Section 2: La reconnaissance du principe de
résolution unilatérale
Le projet de réforme du droit des contrats consacre
expressément la possibilité de résoudre
unilatéralement le contrat, à côté du jeu de la
clause résolutoire ainsi que de la demande en justice. En effet,
l'article 1224 dudit projet dispose que "la résolution résulte
soit de l'application d'une clause résolutoire, soit, en cas
d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier
au débiteur ou d'une décision de justice." Nous pouvons ainsi
observer une disparition du principe de la résolution judiciaire
actuellement exposé à l'article 1184 du code civil aux termes
duquel la résolution du contrat doit être demandée en
justice. Un tel bouleversement était largement prévisible dans le
sens où la jurisprudence accorde depuis de nombreuses décennies
la faculté au créancier de résoudre "à ses risques
et périls" en présence d'un comportement grave du
débiteur285.
L'admission de la résolution anticipée devrait
malgré tout entraîner un agrandissement de la "place" offerte
à "l'unilatéralisme"286 en droit positif. Alors
qu'aucune hiérarchie ne semble instaurée entre les modes de
rupture du contrat octroyés au créancier à l'article 1224
du projet de la Chancellerie, la reconnaissance de la résolution
anticipée pourrait bien inviter le législateur à
reléguer la résolution judiciaire au rang d'exception alors que
la résolution unilatérale du contrat deviendrait le principe. Il
convient en effet de rappeler que la résolution
284. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution du contrat, LGDJ, 2004, p.584585: Y.-M Laithier
critique à juste titre la règle selon laquelle le
préjudice doit être évalué à
l'échéance de l'obligation inexécutée. En effet, le
devoir de minimisation du dommage pesant sur le créancier devrait
impliquer que le préjudice soit évalué à partir du
moment où celui-ci aura raisonnablement pu le réduire, à
savoir à partir de l'instant où apparaît un risque
manifeste d'exécution. Toutefois, cette obligation n'a pas lieu de
s'appliquer en présence d'un comportement exécutoire
déloyal du débiteur, appelant ainsi l'application de la
résolution anticipée pour perte de confiance. La date
d'évaluation du préjudice doit donc dans ce cas, être
évaluée à l'échéance de l'obligation
inexécutée.
285. Voir supra, p.73
286. S.Bros, Le projet de droit commun européen de la
vente: menace ou opportunité pur la modèle contractuel
français - la place de l'unilatéralisme: progrès ou
danger? S. Bros, RDC Octobre 2012 p.1452
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anticipée ne peut être efficacement mise en
oeuvre que de manière unilatérale287: imposer au
créancier menacé d'inexécution une demande en justice
priverait de toute utilité ce mécanisme d'anticipation qui est de
répondre à un impératif de
célérité288. L'obligation de recourir à
un juge serait par ailleurs d'autant plus mal venue si l'on impose au
créancier de satisfaire à un devoir de minimisation du dommage
qui nécessite de prendre les mesures nécessaires dès lors
que le risque d'inexécution est manifeste et non au moment où le
juge aura statué.
Nous pouvons alors aisément conclure que si l'on admet
que le créancier puisse s'extraire unilatéralement du contrat en
raison d'un risque manifeste d'inexécution, il serait incohérent
d'obliger ce dernier à saisir le juge dans le cas où
l'inexécution aurait eu lieue. La résolution judiciaire
deviendrait alors une mesure d'exception. Il conviendra toutefois de ne pas
négliger l'existence, bien que résiduelle, de cette
dernière. Si la résolution unilatérale, anticipée
ou non, aurait vocation à devenir un principe du droit commun des
contrats, cette dernière ne saurait aisément s'appliquer au sein
des rapports contractuels naturellement déséquilibrés tels
que les relations entre professionnels et consommateurs289290. Il
conviendrait alors que certains régimes spéciaux ne manquent pas
de subordonner la résolution du contrat à un recours judiciaire
aux fins de protéger la partie faible au contrat.
287. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007
288. Voir supra, p.22
289. Thomas Piazzon, La place de l'unilatéralisme:
progrès ou danger?, RDC Octobre 2009 in (Le projet de droit commun
européen de la vente: menace ou opportunité pour le modèle
contractuel français): S'agissant de la protection des consommateurs,
"certaines prérogatives unilatérales qui peuvent être
reconnues au vendeur ou à l'acquéreur risquent de constituer,
pour ce dernier, autant de pièges disséminés ça et
là dans le (projet de droit commun européen de la vente). Notre
avis est que ces différentes prérogatives, adaptées aux
contrats entre professionnels, peuvent difficilement faire l'objet d'une
transposition en droit de la consommation. Il en va ainsi de la
résolution pour risque d'inexécution."
290. Voir supra, p.22
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