projeté dans le réel, en tant que contrainte du destin, qui lui est étrangère. Le héros commet l'acte sans en avoir l'intention et apparemment sans influence de la femme, et pourtant cette corrélation est prise en compte du fait qu'il ne peut conquérir la reine mère qu'après avoir répété l'acte sur le monstre qui symbolise le père. Une fois sa coulpe mise à découvert, rendue consciente, il ne s'ensuit aucune tentative pour s'en décharger en faisant appel à cette construction adjuvante qu'est la contrainte du destin, mais au contraire elle est reconnue et punie comme une coulpe pleine et entière, consciente, ce qui ne peut qu'apparaître injuste à la réflexion, mais est psychologiquement parfaitement correct. La présentation du drame anglais est plus indirecte, ce n'est pas le héros qui a accompli lui-même l'action, mais un autre pour qui elle n'a pas la signification d'un meurtre du père. Le motif choquant de la rivalité sexuelle vis-à-vis de la femme n'a

306. Sigmund Freud, Dostoïevski et la mise à mort du père (1928), in O.C.F. XVIII (192630), PUF, 1994, pp. 219-220. On retrouve justement cet essai de Freud dans la préface de l'édition Gallimard, folio classique (1994) au dernier roman (1880) de Fédor Dostoïevski, Les Frères Karamazov.

308. Yves Bonnefoy, Préface à William Shakespeare, Hamlet, trad. Yves Bonnefoy, Gallimard, folio classique, Paris, 1978, p. 10.

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pas besoin par conséquent d'être voilé. De même nous apercevons le complexe d'×dipe du héros, pour ainsi dire dans une lumière réfléchie, en apprenant l'effet qu'a sur lui l'acte de l'autre. Il devrait venger l'acte, curieusement il s'en trouve incapable. Nous savons que c'est son sentiment de culpabilité qui le paralyse; d'une manière tout à fait conforme aux processus névrotiques, le sentiment de culpabilité est déplacé sur la perception qu'il a de sa déficience quand il s'agit d'accomplir cette tâche. Il y a des indices montrant que le héros ressent cette coulpe comme étant supra-individuelle. Il ne méprise pas moins les autres que lui-même : Traitez chaque homme selon son mérite, qui sera alors à l'abri des coups? » 307».

Le pessimisme freudien rejoint le pessimisme d'Hamlet. Le moi n'est plus maître en sa propre demeure, de même que l'homme moderne se sait n'être plus le centre d'un cosmos ordonné, sensé et fini. Le doute est au coeur d'Hamlet comme de l'oeuvre de Freud. Plus de salut possible pour l'homme moderne qui porte sans savoir pourquoi le fardeau d'une culpabilité insoutenable. Hamlet serait alors un cas typique de la conscience moderne torturée par une culpabilité de prime abord indéterminée, dont la nature réelle est inaccessible à la conscience de celui qui l'éprouve.

Yves Bonnefoy considère que la cause de l'hésitation d'Hamlet est davantage intellectuelle et philosophique que psychopathologique ou somatique. Il s'agirait du scepticisme qui sape son énergie et le détourne d'agir » 308, un scepticisme caractéristique de la modernité émergente qui se reflète dans le drame shakespearien. Pourtant Hamlet semble loin de la figure du sceptique incarné dans le

drame shakespearien par Horatio.

L'analyse du cas Hamlet » évolue dans l'oeuvre de Freud.

Durant la période de la première topique, allant des première oeuvres aux oeuvres de maturité, il s'agit de rendre compte des processus en jeu dans les psychonévroses de défense (hystérie, phobie, névrose obsessionnelle) afin d'élaborer une théorie générale de l'appareil psychique divisé symboliquement en trois instances : Conscient Préconscient Inconscient. C'est également cette période qui permettra à Freud d'accumuler de la matière pour sa clinique, de mettre en perspective ses hypothèses théoriques et de prendre en compte progressivement des phénomènes qu'ils n'osaient pas d'emblée aborder, tels que les phénomènes psychotiques, les états mélancoliques, les phénomènes paranoïaques, des phénomènes plus universels et moins liés à la psychopathologie comme le deuil, ainsi que les productions culturelles.

Peu à peu, Freud remet en cause les cadres explicatifs utilisés dans un premier temps afin de refondre massivement l'édifice théorique de la psychanalyse.

307.

William Shakespeare, Hamlet, II, 2, 459-460 :

Use every man after his desert, and who shall scape whipping?

Traitez chaque homme selon son dû, et qui échappera au fouet?

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En effet, Freud se rend compte qu'il n'est désormais plus possible de ramener systématiquement la névrose à un conflit entre une motion consciente et une motion inconsciente, refoulée, bien que cela reste pertinent dans certaines névroses individuelles comme c'est le cas de la névrose hamlétienne.

Des essais d'application des concepts issus de la seconde topique au personnage d'Hamlet ont été entrepris, notamment par Ella Sharpe309, de manière plutôt insatisfaisante. Freud ne sautera pas le pas de relire Hamlet autrement que par les concepts issus de la première topique et des débuts de la psychanalyse.

Dès lors que l'ensemble de l'édifice théorique freudien se maintient avec cohérence malgré les évolutions, nul n'est besoin de changer d'un iota la concep-tualité choisie dès le départ pour l'analyse d'Hamlet.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway