B\ Méfiance et unilatéralisme
On dénote une certaine frilosité du
législateur quant à l'idée de donner au créancier
victime d'une inexécution, actuelle ou future, le pouvoir de
résoudre lui-même le contrat. La méfiance est de mise
à son égard. Par conséquent, il existe en droit
français un principe de résolution judiciaire du contrat à
l'inverse de nombreux systèmes juridiques tels que le droit anglo-saxon
où le principe est celui de la résolution unilatérale. Or
nous pouvons affirmer, non sans ironie, que l'application du principe de
confiance légitime nécessite tout d'abord que l'on "fasse
confiance" au créancier. Il ne s'agirait évidemment pas
d'octroyer un pouvoir de résolution illimité au créancier
mais d'éviter qu'une situation urgente ne soit bloquée par une
procédure judiciaire lente et coûteuse. Il s'agirait donc
notamment d'éviter que le créancier "trahi" par son
débiteur soit prisonnier d'un lien contractuel voué à
l'échec. Le comportement exécutoire déloyal du
débiteur tendant à entraîner un risque d'inexécution
appelle une prise de mesure rapide et efficace. Telle est la raison pour
laquelle, il serait opportun de conférer au créancier une
certaine autonomie. Le risque de résolution abusive serait alors
limité par un contrôle a posteriori, le débiteur pouvant en
effet contester la résolution en justice. Une dérogation au
principe de résolution judiciaire195 est toutefois
prévu depuis plus d'un siècle en jurisprudence. Le
créancier peut résoudre le contrat à ses "risques et
périls" lorsque les "relations contractuelles impliquent une dose
particulière d'entente, voire de confiance" et qu'"une faute
particulièrement grave" est commise par l'un des
contractants196. L'évolution de la vie des affaires a
rapidement incité la haute juridiction à pallier cette
"méfiance" des rédacteurs du code civil. On peut donc affirmer
que l'idée de résolution unilatérale existe
déjà en droit positif, "même si l'article 1184 n'en rend
pas compte"197. N'en reste t-il pas moins
195. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE affirment que la haute
juridiction a "posé une dérogation à l'article 1184 du
code civil".
196. Fr. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, 11e
édition, dalloz, 2013, p.711; civ 26 févr 1896, S.97.1.187 ; 25
avril 1936, DH 1936.331; Soc 22 oct 1991, D. 19923.189, note Karaquillo
197. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, 11e
édition, dalloz, 2013, p.714
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qu'une meilleure sécurité juridique commanderait
que cette faculté soit expressément inscrite dans le marbre de la
loi à l'instar de certaines législations étrangères
ou traités internationaux198. Partant, le projet de la
chancellerie semble avoir pris acte de cette nécessité. Bien
qu'il ne mentionne aucunement l'idée de résolution
anticipée ou de principe de confiance légitime, il consacre la
possibilité de résoudre unilatéralement le contrat pour
inexécution199.
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