B\ La réduction des
dommages-intérêts
La perspective pour le débiteur de voir diminuer le
montant des dommages-intérêts aurait pour effet
bénéfique d'inciter ce dernier à coopérer avec le
créancier pour anticiper le risque d'inexécution (1). Par
ailleurs, l'application envisageable d'un devoir de minimisation du dommage
participerait à la réduction du montant des
dommages-intérêts (2).
218. Alors que cette dernière peut être
invoquée en cas de risque d'inexécution manifeste, l'exception
pour risque d'inexécution pourra être soulevée par le
créancier craintif dans le cas où l'inexécution serait
simplement probable. Ce dernier aura toutefois la possibilité de
demander une assurance adéquate d'exécution pour pouvoir
prononcer la résolution anticipée en cas d'absence de
réponse ou de réponse négative. De plus, la
résolution anticipée étant conditionnée, si l'on
s'en tient aux propositions du projet Terré, à une réponse
négative ou une absence de réponse à une demande
d'assurance adéquate d'exécution préalablement
notifiée par le créancier, l'exception pour risque
d'inexécution pourrait être invoquée parallèlement
au déroulement de la procédure de mise en oeuvre de la
résolution anticipée. Il ressort de ces constats que l'exception
pour risque d'inexécution constitue un complément, mais
également un prélude indispensable à la mise en oeuvre de
la résolution anticipée. L'anticipation du risque
d'inexécution commence donc par une suspension des obligations du
créancier.
219. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.229
1. 82
La coopération contractuelle incitée
La réduction du préjudice du créancier
entraîne corrélativement une diminution du montant des
dommages-intérêts dûs par le débiteur. Anticiper le
risque d'inexécution peut être vu comme une sorte de pari
"gagnant-gagnant". Les intérêts économiques de chacun des
cocontractants, débiteur ou créancier, sont davantage
améliorés que dans le cas où l'on attendrait que
l'inexécution redoutée ait lieue. La perspective d'une
réduction du montant des dommages-intérêt aurait pour effet
d'inciter le débiteur à faire part au créancier de ses
difficultés financières dans le cas où un risque manifeste
d'inexécution émergerait. En effet, si le créancier a
intérêt à réduire son préjudice, le
débiteur a indéniablement intérêt à provoquer
la réduction du montant des dommages-intérêts. Ce faisant,
celui-ci participe également à l'anticipation du risque
d'inexécution. On remarque alors que, nonobstant le fait que tout
contrat-échange puisse être analysé comme un "antagonisme
d'intérêt", la maîtrise du risque d'inexécution
implique une coopération renforcée des cocontractants.
Ainsi, l'on comprend par ailleurs que la participation du
débiteur à l'anticipation du risque d'inexécution serait
encore davantage vigoureuse dans le cas où pèserait sur le
créancier un devoir de minimisation du dommage.
2. Le devoir de minimisation du dommage
Comme ont pu le constater certains auteurs, l'application du
devoir de minimiser le dommage pesant sur le créancier
entraînerait pour ce dernier un devoir de résoudre le contrat par
anticipation en présence d'un risque d'inexécution (a). Bien
qu'une telle obligation pourrait de prime abord permettre de penser que le
risque de résolution abusive serait augmenté, il conviendra de
démontrer qu'il ne s'agit d'une fausse inquiétude (b). Nous
exposerons ensuite la position du droit français par rapport à
une éventuelle reconnaissance d'une telle obligation (c).
a) Le devoir de résolution
anticipée220
La notion de "mitigation of damages" ou devoir de minimisation du
dommage, très
220. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution; LGDJ 2004, p.586
83
connue des systèmes juridiques de common law, implique
une obligation pour la victime d'un dommage de ne pas aggraver, ou encore, de
limiter son préjudice. Transposée à la matière
contractuelle, elle impose au créancier victime d'une inexécution
de limiter ou de ne pas aggraver le préjudice résultant de
celle-ci.
On comprend dès lors, qu'au sein des droits de common
law, la résolution anticipée puisse constituer un droit, mais
aussi et surtout, un devoir221. Si le créancier voit peser
sur lui un devoir de minimiser son dommage, encore faut-il lui fournir les
armes permettant d'exercer cette obligation de manière optimale.
L'objectif de ce devoir étant de répondre à un
impératif d'efficacité économique, la prise de mesures
destinées à minimiser le dommage devrait débuter
dès l'instant où un risque manifeste d'inexécution est
constaté. Plus précisément, une telle obligation
débutera, en cas d'insolvabilité apparente du débiteur,
dès la réception d'une réponse négative à
une demande d'attestation d'exécution future préalablement
émise par le créancier ou une absence de réponse à
l'issue du délai mentionné dans la lettre222. Si le
risque d'inexécution se traduit par un refus univoque du débiteur
quant à l'exécution de ses obligations futures, le devoir de
minimisation du dommage pèsera sur le créancier à la date
de réception dudit refus.
Attendre que l'inexécution ait eu lieue pour minimiser
son dommage relèverait d'une incohérence au regard des objectifs
poursuivis par une telle obligation.
b) L'écueil de la résolution anticipée
abusive
L'application du devoir de minimisation du dommage n'est pas
sans danger sur la sécurité du lien contractuel. Cette obligation
contraint le créancier à se demander, lorsqu'une
résolution anticipée est envisagée, si le préjudice
serait plus important en rompant ou en maintenant le contrat223.
Thomas Genicon fait alors part d'une inquiétude légitime: est-ce
que le critère d'aggravation du dommage ne viendrait pas supplanter
celui du caractère manifeste du risque d'inexécution? Il est
permis d'en douter. Le créancier, sur lequel "la mitigation of damages
(...) pèse toujours comme une épée de Damoclès",
pourrait effectivement être tenté de procéder à la
résolution du contrat lorsque l'aggravation du préjudice
paraîtrait inéluctable en cas d'inexécution alors qu'il y
aurait malgré tout de sérieuse raison de douter que celle-ci
se
221. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution; LGDJ 2004, p.586
222. Nous avons en effet proposé que la faculté de
résoudre le contrat par anticipation soit subordonnée à
une demande d'attestation d'exécution par le créancier
conformément aux préconisations du projet Terré. Voir
supra, p.49
223. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.235
84
réaliserait224. Ce peut être par
exemple le cas où le débiteur, motivé par la perspective
de voir le montant des dommages-intérêts diminuer en cas
d'inexécution, ferait part au créancier de ses difficultés
financières225. Ces aveux n'équivalent pas à un
refus non équivoque d'exécuter ses obligations à
l'échéance, ni même, à une insolvabilité
avérée: l'inexécution future ne demeure qu'au stade d'une
simple éventualité. La résolution du contrat en
présence d'un risque d'inexécution non manifeste et motivé
par le devoir de minimisation du dommage demeure malgré tout
infondée et revête la qualification de résolution abusive.
Il convient en effet de souligner que le créancier ne saurait se voir
reprocher un manquement à son obligation de minimiser son dommage qu'en
cas de risque manifeste d'inexécution. Or nous avons
précédemment démontré que ce critère
revêt trois formes: un refus univoque, une impossibilité
avérée d'exécuter à l'échéance, ou
encore un comportement exécutoire déloyal. La simple transmission
des inquiétudes du débiteur au créancier quant à
l'état de sa situation financière n'entre dans aucune des trois
catégories. Les allégations du débiteur doivent être
dépourvues d'ambiguïté pour constituer un risque manifeste
d'inexécution. Par ailleurs, l'insolvabilité apparente du
débiteur devra être confirmée par une réponse
négative ou une absence de réponse à une demande
d'attestation d'exécution future préalablement notifiée
par le créancier. Nous devons donc nous garder d'exercer toute confusion
entre l'appréciation du risque et celle de l'aggravation du dommage. La
question de la minimisation du dommage ne saurait se poser qu'une fois qu'un
risque manifeste d'inexécution aura été établie.
c) Perspective sur une éventuelle consécration
en droit positif
La notion de anglo-saxone de "mitigation of damages" peut
apparaître comme une étrange curiosité, pour ne pas dire
une aberration, au regard du droit français des contrats. La cour de
cassation avait solennellement refusé son application en droit positif
par deux arrêts rendus le 19 juin 2003. La formule employée
donnait indéniablement à l'interdiction une portée
générale226: "Attendu que l'auteur d'un accident est
tenu d'en réparer toutes les conséquences dommageables; que la
victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans
l'intérêt du responsable". Le principe de réparation
intégrale, auquel paraît s'opposer le devoir de minimisation du
dommage227, est ici clairement exprimé.
224. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.235
225. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.235
226. Hugues ADIDA-CANAC, "Mitigation of damage": une porte
entrouverte ?, D. 2012. 141
227. Certains auteurs estiment toutefois qu'il n'existe pas
d'incompatibilité entre le principe de réparation
intégrale et le devoir de minimisation du dommage: Ainsi, selon J.-P
Chazal, "réduire l'indemnisation due à la victime afin de tenir
compte de son comportement postérieur au fait dommageable ne porte
aucunement atteinte
85
La haute juridiction semble malgré tout avoir par la
suite avoir ouvert une voie vers la reconnaissance de ce principe en
matière contractuelle sur le fondement du devoir d'exécution de
bonne foi228. Cette dernière exigerait des cocontractants une
"loyauté réciproque"229 dans l'exécution du
contrat, et ce faisant, une obligation pour le créancier de minimiser
son dommage en cas de manquement contractuel du débiteur230.
Plusieurs arrêts récents contredisent toutefois la portée
de cette décision en réaffirmant l'interdiction de principe
posée par les arrêts rendus le 19 juin 2003 tant en matière
délictuelle231 qu'en matière
contractuelle232.
Cette réticence du droit français reflète
son fort attachement à une approche morale de la force obligatoire des
conventions. Celui qui n'a pas honoré ses engagements doit en assumer
les conséquences. L'on ne saurait, dès lors, imposer à la
victime d'un manquement contractuel, un comportement ayant pour objet
d'atténuer la responsabilité du cocontractant. Certains auteurs
estiment malgré tout que le principe de force obligatoire du contrat,
tout comme celui de réparation intégrale qui découle de ce
dernier, n'est en rien affecté par le devoir de minimisation du dommage.
Moyennant une conception restrictive du lien de causalité, J.-P Chazal
estime ainsi que les conséquences résultant de l'absence de
minimisation du dommage par la victime ne peuvent avoir de lien causal avec la
faute que l'auteur d'un dommage aurait commise. Le principe de
réparation intégrale commanderait en effet que ce dernier ne
répare que les conséquences directes résultant de son
fait233. Plusieurs auteurs estime par ailleurs qu'outre son
efficacité économique, une telle obligation ne serait aucunement
incompatible avec une approche morale du droit des contrats, bien au
contraire.
au principe de la réparation intégrale, lequel n'a
pas pour effet d'imputer à l'auteur d'un dommage des conséquences
dépourvues de lien direct avec le fait causal. C'est aller
au-delà de la réparation intégrale que d'indemniser la
victime des conséquences de sa propre faute dans l'extension ou
l'aggravation de ses préjudices."
228. Civ 2e du 24 novembre 2011 (10-25635)
229. Hugues ADIDA-CANAC, "Mitigation of damage": une porte
entrouverte ?, D. 2012. 141
230. LPA 2002, n° 232, p. 3, obs. P. Jourdain, et p. 55,
obs. A. Laude
231. Cass. 1ère Civ., 2 juillet 2014, n°13-17.599:
"Mais attendu qu'en vertu de l'article 1382 du code civil, l'auteur d'un
dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime
n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du
responsable".
232. Cass 3ème Civ., 10 juillet 2013, n°12-13.851:
"Qu'en statuant ainsi, alors que l'auteur d'un dommage doit en réparer
toutes les conséquences et que la victime n'est pas tenue de limiter son
préjudice dans l'intérêt du responsable, la cour d'appel a
violé le texte susvisé" (visa: article 1147)
233. Jean-Pascal CHAZAL, "L'ultra-indemnisation" : une
réparation au-delà des préjudices directs, D. 2003. 2326:
"réduire l'indemnisation due à la victime afin de tenir compte de
son comportement postérieur au fait dommageable ne porte aucunement
atteinte au principe de la réparation intégrale, lequel n'a pas
pour effet d'imputer à l'auteur d'un dommage des conséquences
dépourvues de lien direct avec le fait causal. C'est aller
au-delà de la réparation intégrale que d'indemniser la
victime des conséquences de sa propre faute dans l'extension ou
l'aggravation de ses préjudices."
86
Stéphan Reifegerste a effectivement pu souligner cette
absence d'incompatibilité en s'appuyant sur le développement de
la loyauté contractuelle et les évolutions du courant
solidariste: "obligation de loyauté et de coopération, obligation
d'information et de conseil, obligation de renégociation et - pourquoi
pas? - obligation de minimiser le dommage?"234.
On peut toutefois aisément affirmer que l'admission de
la résolution anticipée en droit interne risquerait de
débloquer les inhibitions du juge, ou encore du législateur,
quant à la reconnaissance expresse du devoir de minimisation du dommage.
La résolution anticipée ayant pour objet de "parvenir à
une allocation efficace des ressources" et pour effet d'assouplir la vigueur du
lien contractuel, les juristes français seraient naturellement
invités à réviser leur vision traditionnelle de la force
obligatoire du contrat. L'admission d'un tel mécanisme d'anticipation
pourrait alors s'accompagner d'un devoir de minimisation du dommage à la
charge du créancier aux fins de répondre aux véritables
objectifs poursuivi par son introduction en droit interne: l'efficacité
économique du contrat. L'inverse est également
inéluctable: si le devoir de minimisation du dommage venait à
être reconnu en droit interne, la probabilité d'assister à
une admission de la résolution anticipée serait
décuplée en raison du lien inhérent entre l'anticipation
du risque d'inexécution et la minimisation du dommage du
créancier.
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