C\ Méfiance de l'avenir
Le comportement exécutoire déloyal du
débiteur peut, à juste titre, provoquer chez le créancier
un sentiment d'anxiété, une "méfiance légitime";
d'où son désir potentiel de "prendre les devants" et "faire comme
si" l'inexécution avait déjà eu lieu pour résoudre
le contrat200. L'application du principe de confiance
légitime implique que le créancier puisse résoudre le
contrat lorsque le lien de confiance est rompu et non lorsque
l'inexécution a d'ores et déjà eu lieu. Or, perte de
confiance légitime et inexécution contractuelle ne se confondent
pas nécessairement. Il est fréquent, en raison de la
présence d'un comportement exécutoire déloyal, que la
perte de confiance du créancier précède
l'inexécution par le débiteur. Cependant, si le créancier
se méfie du débiteur, le législateur se méfie
également du créancier. Alors que le législateur
n'adhère pas à l'idée de laisser à ce dernier la
faculté de résoudre unilatéralement le contrat, il est a
fortiori encore plus réfractaire à l'idée de lui laisser
la possibilité d'exercer ce même pouvoir par anticipation. Il
convient par ailleurs de rappeler que la résolution anticipée,
tout comme l'exception pour risque d'inexécution, ne peuvent être
efficaces que si elles sont appliquées de manière
unilatérale201. La saisine des tribunaux priverait en effet
inévitablement ces mécanismes de leur objet principal: à
savoir, le gain de temps et la réduction du préjudice qui en
découlerait.
Nous l'avons vu, l'admission de la résolution
anticipée participerait indirectement à
198. Art 324, 325 BGB; Art 7.3.1 des Principes Unidroit; Article
49 et 64 de la Convention de Vienne
199. Art. 1224 du projet d'ordonnance portant réforme
du droit des contrats, du régime général et de la preuve
des obligations: "La résolution résulte soit de l'application
d'une clause résolutoire, soit, en cas d'inexécution suffisamment
grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une
décision de justice."
Art. 1226 alinéa 1du projet d'ordonnance portant
réforme du droit des contrats, du régime général et
de la preuve des obligations: "Le créancier peut, à ses risques
et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Il doit
préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de
satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable."
200. J.C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la
formation des situations juridiques, Thèse Poitier 1979; Fall PARAISO,
Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011;
Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de
l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007
201. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007
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l'élaboration d'un véritable principe de
confiance légitime en droit positif. Inversement, la notion de confiance
légitime constitue un fondement viable de la résolution
anticipée, bien qu'elle soit actuellement utilisée par les juges
pour fonder la résolution pour inexécution
classique202. Nous avons toutefois démontré qu'il ne
s'agissait que d'un subterfuge pour prémunir le créancier d'un
risque d'inexécution manifesté par un comportement
exécutoire déloyal. Autrement dit, la confiance légitime
fonderait indirectement une résolution anticipée qui ne dirait
pas son nom. Ce détournement du mécanisme de la résolution
pour inexécution témoigne ainsi d'une carence législative
en matière d'anticipation. Pour l'heure, seule l'exception pour risque
d'inexécution est prévue au sein du projet de réforme du
droit des contrats.
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