B\ Le degré de certitude du risque
L'engagement de la responsabilité du débiteur
serait conditionnée à un certain degré de certitude du
risque d'inexécution. Celle-ci pourra être engagée chaque
fois que le risque sera certain (1) ou découlera de l'évidence
(2). Il conviendra toutefois de noter que la simple probabilité
sérieuse de risque d'inexécution appelant la mise en oeuvre du
mécanisme de l'exception pour risque d'inexécution pourrait avoir
pour effet indirect d'engager, du moins partiellement, la responsabilité
du débiteur. Telle est la raison pour laquelle il reviendra au
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créancier d'indemniser le débiteur chaque fois
qu'une exception pour risque d'inexécution dommageable aura
été mise en oeuvre à tort (3).
1. Certitude de l'inexécution future
Il ne fait aucun doute que la responsabilité du
débiteur pourra être engagée chaque fois que
l'inexécution future sera certaine. Anticiper, et partant, "faire comme
si" le futur était d'ores et déjà présent est
effectivement relativement aisé lorsque l'on est sûr que
l'événement redouté aura lieu. Le créancier pourra
donc procéder à une résolution anticipée
accompagnée d'une demande d'allocation de
dommages-intérêts. Le caractère certain de
l'inexécution future reste toutefois une hypothèse relativement
rare et ce faisant, quasi-impossible à démontrer. La
faculté de déterminer avec certitude un tel
événement relèverait de l'utopie. Partant de l'idée
selon laquelle il serait inconcevable d'exiger du créancier un certain
pouvoir de prédiction263, les systèmes juridiques
admettant en leur sein le mécanisme de la résolution
anticipée exigent que l'inexécution future soit "certaine ou
apparemment certaine"264. En d'autres termes, elle doit
découler de l'"évidence"265.
2. Évidence de l'inexécution future
L'"évidence"266 de l'inexécution
future, traduit dans la plupart des textes législatifs
énonçant la résolution anticipée par les termes
"risque manifeste d'inexécution", est purgé de toute exigence de
prédiction de la part du créancier. Affirmer que
l'inexécution ultérieure doit paraître évidente
revient à exiger du créancier une simple analyse de la situation
actuelle. Cette dernière doit en effet laisser raisonnablement penser
que le débiteur n'exécutera ses obligations contractuelles
lorsque ces dernières arriveront à échéance. Par
conséquent, la responsabilité du débiteur pourra
être engagée toutes les fois que les circonstances actuelles
permettront légitimement de penser qu'il n'exécutera pas ses
obligations. Comme les termes "légitime" ou "raisonnable" que nous
venons d'évoquer, l'indique, l'évidence ne saurait aucunement
procéder d'un subjectif sentiment d'anxiété du
créancier: elle doit se fonder sur
263. Comme a pu l'affirmer M. Le juge Posner, "personne n'attend
du créancier qu'il lise l'avenir ou qu'il prédise une
modification hautement probable de la situation ou des intentions du
débiteurs" (Central States, SE & SW Pen v. Basic Am. Ind., 252 F.3d
911, spéc., p.919: "(...) the doctrine of anticipatory repudiation does
not traffic in the miraculous. A breach occurs when it is reasonably certain
that the other party is not going to meet its obligations under the contract in
timely fashion");
264. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.
265. Aurélie BRES, La résolution du contrat par
dénonciation unilatérale, Litec, 2009, p.306 et s.
266. Aurélie BRES, La résolution du contrat par
dénonciation unilatérale, Litec, 2009, p.306 et s.
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des éléments objectifs tels qu'une situation
financière irrémédiablement compromise confirmée
par une réponse négative ou une absence de réponse
à une demande d'attestation d'exécution, une déclaration
non équivoque par le débiteur d'exécuter ses obligations
futures, ou encore un comportement exécutoire déloyal de la part
de ce dernier.
3. Probabilité de l'inexécution future
Seule l'exception pour risque d'inexécution peut
être justifiée par une simple éventualité
d'inexécution, quoique le degré de probabilité se doit
malgré tout de revêtir un caractère
sérieux267. Il convient par ailleurs de noter que seul
l'inexécution et le risque manifeste d'inexécution peuvent avoir
pour effet d'engager la responsabilité du débiteur. On ne
pourrait assurément concevoir qu'un simple risque d'inexécution
puisse constituer un fait générateur de responsabilité.
Toutefois, lorsque celui-ci revête un caractère de
probabilité sérieux, le créancier craintif pourra adopter
une mesure visant à protéger ses intérêts
économiques: à savoir, la mise en oeuvre d'une exception pour
risque d'inexécution. Certains auteurs ont malgré tout pu faire
observer que l'application d'une telle mesure pouvait, en pratique,
déployer des effets similaires à une résolution partielle
du contrat. Tel serait notamment le cas de la suspension d'un contrat de
travail268. Cette observation permet alors d'affirmer qu'un simple
risque d'inexécution pourrait indirectement avoir pour effet de
responsabiliser le débiteur; ce qui peut nous sembler regrettable. Il
serait donc opportun d'exiger que, nonobstant le caractère
sérieux de la probabilité d'inexécution, le
créancier soit contraint d'indemniser le débiteur des
conséquences dommageables de la mise en oeuvre d'une exception pour
risque d'inexécution lorsque cette dernière aura
été appliquée inutilement.
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