B\ L'approche morale du lien contractuel
préservée
La force obligatoire du contrat ne se fonde pas uniquement sur
l'autonomie de la volonté mais aussi, et surtout, sur le "respect de la
parole donnée"211qui résulte d'une conception
profondément moraliste du droit des contrats.
On peut toutefois aisément remarquer l'évidence
selon laquelle le concept de "confiance légitime" présente
également un aspect moral. Le respect de la croyance légitime
n'efface pas le respect de la parole donnée mais prend en compte une
dimension plus vaste que cette dernière: le comportement du
cocontractant. Ce dernier doit respecter la croyance légitime que ses
paroles ou actes, auront fait naître chez l'autre partie212.
On pourrait objecter que si un comportement devient une source
supplémentaire d'obligation, la parole donnée peut en
conséquence être déformée. L'attitude du
débiteur peut avoir pour effet de modifier la portée des paroles
prononcées. On peut répondre à cette inquiétude que
si la parole donnée est désacralisée, le message
reçu par le destinataire bénéficie d'une importance
accrue213; peu important le caractère explicite ou tacite de
ce dernier. En effet, si tout un chacun doit respecter ses promesses, c'est
seulement en raison des attentes légitimes qu'elles auront fait
naître chez l'autre partie. A travers le principe de confiance
légitime, la parole donnée ne signe plus un engagement envers
Dieu mais uniquement envers l'autre. Le concept reste profondément moral
mais est néanmoins purgé de son aspect religieux.
Cette conception permet alors de concevoir que le
créancier dont la confiance a été trahie, puisse mettre
fin au contrat sans qu'il ne lui soit reproché de ne pas respecter ses
propres engagements. On constatera par ailleurs que, nonobstant l'absence de
religiosité de la notion de confiance légitime, celle-ci ne
marque pas réellement de rupture avec la pensée
chrétienne. Saint Thomas d'Aquin avait effectivement pu exprimer que
"ça n'est pas mentir que de revenir sur sa parole lorsque le contexte a
changé". Or un tel changement pourrait évidemment résulter
de la constatation d'un comportement déloyal du débiteur en phase
d'exécution du contrat.
211. Voir supra, p.61
212. Voir supra, p.65
213. R.DAVID et D.PUGSLEY, Les contrats en droit anglais, 2e
éd, LGDJ, 1985, p.21, n°19: "Le fondement du droit des contrats
(dans les droits de common law) ne se trouvera pas dans l'idée qu'il
faut tenir ses promesses; il sera dans l'idée de la confiance
légitime trompée: vous devez indemniser celui qui subit un
préjudice parce que vous n'avez pas agi comme, sur la foi de vos
promesses, il pouvait légitimement compter que vous agiriez"; D. TALLON,
"L'évolution des idées en matière de contrat: survol
comparatif", Droits, n°12, Le contrat, PUF, 1990, p.86: Le Professeur D.
Tallon fait remarquer que la notion de confiance légitime impose de se
placer "à côté du créancier, plutôt que du
débiteur".
78
On peut donc, à travers ces constats philosophiques,
admettre sans grande difficulté que l'admission du principe de confiance
légitime n'entraînerait aucune altération des
préceptes moraux irriguant le droit français des contrats.
79
|