L'anticipation des risques d'inexécution du contrat.( Télécharger le fichier original )par gilles quinones Université Montpellier I - Master 2 Droit de la distribution et des contrats dà¢â‚¬â„¢affaires 2014 |
§2: La confiance du créancier trahieSi nous pourrions concevoir que le principe de confiance légitime puisse constituer un fondement de la force obligatoire du contrat, force serait alors d'admettre que la rupture du lien de confiance légitime devrait offrir au créancier "trahi" la faculté de résoudre le contrat par anticipation (A). Corollairement, l'admission de la résolution anticipée fondée sur la perte de confiance inviterait le législateur à reconnaître le principe de confiance légitime en droit positif (B). A\ Rupture du lien de confiance et anticipation de l'inexécutionLa jurisprudence a d'ores et déjà pu considérer que le débiteur était tenu d'une obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier (1). Bien que l'inexécution d'une telle obligation possède un caractère actuel ne justifiant la mise en oeuvre 67 que d'une résolution pour inexécution, il est malgré tout opportun de constater qu'elle constitue en réalité un fondement indirect de la résolution anticipée (2). Toutefois, l'obligation de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier ne saurait recouvrir toute les situations de fait objectives traduisant un risque manifeste d'inexécution: elle ne constitue alors qu'un fondement partiel de la résolution anticipée. En effet, seul le comportement exécutoire déloyal pourrait être assimilée à l'inexécution d'une telle obligation (3).
Si le caractère actuel de l'inexécution de l'obligation implicite justifie la mise en oeuvre de la résolution pour inexécution, il convient malgré tout de s'intéresser aux effets recherchés. Son application n'a pas pour finalité de sanctionner le comportement exécutoire du débiteur en lui même mais de prévenir le résultat de ce comportement: à savoir, l'inexécution future potentielle. La résolution pour inexécution en tant que sanction de l'attitude du débiteur faisant obstacle à l'exécution de ses obligations futures, constitue principalement une manière détournée d'anticiper le risque d'inexécution engendré par un tel comportement. La mise à nu de ce détour trahit l'absence regrettable de mécanisme d'anticipation en droit positif, et permet
68 d'affirmer que l'atteinte à la confiance du créancier constitue un fondement indirect de la résolution anticipée. La résolution mise en oeuvre possède en effet le caractère d'un mécanisme d'anticipation: le montant des dommages-intérêts accompagnant la résolution177 correspondrait nécessairement à la perte et au gain manqué résultant de l'inexécution future. Autrement dit, l'évaluation du montant des dommages-intérêts sanctionnant l'inexécution de l'obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier tiendrait compte de l'existence d'une autre obligation: l'obligation à échoir stipulée dans le contrat178. Ce non sens révèle que la perte de confiance du créancier résultant du comportement du débiteur entraîne en réalité la mise en oeuvre d'un mécanisme d'anticipation qui ne dit pas son nom, à savoir une résolution anticipée. 3. L'atteinte à la confiance du créancier comme fondement partiel de l'anticipation Mme Vanwijck-Alexandre effectue un lien entre l'obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du cocontractant et l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi179 en s'appuyant notamment sur l'article 1135 du code civil180181. L'idée de confiance légitime serait donc, selon cet auteur, une émanation du concept de bonne foi contractuelle. La rupture du lien de confiance découlerait d'un comportement exécutoire de mauvaise foi. Ce rattachement à la notion de loyauté contractuelle s'explique par l'idée selon laquelle la confiance est avant
69 tout un concept psychologique. Celle-ci se définit en effet comme le "sentiment de quelqu'un qui se fie entièrement à quelqu'un d'autre, à quelque chose"182. Appliquée dans le cadre du contrat, elle traduit nécessairement l'existence d'une relation unissant les deux cocontractants qui serait fondée sur un sentiment de bienveillance et de sécurité. La rupture d'une telle relation ne saurait alors résulter de circonstances indépendantes de la volonté des cocontractants. Le créancier situé face à un risque d'inexécution, ne pourrait évoquer une "perte de confiance" lorsque ledit risque proviendrait de circonstances indépendantes de la volonté du débiteur. Il ne pourrait l'évoquer qu'en présence d'une action positive ou négative du débiteur tendant à mettre volontairement en danger le lien contractuel. Autrement dit, l'atteinte à la confiance du créancier serait caractérisé par une manoeuvre déloyale du débiteur. Force est donc d'admettre que si la présence d'un risque sérieux d'inexécution pourrait générer un sentiment d'anxiété chez le créancier, l'atteinte à la confiance de ce dernier ne pourrait provenir que de la mauvaise foi du débiteur. On observe dès lors les limites de l'obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier. Celle-ci recouvre seulement les hypothèses où le débiteur aura eu un comportement exécutoire déloyal tendant à faire obstacle à l'exécution de ses obligations futures. Ce comportement pourrait par exemple se traduire par la préparation volontaire de son insolvabilité avant l'échéance de ses obligations contractuelles, ou encore la manifestation d'un refus injustifié d'exécuter ses obligations ultérieures. Cette obligation implicite ne pourrait en revanche recouvrir l'ensemble des cas où le risque d'inexécution découlerait de circonstances indépendantes de la volonté du débiteur telles que la force majeure ou le cas fortuit. De même, elle ne pourrait recouvrir le cas où le débiteur de bonne foi signalerait "honnêtement à son créancier que sa situation financière s'est effondrée et qu'il ne sera vraisemblablement pas en mesure d'honorer ses engagements", quand bien même une telle situation lui serait imputable183. Ces dernières représentent toutefois de nombreuses hypothèses alors que les intérêts économiques du créancier doivent malgré tout être protégés184. Telle est la raison pour laquelle il existe un autre fondement permettant de justifier la résolution anticipée: le principe d'efficacité économique185, issu des systèmes juridiques anglo-saxon, qui justifie notamment l'évidence selon laquelle le créancier doit pouvoir être libéré d'un contrat voué à l'échec.
70 Il ressort de ces constatations que l'obligation de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier constitue un fondement partiel et utile de la résolution anticipée. Partiel car elle ne saurait recouvrir l'ensemble des hypothèses génératrices de risques manifestes d'inexécution. Et utile car l'application de ce fondement aux hypothèses adéquates permet, outre l'anticipation du risque d'inexécution, d'éviter d'une part la mise en oeuvre du devoir de minimisation du dommage pesant sur le créancier dans le cadre de la résolution anticipée fondée sur l'efficacité économique du contrat186, et d'autre part, d'écarter l'application du principe de réparation du seul dommage prévisible, le dol du débiteur s'y opposant187. La déloyauté du débiteur s'opposerait en effet à l'existence d'une telle obligation de minimisation du dommage à la charge du créancier et impliquerait un durcissement de la sanction du débiteur. L'obligation de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier aurait également pour intérêt d'autoriser la résolution du contrat par anticipation sans avoir à démontrer la présence d'un risque "manifeste" d'inexécution: l'unique preuve d'un comportement exécutoire déloyal tendant à échapper à ses obligations futures suffirait. De toute évidence, la déloyauté postulerait en elle-même un risque sérieux d'inexécution. L'application du principe de confiance légitime permettrait donc de sanctionner spécifiquement le débiteur qui tenterait volontairement d'échapper à ses obligations ultérieures alors que les autres hypothèses présentant un risque d'inexécution seraient régies sur le fondement du principe d'efficacité économique du contrat. |
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