Conclusion générale
L'idée de "considérer comme juridiquement
acquise" une inexécution future, et donc de "faire présent ce qui
est futur"291 pouvait de prime abord, paraître
déroutante au regard des fondements traditionnels de la force
obligatoire du contrat. Le succès rencontré par les
mécanismes d'anticipation que sont la résolution anticipée
et l'exception pour risque d'inexécution sur le plan international, tant
dans les pays de common law qu'au sein des systèmes de droit
romano-germanique, ont pu inspiré l'élaboration de nombreux
travaux doctrinaux sur le sujet alors que la jurisprudence semble avoir ouvert
la porte à l'admission de tels mécanismes. Les barrières
législatives semblent par ailleurs sur le point d'être
partiellement franchies avec la reconnaissance explicite de l'exception pour
risque d'inexécution au sein du projet de réforme du droit des
contrats.
L'objet de notre étude s'attachait malgré tout
à démontrer que tant la résolution anticipée que
l'exception pour risque d'inexécution devraient trouver place en droit
positif. L'anticipation du risque d'inexécution contractuelle ne
pourrait efficacement s'opérer qu'à travers la
complémentarité de ces mécanismes juridiques: alors que la
résolution anticipée permettrait au créancier de
procéder à l'anéantissement du lien contractuel en
présence d'un risque manifeste d'inexécution, l'exception pour
risque d'inexécution pourrait subsidiairement être mise en oeuvre
lorsque le risque n'est que sérieusement probable avec une
faculté de demander une "assurance suffisante d'exécution" dont
la demande infructueuse permettrait de basculer vers la résolution
anticipée.
En ce qui concerne la résolution anticipée qui
constitue le mécanisme d'anticipation le plus efficace, mais
également le plus radical et controversé, deux formes pourraient
coexister: la résolution anticipée fondée sur l'atteinte
à la confiance légitime du créancier ainsi que la
résolution anticipée fondée sur l'efficacité
économique du contrat.
La première ne pourrait être mise en oeuvre qu'en
présence d'un comportement exécutoire déloyal du
débiteur. Elle ne saurait évidemment recouvrir à elle
seule l'ensemble des situations de fait objective dénotant un risque
d'inexécution mais possède néanmoins
291. J.-C Hallouin, L'anticipation: contribution à la
formation des situations juridiques, thèse Poitiers, 1979, p.VIII
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l'avantage de ne pas soumettre le créancier à
l'obligation de démontrer le caractère manifeste de
l'inexécution future. L'apport de la preuve du comportement
exécutoire déloyal du débiteur postulerait l'existence
d'un risque manifeste d'inexécution. Elle permettrait en outre
d'éviter l'application du devoir de minimisation du dommage qui devrait
peser sur le créancier dans le cadre de la résolution
anticipée fondée sur l'efficacité économique du
contrat, et par ailleurs écarter la réparation du seul dommage
prévisible.
La deuxième pourrait en revanche être
appliquée dès lors que le créancier se situerait face
à un risque manifeste d'inexécution; ce dernier pouvant se
traduire par un refus univoque du débiteur d'exécuter ses
obligations à l'échéance, ou encore par la situation
financière irrémédiablement compromise de ce dernier. Il
appartiendrait alors au créancier d'apporter la preuve du
caractère manifeste de l'inexécution future dans le cadre d'un
éventuel contrôle a posteriori.
Plus globalement, l'admission de ces mécanismes
d'anticipation pourrait avoir non seulement pour effet de bouleverser notre
conception traditionnelle de la responsabilité contractuelle mais
également d'entraîner la consécration de nouveaux
fondements: à savoir, le principe de confiance légitime et celui
d'efficacité économique du contrat. La reconnaissance explicite
de ces principes permettrait ainsi de répondre à l'un des
objectifs les plus cruciaux du droit des contrats: concilier la
sécurité du lien contractuel avec l'impératif de
célérité que commande la vie des affaires.
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