d) Théorie freudienne de la
représentation (mécanisme et effets),
théâtralité et Autre scène inconsciente .
Hamlet est l'utilisation de la névrose sur la
scène. » 282.
Hamlet, premier drame moderne.
Concomitamment à l'introduction d'Hamlet comme
contre-exemple de technique psychanalytique, Freud développe, dans
Personnages psychopathiques à la scène (1901-1905), sa
conception de l'esthétique comme oeuvre de réconciliation du
public avec lui-même et de l'Inconscient comme Autre scène.
Se pose alors la problématique suivante : Comment
peut-on trouver du plaisir à voir représentés sur la
scène des personnages psychopathiques? Dans quelle mesure peut-on faire
d'un névrosé un héros de pièce de
théâtre? Freud part de la théorie aristotélicienne
de la catharsis 283 : l' effet saisissant de la tragédie
» ainsi que son aptitude à éveiller la sympathie » 284
tiennent au fait qu'elle met en scène l'exacte représentation
d'une passion » (par le procédé de la mimesis). Le
processus de la catharsis est ce qui inspirera à Freud la
280. Freud fait ici référence au passage
cité précédemment du Neveu de Rameau de Denis
Diderot.
281. Sigmund Freud, op. cit., trad. O.C.F. PUF.
282. Sigmund Freud, Personnages psychopathiques à
la scène (1905- 1906), in O.C.F. VI (1901-1905), PUF, Paris, 2006,
p. 324-326.
283. Aristote, Poétique, Le Livre de Poche,
classiques, Paris, 1990.
284. Jean Starobinski, op. cit., p. IX.
106
méthode cathartique caractéristique de la
talking cure psychanalytique, nouvel avatar de la purgation des
passions, avec l'avantage que cette purgation est loin d'être purement
passive puisqu'elle requiert la relation dynamique entre l'analysant et
l'analyste ainsi que toute la force psychique du patient . Ainsi que l'a bien
démontré Jean Starobinski 285, la participation
intense à la passion représentée permet au spectateur de
dépenser les énergies correspondant à cette passion et par
là même de les liquider. La méthode cathartique (qu'il
s'agisse de représentation théâtrale ou de cure analytique)
permet le retour du refoulé. De même, Starobinski montre que Freud
propose une théorie de la reconnaissance pour le spectateur, qui, en se
reconnaissant en ×dipe, élargit son identité consciente en
devenant le héros mythique et accède ainsi à la
possibilité de déchiffrer la parole-pulsion encore
inconsciente, alors que la reconnaissance chez Aristote touchait principalement
les acteurs. La reconnaissance chez Freud nécessite cet
événement où les personnages de la tragédie
découvrent une identité demeurée obscure , elle implique
×dipe comme vérité du passé redécouvert . La
jouissance éprouvée correspond au soulagement produit par une
décharge émotionnelle profonde accompagné d'une excitation
de nature sexuelle. Le public s'identifie au héros (idéal du Moi)
sans la souffrance réelle de ce dernier. Ceci fonctionne aussi comme un
mécanisme de défense, d'où le fait que le dramaturge
contribue paradoxalement à renforcer la résistance tout en
favorisant la libération. Le spectateur bénéficie d'une
économie d'efforts en prenant conscience de pulsions qu'il n'a plus
à refouler.
Freud distingue le drame psychologique 286 qui est un
conflit mental entre deux pulsions égales en intensité (amour et
devoir par exemple) du drame psychopathologique. Ce dernier est présent
dans les pièces dites modernes où le conflit a lieu entre une
pulsion consciente et une pulsion refoulée. Ce type de conflit existe
seulement chez le névrosé. C'est en ce sens qu'Hamlet est
qualifié par Freud de premier drame psychopathologique . La condition
préalable de la jouissance est que le spectateur soit lui aussi
névrosé. C'est de la souffrance psychique que le spectateur tire
plaisir. Chez le névrosé, le refoulé peut à tout
moment ressurgir. La reconnaissance théâtrale peut épargner
au névrosé l'effort sans cesse renouvelé qu'il met
à maintenir le refoulement. Freud note trois points importants.
En premier lieu, Hamlet n'est pas psychopathique mais le
devient pendant la durée de l'action.
Deuxièmement, la pulsion refoulée peut
être universalisée : ce désir refoulé est le
même chez tout un chacun et ce refoulement remonte à une phase
précoce de notre développement individuel. L'identification
à Hamlet est ainsi aisée car nous sommes victimes du même
conflit.
Enfin, cette pulsion refoulée n'est pas définie
clairement, même si elle est repérable, ce qui permet au public
d'être ému sans être choqué ou traumatisé.
Ainsi la résistance n'est pas totalement abattue. Elle est amoindrie,
comme lors d'une cure analytique. Ce sont les dérivés des
idées refoulées qui deviennent conscients et non le
refoulé lui-même. Dès lors, la tâche du dramaturge
est de nous transporter dans la même maladie , ce qui est facilité
lorsque le spectateur suit le même développement que le
personnage.
285. ibid.
286. Sigmund Freud, op. cit.
107
Freud précise qu'il y a des limites à
l'utilisation de personnages anormaux sur la scène. Le dramaturge peut
à son gré recourir à des personnages
névrosés mais pas à des personnages psychotiques (la
folie, l'aliénation complète sont exclues de la
représentation car elles ne peuvent être à l'origine de la
catharsis recherchée). Si Hamlet était un simple cas de
folie, il ne capterait pas à ce point notre attention (Ophélie
qui perd entièrement la raison est vite oubliée et on s'identifie
rarement à elle, si l'on suit Freud).
Le théâtre ne doit pas seulement avoir des
effets de libération psychique, mais aussi consolider nos
défenses. 287.
La fonction de réconciliation de la tragédie
passe par l'opération d'identification.
En outre, Freud fait une analogie entre l'enfant qui joue et
le spectateur adulte qui assiste à une pièce de
théâtre 288. On remarque en effet une
continuité, une similitude de fonction dans les deux cas. Le spectateur
s'identifie au héros d'autant plus qu'il ne lui arrive rien d'important
au quotidien (Freud va dans le sens de la thèse selon laquelle l'origine
du théâtre résiderait dans l'ennui), il
bénéficie d'une économie des peurs et des dangers
inhérents au véritable héroïsme, et obtient ainsi la
satisfaction de savoir que ce n'est qu'un jeu et que c'est un autre qui en
souffre et en subira les conséquences. Le Moi, en tant que narcissisme,
lieu des reflets et identifications, lieu de manifestation de tout personnage
et figuration, est le lieu de l'imaginaire. L'inconscient est dramaturgie,
parole, mise en scène. Il est important de rappeler que ce texte
n'était pas destiné à la publication et qu'il n'a
été publié que de manière posthume, Freud
manifestant d'emblée sa méfiance vis-à-vis
d'éventuelles dérives des pathographies ou applications rigides
de la psychanalyse à la littérature .
C'est donc avec beaucoup de prudence qu'il esquisse ce qui est
apparu par la suite comme une tentative de réduction d'Hamlet à
une pathologie accessible à la psychanalyse, ce à quoi Freud
s'opposait vigoureusement.
Après avoir expliqué le passage du drame
religieux , du drame de caractère et du drame social au drame
psychologique ayant lieu dans la vie d'âme du héros , Freud
évoque la mutation du drame psychologique en drame psychopathologique .
Dans le drame psychologique, il s'agit d'un combat générateur de
souffrance entre diverses motions, combat qui doit forcément se
terminer, non pas par la disparition du héros, mais par celle d'une
motion, donc par le renoncement. . Il y a, au contraire, drame
psychopathologique dès lors que
Ce n'est plus le conflit de deux motions à peu
près également conscientes, mais celui entre une source
consciente et une source refoulée de la souffrance auquel nous prenons
part et d'où nous sommes censés tirer du plaisir. La condition de
la jouissance est ici que le spectateur soit aussi un névrosé.
Car c'est seulement au névrosé que la mise à nu et la
reconnaissance en quelque sorte consciente de la motion refoulée peuvent
procurer du plaisir au lieu d'une simple aversion; chez le
non-névrosé cette mise à nu rencontrera simplement de
l'aversion et suscitera la propension à répéter
287. Octave Mannoni, Clefs pour l'Imaginaire ou l'Autre
Scène, Seuil, Points, Paris, 1969.
288. Sigmund Freud, L'écrivain et l'imagination (1908),
Écrits philosophiques et littéraires, op. cit.
108
l'acte du refoulement, car celui-ci a ici réussi la
motion refoulée est pleinement contrebalancée par la
dépense de refoulement, faite en une seule fois. Chez le
névrosé le refoulement est sur le point d'échouer, il est
labile et a constamment besoin d'une nouvelle dépense, laquelle est
épargnée par la reconnaissance. Chez lui seul existe un tel
combat, qui peut être objet du drame, mais chez lui aussi l'auteur
produira non seulement une jouissance de libération, mais aussi de la
résistance. 289.
En l'occurrence, le drame psychopathologique que constitue
Hamlet se caractérise par un conflit (non ouvert) entre une motion
consciente (tâche morale et sociale approuvée par la conscience
d'Hamlet : impulsion de vengeance et tâche pieuse imposée par le
spectre du père) et une motion inconsciente (tendance refoulée,
responsable de son inhibition dont la source réside dans des pulsions
cachées, les désirs enfouis de la petite enfance).
Freud poursuit donc son raisonnement en introduisant l'exemple
d'Hamlet :
Le premier de ces drames modernes est Hamlet. Le
thème dont il traite est le suivant : comment un homme jusque-là
normal devient, de par la nature particulière de la tâche qui lui
est assignée, un névrosé chez qui une motion
jusque-là heureusement refoulée cherche à se faire valoir.
Hamlet se distingue par trois caractères qui semblent importants pour
notre question.
1. Le fait que le héros n'est pas psychopathique, mais
le devient seulement au cours de l'action qui nous occupe.
2. Le fait que la motion refoulée fait partie de
celles qui chez nous tous se trouvent refoulées de la même
manière et dont le refoulement fait partie des fondements de notre
développement personnel, alors que la situation vient
précisément ébranler ce refoulement. Avec ces deux
conditions il nous devient facile de nous retrouver dans le héros; nous
sommes capables du même conflit que lui, car qui dans certaines
circonstances ne perd pas sa raison n'en a pas à perdre [Gotthold
Ephraïm Lessing, Emilia Galotti, acte IV, scène 7].
3. Mais cela semble être une condition de cette forme
d'art que la motion luttant pour accéder à la conscience soit
aussi sûrement reconnaissable qu'elle est peu clairement nommable, si
bien que le processus s'effectue de nouveau dans l'auditeur avec une attention
détournée et qu'il est saisi par des sentiments, au lieu de
s'expliquer les choses. Par là est certes épargnée une
part de résistance, comme on le voit dans le travail analytique
où les rejetons du refoulé, par suite d'une moindre
résistance, parvienne à la conscience, laquelle se refuse au
refoulé lui-même. Le conflit dans Hamlet est
effectivement à ce point caché qu'il m'a fallu d'abord le
deviner. Il est possible que par suite de la non-observance de ces trois
conditions, bien d'autres figures psychopathiques deviennent tout aussi
inutilisables pour la scène qu'elles le sont pour la vie. Car le
névrosé malade est pour nous un homme dans le conflit duquel nous
ne pouvons arriver à voir clair, dès qu'il l'apporte
déjà constitué.
289. Sigmund Freud, Personnages psychopathiques à la
scène, op. cit.
109
Inversement, si nous connaissons ce conflit, nous oublions
qu'il est un malade, tout comme lui, quand il a connaissance de ce conflit,
cesse lui-même d'être un malade. Ce serait la tâche de
l'auteur de nous placer dans la même maladie, ce qui se fait au mieux si
nous prenons part au même développement que lui. En particulier
cela sera nécessaire là où le refoulement n'existe pas
déjà chez nous, donc doit d'abord être instauré, ce
qui, dans l'utilisation de la névrose sur la scène, constitue un
pas au-delà d'Hamlet. Confrontés à la névrose
étrangère et déjà constituée, nous
appellerons dans la vie le médecin et tiendrons ce type de personne pour
inapte à la scène. [...] En général on pourrait
dire que la labilité névrotique du public et l'art de l'auteur
consistant à éviter les résistances et à donner un
plaisir préliminaire sont seuls à pouvoir déterminer la
limite d'utilisation de caractères anormaux.» 290.
Sans nier toute sa valeur à la reprise freudienne des
processus cathartiques à l'oeuvre lorsqu'un spectateur assiste à
une représentation théâtrale, il nous paraît
contestable de postuler comme le fait Freud une normalité du psychisme
d'Hamlet avant l'annonce du Spectre. Dès les premiers vers, Hamlet est
présenté (par Gertrude et Claudius) et se présente comme
souffrant de mélancolie, d'idées suicidaires, de perte
d'appétit, d'insomnie, etc. Freud le sait d'ailleurs pertinemment, lui
qui connaissait chaque détail de la pièce de Shakespeare sur le
bout des doigts.
Notons que Freud reprend ici la métaphore
déjà souvent utilisée par lui au sujet de l'inconscient de
l'opposition entre clarté et obscurité.
Effets d'Hamlet sur le psychisme humain Dans
Le Moïse de Michel-
Ange291 (1913-14), Freud utilise
Hamlet pour illustrer sa compréhension de l'impact de l'art et
de l'intention de l'artiste. La psychanalyse appliquée procède
ainsi : elle utilise des concepts psychanalytiques pour comprendre ce qui se
dissimule derrière les diverses opinions et le conflit entre des
critiques divergentes à propos d'une même oeuvre.
Freud reconnaît que ce qui retient son attention dans
une oeuvre d'art est davantage le contenu », le fond que la forme, la
technique de l'artiste. C'est en quoi il se dit un profane » en
matière d'art et invite son lecteur à considérer ses
tentatives de psychanalyse appliquée à une oeuvre d'art avec
indulgence ». Il indique que le domaine de prédilection de la
psychanalyse appliquée à l'art sera les oeuvres
littéraires et plastiques plutôt que les oeuvres picturales.
Freud tenait à rendre intelligible ce qui relève
en premier lieu de l'émotion, de l'affect face à l'oeuvre en
tentant d'expliciter la manière dont les oeuvres agissent sur lui, par
quoi elles font leur effet ».
C'est à cette occasion qu'il avoue ne parvenir à
ressentir du plaisir au contact d'une oeuvre que s'il réussit à
comprendre ses mécanismes d'action et son contenu :
290. ibid.
291. Sigmund Freud, Le Moïse de Michel-Ange
(1914), Écrits philosophiques et littéraires, Opus
seuil, p. 1137-1138.
110
Une disposition rationaliste ou peut-être analytique se
refuse,
en moi, à ce que je sois ému sans pouvoir savoir
pourquoi je le suis ni par quoi. 292.
Freud récuse l'idée répandue selon
laquelle le désarroi de notre entendement conceptuel face aux grandes
oeuvres d'art est une condition nécessaire aux plus grands effets
qu'une oeuvre d'art est censée provoquer .
Cette présomption semble aller de pair avec une autre
que Freud pointe du doigt, celle de la sacralisation de l'artiste et de
l'oeuvre d'art, sacralisation qui serait rétive à toute approche
psychanalytique, jugée dégradante. La simple supposition qu'il
pourrait y avoir une clef de l'énigme derrière l'oeuvre irait
à l'encontre de l'idée qu'il existerait une
supériorité de la sensibilité exacerbée comme
prérequis à la bonne appréhension de l'oeuvre sur la
rationalité analytique. À ceux qui veulent faire de l'oeuvre
d'art un objet intouchable, ineffable et insaisissable par le discours et la
logique analytiques, Freud répond :
Ce qui nous cause un tel saisissement, ce ne peut pourtant
être,
à mon avis, que l'intention de l'artiste, pour autant
qu'il a réussi à l'exprimer dans l'oeuvre et à nous la
faire comprendre. 293.
L'artiste fait donc pour Freud un travail plus descriptif que
suggestif et il cherche à nous faire saisir plutôt que sentir son
dessein. Freud poursuit, pressentant d'éventuelles objections à
sa conception en apparence inadéquatement intellectualiste,
Je sais qu'il ne peut s'agir d'une compréhension
seulement intellectuelle; il faut que la disposition affective, la
constellation psychique qui a donné chez l'artiste l'énergie
motrice de la création soit suscitée à nouveau en nous.
Or, pourquoi l'intention de l'artiste ne serait-elle pas susceptible
d'être indiquée et formulée verbalement comme n'importe
quel autre fait de la vie psychique? Peut-être que, s'agissant des
grandes oeuvres d'art, on n'y parviendra pas sans recourir à l'analyse.
L'oeuvre elle-même doit pourtant nécessairement rendre cette
analyse possible, si cette oeuvre est l'expression, faisant effet sur nous, des
intentions et émotions de l'artiste. Et pour deviner cette intention, je
dois bien tout d'abord découvrir le sens et le contenu de ce qui est
représenté dans l'oeuvre, donc pouvoir l'interpréter. Il
est donc possible qu'une telle oeuvre d'art nécessite
l'interprétation, et que ce soit seulement après m'être
livré à celle-ci que je pourrai savoir pourquoi j'en ai subi une
impression aussi puissante. Je caresse moi-même l'espoir que cette
impression ne s'atténuera nullement une fois que nous aurons
réussi une telle analyse. Pensons maintenant à Hamlet,
le chef-d'oeuvre plus que tricentenaire de Shakespeare. Je suis les
publications psychanalytiques et je souscris à l'affirmation selon
laquelle il a fallu attendre la psychanalyse pour que, ramenant le sujet au
thème d'×dipe, elle résolve l'énigme de l'effet
provoqué par cette tragédie. Mais auparavant, quelle profusion de
tentatives d'interprétation différentes et incompatibles, quel
choix d'opinions sur le caractère du héros et les intentions de
l'auteur! Est-ce que Shakespeare a sollicité notre sympathie pour un
malade, ou pourun médiocre incapable, ou pour un
292. Sigmund Freud, op. cit.
293. ibid.
111
idéaliste juste trop bon pour le monde réel? Et
combien de ces interprétations nous laissent froids, au point qu'elles
n'apportent rien qui explique l'effet de l'oeuvre, et qu'elles nous
réduisent plutôt à fonder son charme sur l'impression des
idées et l'éclat de la langue! Et cependant, ces efforts
eux-mêmes ne disent-ils pas qu'un besoin se fait sentir de trouver une
autre source à cet effet? » 294.
Freud insiste ici sur le fait qu'il ne cherche pas dans cet
essai à résoudre l'énigme de l'oeuvre à proprement
parler mais « l'énigme de l'effet provoquée par cette
tragédie ».
La psychanalyse, en effet, n'est pas là pour apporter
une clef interprétative réutilisable à l'infini et de
manière universelle. Elle n'est pas cette discipline « magique
» (que critiquait Lévi-Strauss) qui, grâce à une
grille intangible et multi-applicable, s'octroierait le droit d'avoir son mot
à dire sur toute production humaine. Elle agit plutôt avec
subtilité en s'intéressant à l'effet individuel qu'une
oeuvre d'art particulière peut avoir sur la personne qui y est
confrontée. Ceci est particulièrement saillant à propos
d'Hamlet dont il convient d'analyser précisément l'effet
qu'il provoque sur nous, plutôt que d'extraire par un tour de passe-passe
interprétatif le sens mystérieux de l'oeuvre. La psychanalyse
appliquée à l'oeuvre littéraire n'a rien à voir
avec l'exégèse de textes hermétiques. Comme nous le
verrons, elle ne dévoile pas un sens herméneutique, la
vérité immuable celée derrière le texte mais elle
libère une multiplicité de signes et c'est cette
multiplicité qu'il importe d'analyser .
L'inconscient comme Autre
scène Notons que le comportement névrotique peut
parfois prendre des aspects théâtraux et que par ailleurs, comme
l'a noté Starobinski, « L'inconscient n'est pas seulement langage :
il est dramaturgie, c'est-à-dire parole mise en scène, action
parlée. » 295. La métaphore
théâtrale, avec cette idée de l'existence d'une «
Autre scène», était utilisée par Freud
lui-même pour désigner l'instance
inconsciente.
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