Chapitre 2: L'efficacité économique du
contrat
Provenant des systèmes juridiques de common law, la
notion d'efficacité économique du contrat tend malgré tout
à influencer les droits de tradition civiliste. L'introduction des
mécanismes d'anticipation en droit positif entraînerait
inévitablement un renforcement de la prise en compte de cette notion
(Section 1). Corollairement, l'importance accrue du principe
d'efficacité économique du contrat aurait un rejaillissement
certain sur notre conception traditionnelle de l'intangibilité du
contrat et subséquemment, sur le fondement de la résolution
classique pour inexécution (Section 2).
Section 1: l'influence de l'anticipation sur
l'efficacité économique du contrat
L'admission des mécanismes d'anticipation
entraînerait inéluctablement un renforcement de la protection des
intérêts économiques des cocontractants qui trancherait
avec la situation actuelle où le créancier est en principe
contraint d'attendre que l'inexécution ait eue lieue pour
procéder à la résolution pour inexécution
(§1). Le principe d'efficacité économique pourrait alors
constituer un fondement viable et exhaustif de la résolution
anticipée, à l'inverse de la résolution pour perte de
confiance qui, nous l'avons vu, ne pourrait être évoquée
qu'en cas de comportement exécutoire déloyal du débiteur
(§2).
§1: La protection améliorée des
cocontractants
La mise en oeuvre de mécanismes d'anticipation aurait
à la fois pour effet de protéger les intérêts
économiques du créancier mais également ceux du
débiteur (A). En effet, si le préjudice du créancier est
réduit, le montant des dommages-intérêts ne pourra
corollairement qu'être diminué (B).
A\ la réduction du préjudice
Le préjudice du créancier pourrait à la fois
être réduit par la mise en oeuvre de la résolution
anticipée (1) et de l'exception pour risque d'inexécution, bien
que la réduction serait
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moindre dans ce deuxième cas (2).
1. Par la résolution anticipée
La résolution anticipée a pour
intérêt principal de libérer le créancier.
L'idée est d'éviter, à l'instar de l'exception pour risque
d'inexécution, que le créancier ne soit dans l'obligation
d'exécuter ses propres obligations. Toutefois, contrairement à ce
deuxième mécanisme, sa libération lui permet
également de ne pas avoir à être prêt à les
exécuter214et de trouver rapidement un autre cocontractant
susceptible de répondre aux attentes que le débiteur ne pourra
manifestement satisfaire à l'échéance215. Ces
trois conséquences constituent un gage d'efficacité
économique certain dans le sens où elles tendraient à
réduire le préjudice subi par le
créancier216.
Contrairement à l'exception pour risque
d'inexécution, la libération du créancier est
définitive; ce qui lui permet, outre l'arrêt de l'exécution
de ses obligations, de prendre immédiatement des mesures ayant pour
objet de pallier aux conséquences de l'inexécution
anticipée.
2. Par l'exception pour risque d'inexécution
L'exception pour risque d'inexécution ne libère
pas le créancier du lien contractuel. Elle a pour simple effet de
suspendre temporairement l'exécution de ses obligations contractuelles.
Force est donc de constater que dans le cas où l'inexécution
redoutée aurait finalement eu lieue, la réduction du
préjudice du créancier serait moindre qu'en application d'une
résolution anticipée.
Cette différence d'efficacité économique
notable a pu amener certains auteurs à affirmer que l'exception pour
risque d'inexécution ne constitue pas une mesure
d'anticipation217. On peut, en faveur de cette opinion, argumenter
que cette dernière n'autorise pas réellement le créancier
à "faire comme si" l'inexécution avait déjà eu
lieue en prenant
214. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des
sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La
résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.584
215. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des
sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La
résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.584
216.Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.229; O. MORETEAU, Droit anglais des affaires,
op. Cit, n°670, p.389; Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des
sanctions de l'inexécution, LGDJ, 2004, n°465, p.554
217. Selon Fall PARAISO, l'exception pour risque
d'inexécution "parvient seulement à geler les effets de la
convention au moment où apparaît le risque. Mais elle n'est ni une
mesure de sauvegarde du paiement, ni un mode d'anticipation de celui-ci. La
suspension de l'obligation n'évince pas la présence du risque
d'inexécution".
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nombre de mesures salvatrices telles que la recherche d'un
nouveau cocontractant, puisqu'il n'est en aucun cas libéré du
contrat et pourrait à tout moment, être contraint de reprendre
à nouveau l'exécution de ses obligations. Il nous semble
malgré tout que son caractère temporaire ne saurait lui enlever
son pouvoir d'anticipation. Si elle ne saurait, à elle seule,
neutraliser le risque d'inexécution, elle a pour effet de
protéger, du moins partiellement, le créancier des
conséquences de ce risque. De plus, elle constitue un complément,
mais aussi, et surtout, un prélude indispensable à la
résolution anticipée.218.
Il n'empêche toutefois que si l'on ne saurait lui
enlever son effet anticipatoire, sa moindre efficacité économique
doit conduire le législateur à s'interroger sur
l'éventuelle introduction de la résolution anticipée en
droit positif. Si l'exception pour risque d'inexécution peut anticiper
certaines conséquences du risque d'inexécution, elle n'anticipe
pas le risque en lui-même. L'absence de libération du
créancier entraînant l'impossibilité pour ce dernier de
trouver un autre cocontractant et le contraignant par ailleurs à se
tenir prêt à reprendre l'exécution de ses obligations
dénote que la simple suspension des obligations ne protège que
partiellement les intérêts économiques du créancier.
Or, il serait indéniablement frustrant de s'en tenir à une simple
protection partielle dans le cas où il serait manifeste que le
débiteur n'exécutera pas ses obligations à
l'échéance. Thomas Genicon l'affirme ainsi: "à quoi bon,
(...) attendre le jour de l'échéance du terme lorsque l'on est
certain que le débiteur ne s'exécutera pas? L'attente sera
certainement la source d'une perte de temps et d'argent."219
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