Titre 2: Le bouleversement du régime de la
responsabilité contractuelle
L'étude du droit de la responsabilité civile
délictuelle a permis à certains auteurs tels que Cyril Sintez
d'établir l'existence en droit positif de nombreux cas où la
responsabilité civile pouvait être engagée en vue de
prévenir un dommage redouté. De ce constat, ce dernier auteur
déduit l'existence de la notion de "sanction préventive" en droit
positif. Cette mise en lumière se justifie notamment par une
volonté pragmatique d'offrir la faculté pour toute victime
potentielle d'un dommage ultérieur d'anticiper ce dernier; or une telle
ouverture passerait inévitablement par une remise en cause de notre
conception traditionnelle de la responsabilité civile délictuelle
qui semblerait, en pratique, correspondre à un déni de
réalité juridique. Un tel raisonnement pourrait-il être
transposé en matière de responsabilité contractuelle? La
question mérite largement d'être débattue: si l'idée
d'anticiper le fait dommageable en matière délictuelle peut avoir
des conséquences sur le régime de la responsabilité
délictuelle, il serait difficile de refuser d'admettre que la
responsabilité contractuelle, dont le régime est largement
inspiré de son homologue, pourrait, de même, être
bouleversée par l'introduction de mécanismes d'anticipation du
risque d'inexécution tels que la résolution anticipée et
l'exception pour risque d'inexécution. Force est donc d'observer qu'une
telle immixtion aurait pour effet de modifier les conditions d'engagement de la
responsabilité contractuelle (chapitre 1) ainsi que les effets de sa
mise en oeuvre (chapitre 2).
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Chapitre 1: Les conditions modifiées de la
responsabilité contractuelle
Bien que le rapprochement du régime de la
responsabilité contractuelle avec celui de la responsabilité
délictuelle ait pu être critiqué par certains
auteurs241, sa mise en oeuvre repose, à l'instar de son
homologue délictuel, sur le triptyque: fait générateur
(section 1); préjudice (section 2); lien de causalité (section
3). Autrement dit, "il faut un fait du débiteur contractuel qui cause un
préjudice à son créancier"242.
Section 1: Le fait générateur
Le fait générateur de responsabilité
contractuelle correspond traditionnellement à une inexécution
contractuelle imputable au débiteur (§1). L'incidence des
mécanismes d'anticipation dénoterait que la responsabilité
du débiteur pourrait également être
générée à partir d'un concept plus large: le risque
d'inexécution contractuelle (§2).
§1: Une inexécution contractuelle
Deux types d'obligations contractuelles sont mises à la
charges du débiteur: les obligations expresses, à savoir celles
qui sont stipulées dans le contrat (A), ainsi que les obligations
implicites découlant de principes généraux issus de la loi
ou encore dégagés par la jurisprudence (B). L'inexécution
de ces obligations, expresses ou implicites, peut alors entraîner la
responsabilité du débiteur. Bien que l'introduction des
mécanismes d'anticipation n'aurait pour effet de modifier cette
architecture, il conviendra de rappeler que la résolution
anticipée pour perte de confiance se fondera sur l'obligation implicite,
d'ores et déjà dégagée par la jurisprudence, de ne
pas porter atteinte à la confiance du créancier.
241. Tel est le cas de Philippe Rémy pour qui,
l'allocation de dommages-intérêts en matière contractuelle
ne remplit aucunement une fonction de réparation mais seulement une
fonction "d'exécution par équivalent". L'objectif ne serait pas
de réparer le préjudice causé par l'inexécution
contractuelle mais de fournir au créancier un simple équivalent
de l'obligation contractuelle inexécutée. Il n'y aurait donc lieu
d'effectuer une quelconque assimilation avec la responsabilité
délictuelle. La responsabilité contractuelle serait alors, selon
Philippe Rémy, un "faux concept". (P. REMY, La "responsabilité
contractuelle": histoire d'un faux concept, RTD civ, 1997)
242. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le
rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013
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A\ L'inexécution des obligations
stipulées
Le débiteur qui ne respecte pas la force obligatoire du
contrat engage sa responsabilité, "les conventions légalement
formées (tenant) lieu de loi à ceux qui les ont
faites."243 Il découle effectivement de ce principe, que les
obligations stipulées dans le contrat, traduction de la volonté
des parties, doivent être exécutées.
La responsabilité du débiteur du fait de
l'inexécution contractuelle, totale ou partielle apparaît plus
clairement à l'article 1147 du code civil qui prévoit que ce
dernier "est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et
intérêts, soit à raison de l'inexécution de
l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes
les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause
étrangère qui ne peut lui être imputée". Il
apparaît, à la lecture de cet article, que les rédacteurs
du code civil, ont souhaité procédé à une
assimilation de toute inexécution contractuelle à l'idée
de faute. L'exclusion de la cause étrangère ne pouvant être
imputée au débiteur traduit effectivement une volonté
d'identifier l'inexécution commise par le seul fait du débiteur
à un comportement fautif. Il convient toutefois de noter que la
distinction entre obligation de résultat et obligation de moyen mise en
lumière par Demogue a eu une influence sur l'appréciation de ce
caractère fautif. Ainsi, lorsqu'une obligation de résultat est
exigée, la faute pourra être caractérisée à
partir du constat d'une simple inexécution. En revanche, lorsqu'une
simple obligation de moyen est exigée, la faute sera assimilée
à une négligence ou une imprudence ayant pour effet de
démontrer que le débiteur n'a pas mis tous les moyens en oeuvre
pour remplir ses engagements244. L'existence de cette distinction
tempère ainsi les dispositions de l'article 1147 ayant pour objet
d'assimiler toute inexécution à une faute contractuelle
susceptible d'engager la responsabilité du débiteur. Nous
verrons, en outre, que l'introduction de la résolution anticipée
en droit positif pourrait avoir plus largement pour effet d'écarter la
faute du cadre contractuel, celle-ci faisant par ailleurs l'objet de nombre de
critiques doctrinales245. La responsabilité contractuelle
revêtirait alors un caractère objectif246.
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