B\ L'atténuation du principe de
réparation intégrale
Le principe de réparation intégrale suppose que
la totalité du préjudice soit réparé mais que le
montant des dommages-intérêts ne saurait dépasser ce
dernier. Ce montant recouvre aussi bien le préjudice matériel que
le préjudice moral mais exclue toutefois le dommage que l'on n'aura pu
prévoir au moment de la conclusion du contrat279 ainsi que
toutes conséquences dommageables qui ne seraient pas une "suite
immédiate et directe de l'inexécution de la
convention"280. Le préjudice matériel comprend, aux
termes de l'article 1149 du code civil, la perte subie et le gain manqué
par le créancier, résultant de l'inexécution
contractuelle.
L'application de la résolution anticipée
entraînerait inévitablement une forte atténuation du
principe de réparation intégrale; l'objectif de l'anticipation
étant de réduire le préjudice subi par le
créancier, et partant, le montant des dommages-intérêts dus
par le débiteur. En réalité, si
279. Article 1150 du code civil
280. Article 1151 du code civil
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le préjudice du créancier serait
réparé intégralement, ce ne serait qu'à condition
que ce dernier ait pris soin de minimiser son dommage par application de la
résolution anticipée au moment opportun. Autrement dit, le
préjudice n'est réparé intégralement qu'en
présence d'un comportement contractuel diligent tendant à la
minimisation du dommage par le créancier. Le dommage consécutif
à l'inexécution du débiteur, ne pourra donc être
réparé intégralement si il s'avère que le
créancier n'a pas exécuté son devoir de minimiser son
dommage. Seul le dommage minimisé est intégralement
réparable. Ce bouleversement implique donc un nouveau mode
d'évaluation du préjudice: celui-ci sera évalué
à la date où le risque d'inexécution sera manifeste,
c'est-à-dire, au moment où les circonstances visibles par le
créancier laisseront raisonnablement penser que l'exécution du
débiteur n'aura lieu. De telles circonstances peuvent provenir d'une
déclaration non équivoque du débiteur quant à
l'inexécution de ses obligations futures ou encore d'une
insolvabilité durable et une situation irrémédiablement
compromise du débiteur confirmée par une demande d'attestation
d'exécution émise par le créancier demeurée
infructueuse. C'est en effet, à partir de ce moment, que le
créancier pourra prendre les mesures propres à l'anticipation du
risque d'inexécution. Il en résulte ainsi que le montant des
dommages-intérêts dus par le débiteur correspondra à
la valeur de la perte que le créancier aurait subi et au gain qu'il
aurait manqué dans le cas où l'obligation arrivée à
échéance n'aurait été exécutée,
diminuée de la "valeur économique du temps"281
séparant la manifestation du risque d'inexécution et
l'échéance de l'obligation pesant sur le débiteur. La
"valeur économique du temps" inclura divers paramètres tels que
les fluctuations du marché, ou encore, l'opportunité pour le
créancier de se remplacer.
Ce mode d'évaluation diffère fortement de notre
conception actuelle tendant à évaluer le préjudice au jour
du jugement définitif rendu à la suite de l'inexécution de
l'obligation et ayant pour objet de prononcer l'indemnité282.
On ne se place plus à la date du jugement rendu à la suite de
l'échéance d'une obligation inexécutée mais au
moment où le créancier aura raisonnablement pu réduire son
préjudice283 aux fins de répondre à un
impératif d'efficacité économique. Or, si la date
d'évaluation du préjudice correspondait au jour du jugement rendu
à la suite de l'échéance de l'obligation
inexécutée, il y aurait notamment un risque d'enrichissement du
créancier dû aux potentielles fluctuations du marché
séparant la manifestation du risque d'inexécution et
l'échéance de l'obligation.
281. A. ETIENNEY-DE SAINTE MARIE, Le temps et le
contrat, in Le temps et le droit, journée nationale tome XVIII,
Dalloz 2014
282. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
11e edition, 2013, p.651
283. Y.-M. LAITHIER, Étude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ, 2004, p.585
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Il convient toutefois de rappeler qu'en cas de comportement
exécutoire déloyal du débiteur tendant à faire
échec à l'exécution des obligations à
échoir, le devoir de minimisation du dommage n'aura pas lieu de
s'appliquer. Le préjudice devra donc être évalué
à l'échéance de l'obligation inexécutée
quand bien même la résolution aurait été
appliquée de manière anticipée et "y compris si
l'échéance est postérieure à la date à
laquelle le jugement est rendu"284.
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