§2: Le maintien d'une approche traditionnelle
L'admission du principe de confiance légitime, et
subsidiairement, la reconnaissance de la résolution anticipée
pour perte de confiance légitime, ne saurait s'opposer au maintien d'une
approche à la fois libérale (A) et morale (B) du lien
contractuel.
A\ L'approche libérale du lien contractuel
préservée
Le droit français des contrats repose partiellement sur
une conception individualiste et ce faisant, libérale. Le dogme de
l'autonomie de la volonté traduit en effet l'idée selon laquelle
"l'homme est le meilleur législateur de ses intérêts",
participant ainsi à l'idée selon laquelle la "richesse des
nations" proviendrait de la somme des passions individuelles203, la
prospérité de l'économie étant guidé par une
célèbre "main invisible"204. On peut donc
s'évertuer à affirmer que si l'autonomie de la volonté est
avant tout un principe philosophique, elle poursuit un intérêt
pragmatique. Le pouvoir donné à la volonté se justifie
notamment par l'efficacité qui en résulterait sur
l'économie de marché.
Force est toutefois de constater que le principe de confiance
légitime, pour sa part, poursuit un objectif de même envergure. Si
cette dernière constitue le socle du droit anglo-saxon des contrats, qui
nous ne pouvons l'ignorer, est imprégné d'une conception
fortement libérale, c'est en raison du fait que la "reliance"
possède des qualités de flexibilité et
202. Voir supra p.67
203. MANDEVILLE, La fable des abeilles, 1714
204. Adam SMITH, La richesse des nations, 1776
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d'efficacité économique indéniables. La
confiance légitime procède d'une vision libérale du
contrat et d'une conception assouplie du lien contractuel. Ce dernier peut
résulter de tout "élément extérieur
observable"205 ayant eu pour effet de susciter une croyance
légitime. De même, le lien contractuel peut disparaître en
fonction de toute apparence extérieure ayant entraîné une
perte légitime de confiance. Il en résulte une réduction
drastique du formalisme contraignant actuellement imposé en droit
interne. Enfin, "le juge n'aura plus à sonder les hypothétiques
volontés internes des parties"206. La création, tout
comme la disparition de liens contractuels n'en est que plus aisée.
Cette nouvelle vision nuance la portée du pouvoir de la volonté
mais n'altère en rien le concept même. Comme a effectivement pu le
faire remarquer Pascal Lokiec, "le concept de volonté est suffisamment
riche pour autoriser une conception volontariste du contrat qui ne soit pas la
simple traduction de la théorie de l'autonomie de la
volonté"207. La volonté subjective laisse toutefois
place à la "volonté apparente"208, soit une apparence
de volonté découlant notamment du comportement du
débiteur.
On peut par ailleurs noter que la faculté
laissée au créancier de résoudre unilatéralement un
contrat pour perte de confiance légitime, mais aussi plus globalement,
en présence d'un risque d'inexécution se justifie aisément
par l'affirmation selon laquelle "l'homme est le meilleur législateur de
ses intérêts" qui est une idée libérale
justificatrice de la théorie de l'autonomie de la volonté. Le
créancier est évidemment le mieux placé pour
apprécier avec le plus d'exactitude si un risque manifeste
d'inexécution ou un comportement exécutoire déloyal est
caractérisé.
L'admission de la résolution anticipée pour
"perte de confiance" et plus globalement, du principe de confiance
légitime, n'entraînerait donc pas un bouleversement majeur de la
vision libérale que les rédacteurs du code civil ont porté
sur le droit des contrats. Mieux encore, elle n'altère en rien la
"conception volontariste du contrat"209. Il convient toutefois de
rappeler que ces derniers n'ont pas seulement pris en compte le dogme de
l'autonomie de la volonté. Les préceptes moraux du droit
canonique ont en effet exercé une influence, bien plus importante
encore, sur les rédacteurs du code civil210.
205. V. EDEL, La confiance en droit des contrats, Thèse
Montpellier I, 2006, p.212
206. V. EDEL, La confiance en droit des contrats, Thèse
Montpellier I, 2006, p.212
207. Pascal LOKIEC, Le droit des contrats et la protection des
attentes, Recueil Dalloz 2007, p.321
208. Ph. MALAURIE, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les
obligations, 4e éd, Defrénois, 2009, p.368, n°749
209. Pascal LOKIEC, Le droit des contrats et la protection des
attentes, Recueil Dalloz 2007, p.321
210. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
2013
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