L'anticipation des risques d'inexécution du contrat.( Télécharger le fichier original )par gilles quinones Université Montpellier I - Master 2 Droit de la distribution et des contrats dà¢â‚¬â„¢affaires 2014 |
B. L'anticipation du risque d'inexécution en droit européenLes mécanismes d'anticipation n'ont pu qu'attirer l'attention des juristes européens ayant effectivement entrepris d'élaborer divers travaux doctrinaux et propositions parlementaires (1) ainsi que celles de législateurs nationaux ayant inévitablement été influencé par le législateur européen (2). 1. Droit de l'ue Le droit européen des contrats démontre une volonté d'admettre au sein de ses États membres les mécanismes de la résolution anticipée et de l'exception pour risque d'inexécution. Une telle ambition se révèle à travers la lecture des Principes de Droit Européen des Contrats (a) et de la proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif à un droit commun européen de la vente (b). a) Les PDEC Le juriste français ne peut plus, à l'heure actuelle, ignorer les travaux doctrinaux effectués à l'échelle européenne. Les principes de droit européen des contrats élaborés par la commission Lando visant à faciliter l'harmonisation d'un droit commun des contrats au sein 48. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement inexécution de la part du débiteur. 21 de l'UE, constituent alors un document de référence incontournable. Afin d'élaborer des règles suffisamment souples et aisément applicables aux échanges commerciaux, les rédacteurs se sont inspirés des droits nationaux des États membres mais également des Restatements américains et de conventions internationales telles que la Convention de Vienne sur les contrats de vente de marchandises.49 Il n'était alors pas étonnant de constater que les recours anticipés que constituent l'exception pour risque d'inexécution et la résolution anticipée n'aient échappé à la vigilance des rédacteurs. La résolution anticipée est consacrée par un article 9:304 des PDEC qui dispose que "lorsque dès avant la date à laquelle une partie doit exécuter, il est manifeste qu'il y aura inexécution essentielle de sa part, le co-contractant est fondé à résoudre le contrat."50 On constatera en premier lieu que la résolution anticipée est limitée par l'existence de prudentes conditions de mise en oeuvre, à l'instar de l'ensemble des systèmes juridiques qui consacrent ce mécanisme: l'inexécution ne saurait concerner une simple condition accessoire tandis que sa survenance doit découler de l'"évidence"51. Comme a effectivement pu le démontrer Aurélie Brès, l'emploi du terme "manifeste" indique que la survenance d'une inexécution essentielle ne doit pas être simplement probable mais être "évidente". Toutefois, il n'est aucunement nécessaire de détenir une "certitude absolue": l'évidence signifie que les circonstances actuelles permettent raisonnablement de déduire que le débiteur n'exécutera pas ses obligations contractuelles. La rédaction de cet article étant assez vague, il incombait à la doctrine de déterminer avec précision quels types de faits étaient susceptibles de caractériser une inexécution future: le débiteur pourrait par exemple se trouver durablement dans l'impossibilité matérielle d'exécuter ses obligations contractuelles, ou encore, affirmer clairement qu'il n'exécutera pas ses obligations.52 Les PDEC consacrent également l'exception pour risque d'inexécution qui constituent un complément indissociable53 de la résolution anticipée. L'article 9:201 dispose en effet
22 qu'"une partie peut (...) suspendre l'exécution de sa prestation dès lors qu'il est manifeste qu'il y aura inexécution de la part du co-contractant à l'échéance"54. Il convient de noter que la récente réforme française du droit des contrats consacre expressément l'exception pour risque d'inexécution. Force est d'observer, malgré l'absence de la résolution anticipée au sein de la réforme, que les PDEC constituent désormais un modèle incontournable pour le législateur français. b) La proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif à un droit commun européen de la vente55 La proposition de règlement relative à un droit commun européen de la vente a théoriquement pour objectif principal de réduire les coûts de transaction imputables aux différences entre les systèmes juridiques des États membres. Une telle réduction devrait nécessairement pourvoir à la fluidité des relations commerciales transfrontières56. Bien que le régime mis en place serait facultatif pour les cocontractants et affiche alors une vocation à cohabiter avec les droits nationaux, l'objectif poursuivi est en réalité beaucoup plus ambitieux. De nombreux articles concernent en réalité la plupart des contrats et non la seule vente, de sorte que les législateurs nationaux risquent à terme, d'être incités à procéder à une harmonisation totale du droit des contrats57. Tel est notamment le cas des dispositions concernant la "résolution pour inexécution anticipée" ainsi que l'exception pour risque d'inexécution que le règlement qualifie de "droit de suspendre l'exécution". Le droit de résoudre ou de suspendre le contrat par anticipation ne peut en effet concerner la seule vente, bien que les rédacteurs ne manquent pas de mentionner clairement les termes "vendeurs" et "acheteurs" au sein des articles. Par conséquent, lorsque les législateurs nationaux intégreront cette possibilité, bien que facultative, au sein de leur système juridique, ils seront très certainement contraint de modifier le droit national pour appliquer ces mécanismes à l'ensemble des contrats bien que certains contrats spéciaux feront certainement exception. Jean Sebastien Borghetti a ainsi pu faire remarquer que l'admission d'un tel règlement européen entraînerait à terme une inévitable harmonisation du droit commun des contrats pour
23 la simple raison qu'il existe une évidente synergie entre le droit commun et le droit spécial: il serait inconcevable de déconnecter ces deux composantes. Il pourrait en effet paraître inopportun d'admettre la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution dans le cadre du contrat de vente et non pour d'autres types de contrats. De même, il pourrait sembler incongru d'accepter ces deux outils juridiques pour les relations transfrontières et non pour les rapports strictement internes. La proposition de règlement européen aurait donc une influence certaine sur le droit commun français des contrats: son admission inciterait fortement le législateur à introduire la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution en droit positif. Les objectifs d'harmonisation totale poursuivis par les institutions européennes ne manquent toutefois pas d'entraîner un certain nombre de conflits. Deux articles concernent la résolution anticipée et sont chacun situés sous un chapitre intitulé "moyens d'action à la disposition de l'acheteur" et "moyens d'action à la disposition du vendeur". Leur rédaction est cependant quasiment identique et autorisent aussi bien l'acheteur que le vendeur à procéder à une résolution pour inexécution anticipée "dès lors que l'inexécution serait de nature à justifier la résolution" et dans le cas où le cocontractant aurait "déclaré qu'il ne s'exécuterait pas ou s'il est par ailleurs manifeste qu'il ne s'exécutera pas. "58 Ces dispositions n'ont pas échappé à certaines critiques, notamment en ce qui concerne les rapports déséquilibrés que constituent les relations entre consommateurs et professionnels. Si l'on pourrait aisément concevoir l'admission d'une telle possibilité pour les relations entre professionnels, il en est tout autrement dans le cadre d'une relation entre consommateur et professionnel et où ce dernier souhaiterait unilatéralement mettre fin au contrat avant que l'obligation de payer du consommateur ne soit échue. Comme a pu le faire remarquer S. Bros, "le professionnel qui, par exemple, a recueilli plus de commandes qu'il ne peut fournir de produits, ne va t-il pas (résoudre) le contrat en se prévalant de quelques motifs douteux"59? Force est de constater que si l'anticipation du risque d'inexécution par le biais de la résolution anticipée est concevable pour assouplir les relations d'affaires entre partenaires commerciaux, il serait inopportun d'en faire application pour les relations déséquilibrés tels que les rapports entre consommateurs et professionnels ou encore, entre grandes entreprises et PME. Or le souci animant les institutions européennes est de cantonner les pouvoirs du juge qui demeure avant tout national
24 et qui de ce fait, constitue un obstacle sérieux à l'harmonisation recherchée en droit des contrats60. Il n'est donc aucunement étonnant de constater que "l'unilatéralisme"61 prend une place importante au sein de ce règlement. Par ailleurs, la résolution anticipée ne saurait, pour des raisons d'efficacité évidente, être mise en oeuvre que de manière unilatérale62. Recourir à un juge briserait l'utilité de ce mécanisme qui est de répondre à un objectif de célérité. Il est toutefois nécessaire de rappeler que "le consommateur et la petite entreprise ont besoin d'un juge pour encadrer leurs relations économiques"63. 2. droit des pays voisins Outre l'Angleterre, plusieurs États membre de l'Union européenne reconnaissent également la résolution anticipée ainsi que l'exception pour risque d'inexécution non reconnue en droit anglais. Ainsi, le droit allemand consacre, depuis une réforme du 26 novembre 200164, la résolution anticipée au sein d'un article §323 (4) du BGB qui dispose que "le créancier peut résoudre le contrat avant même l'échéance de la prestation, s'il est évident que les conditions de la résolution sont remplies". L'on constate de prime abord que le BGB admet l'inexécution future comme "juridiquement acquise"65; les conditions de mise en oeuvre de la résolution pour inexécution et celles de la résolution anticipées étant identiques. Cette dernière n'est pas soumise à des conditions d'applications autonomes. Il y a eu lieu d'en déduire que l'inexécution future est assimilée à une inexécution consommée. À partir du moment où l'inexécution future est "évidente", il y a lieu de la traiter de la même manière qu'une inexécution actuelle. Le droit allemand reconnaît également l'exception pour risque d'inexécution. L'article §321 (1) du BGB admet en effet cette possibilité "lorsqu'après la conclusion du contrat, il devient manifeste que son droit à contre-prestation est menacé par le manque de ressource de l'autre partie". On remarque alors que l'exception pour risque d'inexécution est subordonnée à un
25 risque d'insolvabilité du cocontractant. Le champ d'application de ce mécanisme est donc plus restreint en droit allemand que dans nombre de systèmes juridiques qui l'autorisent. En effet, le code de commerce uniforme du droit américain, les PDEC, ainsi que le projet français de réforme de droit des contrats n'imposent aucunement de rapporter l'existence d'un risque d'insolvabilité du cocontractant. On pourra par ailleurs noter que le droit italien subordonne également l'application de l'exception pour risque d'inexécution à un tel risque d'insolvabilité. L'article 1461 du code civil italien autorise tout contractant à suspendre l'exécution de sa prestation "si les conditions patrimoniales de l'autre partie ont changé de telle sorte que l'obtention de la contreprestation est en sérieux danger"66. Ce texte a été introduit en 1942 sous l'influence du droit allemand67. |
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