Chapitre 2: L'ouverture du droit interne aux
mécanismes d'anticipation
La résolution anticipée du contrat pour risque
d'inexécution ne fait l'objet d'aucune reconnaissance législative
à l'heure actuelle, bien que la jurisprudence n'y semble pas
catégoriquement hostile et que certains travaux doctrinaux plaident en
faveur de son admission (Section 2). Une évolution semble toutefois se
dessiner avec la reconnaissance explicite de l'exception pour risque
d'inexécution au sein du projet de réforme de droit des contrats,
bien qu'un telle mécanisme puisse d'ores et déjà
être appliqué de manière résiduelle en droit positif
(Section 1).
Section 1: La reconnaissance de l'exception pour risque
d'inexécution
Bien que l'exception pour risque d'inexécution ne soit
pour l'heure admise au sein d'une disposition générale (§1),
elle devrait bientôt apparaître au sein de notre système
juridique à la suite de la réforme prévue du droit des
contrats (§2).
§1: La dissimulation de l'exception pour risque
d'inexécution
L'exception pour risque d'inexécution est actuellement
admise par certaines dispositions relatives au contrat de vente (A). Au
delà de ce seul contrat, de nombreux subterfuges permettent toutefois
d'appliquer l'exception pour risque d'inexécution alors qu'elle ne fait
l'objet d'aucune consécration générale. C'est ce que
permet notamment une application détournée de la
déchéance du terme, bien la réelle efficacité de ce
détour soit controversée (B), ainsi que des
référés spéciaux (C).
A\ Les dispositions relatives au contrat de vente
A l'heure actuelle, le code civil français ne contient pas
de dispositions générales tenant à l'exception pour risque
d'inexécution. Tout au plus, celui-ci expose un nombre
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particulièrement restreint de dispositions
spéciales contenant une telle mesure: il s'agit des articles 1613 et
1653 du code civil. Ces textes concernent le seul contrat de vente.
Aux termes de l'article 1613 du code civil, le vendeur n'est
pas obligé "à la délivrance, quand même il aurait
accordé un délai pour le payement, si, depuis la vente,
l'acheteur est tombé en faillite ou en état de
déconfiture, en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de
perdre le prix; à moins que l'acheteur ne lui donne caution de payer au
terme". N'affichant aucune volonté d'appliquer cette mesure au
delà du seul contrat de vente, le législateur ne s'est pas
prononcé avec des termes généraux pour désigner
l'exception pour risque d'inexécution. Ainsi, nous ne décelons
pas d'expressions telles que "suspendre l'exécution de ses propres
obligations d'exécution contractuelles" et "en présence d'un
risque d'inexécution par le cocontractant" mais de termes propres au
contrat de vente. Le risque d'inexécution est ici évoqué
sous l'expression "danger imminent de perdre le prix"69 alors que
l'exception traduit la non obligation pour le vendeur de délivrer le
bien. La mise en oeuvre de ce mode d'anticipation est subordonnée
à un "état de faillite ou de déconfiture" chez l'acheteur.
La suspension des obligations ne peut donc ici être mise en oeuvre que
pour un risque d'inexécution découlant de circonstances bien
précises.
Ce faisant, le législateur affiche une volonté
de pallier à la suppression de la déchéance du
terme70 en cas d'ouverture d'une procédure collective
opérée par la loi du 25 janvier 198571. Si il est,
depuis cette réforme, impossible de rendre immédiatement exigible
une obligation originairement affectée d'un terme en raison d'une
procédure collective, il serait inconcevable d'empêcher le vendeur
de prendre un certain nombre de mesures lui permettant de protéger ses
intérêts économiques72. Si l'obligation à
terme du cocontractant ne peut devenir exigible, les conséquences d'une
probable inexécution doivent pouvoir être anticipées.
L'article 1653 protège, à l'inverse, les
intérêts économiques de l'acheteur situé face
à un risque d'inexécution. Selon ce texte, lorsque "l'acheteur
est troublé ou a juste sujet de craindre d'être troublé par
une action, soit hypothécaire, soit en revendication, il peut suspendre
le paiement du prix jusqu'à ce que le vendeur ait fait cesser le
trouble, si mieux n'aime celui-ci donner caution, ou à moins qu'il n'ait
été stipulé que, nonobstant le trouble,
69. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.231
70. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
71. Loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au
redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises
72. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.231: "Le jugement d'ouverture n'entrainant pas la
déchéance du terme, l'obligation de l'acheteur ne peut,
même de ce fait, être traitée comme une obligation
méconnue".
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l'acheteur paiera." L'expression vague "a juste sujet de
craindre d'être troublé par une action" peut poser certaines
difficultés d'appréciation. Quel est le degré
d'intensité attendu du risque d'inexécution? La jurisprudence
semble se livrer à une interprétation restrictive du texte: la
cour de cassation a en effet estimé que l'acheteur ne devrait suspendre
le paiement du prix qu'en présence d'"un véritable péril
d'éviction" ou d'"un danger sérieux"73.
Quant au préjudice, actuel ou éventuel,
justifiant la mise en oeuvre de l'exception pour risque d'inexécution,
celui-ci est constitué par une atteinte à l'exercice du droit de
propriété74. Il convient de rappeler que ce droit est
une liberté fondamentale traditionnellement considérée
comme étant inviolable et sacrée75. Il n'est alors
nullement étonnant de constater que le législateur ait pu prendre
soin d'octroyer à l'acheteur un mécanisme d'anticipation
permettant d'éviter une telle violation.
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