§2: L'élargissement de la causalité
L'anticipation du risque d'inexécution pose un
problème délicat quant à la détermination du lien
direct de cause à effet. Il est en effet ardu de détecter un tel
lien entre un dommage futur et un événement qui ne s'est non pas
produit mais qui risque seulement de se produire. Autrement dit, il pourrait
paraître utopique de pouvoir démontrer qu'un simple risque
manifeste d'inexécution constituerait la cause directe d'un dommage
ultérieur. Afin d'illustrer cette difficulté, prenons l'exemple
d'une obligation de donner une somme d'argent pesant sur un débiteur
dont la situation financière laisserait légitimement penser que
ladite obligation ne sera pas satisfaite. Si le créancier souhaite
procéder à la résolution anticipée du contrat avec
une demande d'allocation de dommages-intérêts, et ce faisant,
engager la responsabilité contractuelle de son débiteur, le fait
générateur ne sera pas l'inexécution elle-même,
à savoir le non paiement de la somme d'argent puisque la dette n'est pas
encore échue, mais le risque d'inexécution qui pourrait par
exemple se traduire par l'insolvabilité durable et la situation
irrémédiablement compromise du débiteur. Or
l'insolvabilité de ce dernier ne saurait constituer la cause directe du
dommage affectant le créancier, à savoir la perte de gain subie
et le gain manqué. En effet, si le créancier subirait une perte
et serait privé d'un gain à l'échéance, la cause
directe d'un tel préjudice serait le non paiement par le débiteur
et non l'insolvabilité de ce dernier. Si celle-ci serait une cause
directe de l'inexécution par le débiteur, elle ne constitue
qu'une cause indirecte du préjudice subi par le créancier. Le
risque d'inexécution ne cause donc pas directement de dommage mais
laisse entrevoir, avec plus ou moins de certitude, la survenance d'un
préjudice. La reconnaissance de la responsabilité du
débiteur sur le fondement du risque manifeste d'inexécution
impliquerait alors une certaine distension du lien de causalité,
tranchant ainsi avec le système de la "cause générique" ou
"causalité adéquate" actuellement soutenu par la majeure partie
de la doctrine. Il n'en demeure pas moins que toutes les fois où le
risque d'inexécution sera manifeste, c'est à dire, dès
lors que la présence d'une inexécution future sera "certaine ou
apparemment certaine", la vigueur du lien de causalité ne saura,
malgré son caractère indirect sur le plan matériel,
être nié. Si le dommage subi ne pourrait être
qualifié de "suite immédiate et directe" du risque manifeste
d'inexécution, il n'en demeurera pas moins une conséquence
directe de l'inexécution, qui elle-même, aura été
une conséquence directe du risque manifeste d'inexécution.
L'assouplissement
277. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
11e edition, 2013, p.645
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du lien de causalité ne saurait remettre en cause sa
pertinence.
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