Section 2: Les réticences du droit
français
La réticence à l'idée d'admettre le concept
de confiance légitime pourrait s'expliquer par l'idée de
méfiance et de contrôle absolu irriguant le droit français.
Un tel principe, sur lequel se fonderait les mécanismes d'anticipation,
nécessiterait effectivement une certaine souplesse juridique accrue
(§1). Il conviendra malgré tout de démontrer que la
reconnaissance du principe de confiance légitime ne saurait bouleverser
la conception traditionnelle du droit des contrats fondée sur une
approche à la fois morale et libérale (§2).
§1: La méfiance de principe en droit
français
Le professeur Laurent Aynès dresse le constat selon
lequel la mentalité française serait imprégnée d'un
grand scepticisme191 qui tranche radicalement avec "l'optimisme
anglo-américain". Il n'est alors pas étonnant de constater que
la reliance constitue dans les pays de common law, le socle du droit
des contrats.
Nous pouvons aisément ressentir ce scepticisme à
travers notre système juridique complexe et rigide. La doctrine
évoque fréquemment la célèbre comparaison entre les
jardins à la française, géométriques,
ordonnés et soigneusement cultivés et les jardins à
l'anglaise, d'apparence plus naturelles et forestières pour expliquer
les différences juridiques entre le droit français et les droits
de common law. Le législateur français prévoit de
nombreuses règles contraignantes pour régir l'économie de
marché alors que les juristes anglo-saxon sont davantage
imprégnés de l'idée selon laquelle l'économie
serait régulée par une "main invisible"192. Il
découle de cette idéologie française un ensemble de
règles contraignantes auxquelles doit se soumettre le contrat,
instrument incontournable des relations commerciales. Cela se traduit par
l'existence de nombreuses règles formalistes193 (A) ainsi
qu'une méfiance prononcée du législateur pour la
résolution du contrat sans intervention du juge194 (B), et a
fortiori pour toute possibilité d'anticipation du futur contractuel par
les cocontractants (C).
191. L. AYNES écrit, non sans un brin d'ironie: "Le
français se méfie de tout, il se méfie de l'Etat, il se
méfie de son voisin, il se méfie du fisc, le fisc se méfie
du citoyen, le citoyen se méfie de l'Administration, etc." (Laurent
AYNES, La confiance en droit privé des contrats, in La confiance en
droit privé des contrats (sous la direction de Valérie-Laure
BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.154)
192. Adam SMITH, La richesse des nations, 1776
193. Laurent AYNES, La confiance en droit privé des
contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction
de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.155
194. Laurent AYNES, La confiance en droit privé des
contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction
de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.155
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A\ Méfiance et formalisme
Le droit français des contrats est dominé par de
nombreuses règles formalistes. Cet ensemble d'obligations contraignantes
traduit une méfiance généralisée: méfiance
à l'égard de l'autre partie, méfiance à
l'égard de l'interprète. Si les parties n'ont pris soin de
stipuler une clause résolutoire claire et précise, la
résolution pour inexécution doit en principe être
demandée en justice.
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