B\ Proposition d'un nouveau fondement de la force
obligatoire du contrat
Si le lien de confiance est inhérent à la formation
et au maintien de toute relation contractuelle (1), celle-ci devrait pouvoir
être qualifiée de "légitime" sans quoi elle ne permettrait
aucunement de protéger la sécurité contractuelle des
parties (2).
1. La confiance en droit des contrats
La difficile mise en pratique de la théorie de l'autonomie
de la volonté (a) ne pourrait qu'inviter le juriste français
à procéder à la redécouverte de l'ancestrale notion
de confiance (b).
a) L'insuffisance du pouvoir de la volonté
De nombreux auteurs estiment que le fait de fonder
l'obligation sur le simple pouvoir de la volonté constitue une approche
dépassée. Être obligé en raison du simple fait que
l'on doit tenir ses promesses correspond à un dogme, un principe moral
qui ne répond qu'imparfaitement au pragmatisme juridique que suscite la
vie des affaires. Si la création et le maintien de liens contractuels
viables nécessitent que les cocontractants soient fidèles
à leur parole, ils exigent plus globalement une certaine
fiabilité de la part de ces derniers. Or qu'est ce que la
fiabilité d'un contractant si ce n'est le sentiment de confiance que sa
parole, ou encore son comportement, aura fait naître chez l'autre
partie?164 La parole donnée ne peut avoir de sens qu'en
fonction de la manière dont elle aura été
réceptionnée. Elle ne saurait alors, selon les fidéistes,
fonder à elle seule la force obligatoire du contrat. Selon Emmanuel
Lévy, auteur considéré comme le "père fondateur" du
fidéisme contractuel, "ce qui fait le lien contractuel, c'est la
confiance qu'inspire au créancier la promesse du débiteur". Il
ressort de ce courant doctrinal, l'observation selon laquelle le contrat serait
un "acte de foi". Il ne s'agit pas de "nier la puissance de la volonté"
mais de "souligner son insuffisance". En effet, "même dans une
perspective exclusivement fondée sur la volonté, le contrat exige
d'abord que l'on
164. V. Edel a pu ainsi affirmer que "la volonté du
débiteur n'est plus la mesure de son engagement. Il lui est
préféré son comportement pris dans la phase de formation
du contrat. La question que doit se poser le juge est de savoir si ce
comportement a pu donner naissance chez le créancier à une
confiance légitime dans l'exécution du contrat" (V.EDEL, La
confiance en droit des contrats, thèse Montpellier I, 2006, p.212).
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croit à la volonté de celui qui
s'engage"165.
b) La redécouverte de la notion de confiance
La confiance sous-tend l'harmonisation des relations humaines.
Toute société nécessite la création de liens de
confiance entre les individus qui la composent. Les travaux en commun, la vie
en entreprise, et plus globalement, tout ce qui procède d'une certaine
coopération entre les individus, nécessite le tissage de nombreux
liens de confiance. C'est encore plus vrai dans le domaine du droit des
contrats qui constitue le socle des échanges commerciaux. Certes,
l'encadrement juridique de tout échange traduit une certaine part de
défiance: le contrat est avant tout un instrument ayant pour objet de
protéger les intérêts de chacune des parties en cas de
litige. Toutefois, nul ne pourrait nier que la conclusion d'un contrat
constitue la manifestation d'une "confiance donnée et
reçue"166.
Cette omniprésence de la notion de confiance au sein de
la vie des affaires, et par conséquent, dans les relations
contractuelles, dénote à la fois une évidence
psychologique et une existence historique. La notion de confiance en
matière contractuelle n'est pas nouvelle et l'idée d'en faire un
nouveau fondement de la force obligatoire du contrat procéderait moins
d'une innovation que d'une simple redécouverte.
On retrouve d'anciennes traces de cette idée de
confiance à travers la notion de bona fides en droit romain.
Avant l'ouverture de l'empire romain aux étrangers, les cocontractants
donnaient leur engagement envers la déesse fides qui
représentait la fidélité et constituait "la
personnification divine de la bonne foi, de la confiance qui doit
présider aux conventions publiques des peuples et aux transactions
privées entre individus"167. Suite à l'expansion de
l'empire, la notion religieuse de fides a évolué vers
celle de bona fides qui était assimilé à un "code
supranational de bonne conduite"168. Il s'agissait alors d'un
concept laïque résultant d'une approche pragmatique: on ne pouvait
aisément développer des relations d'affaires avec les
pérégrins en soumettant ces derniers au jus civile romain.
Celui-ci étant basé sur la religion, les étrangers
demeuraient insensibles à ses nombreux rites. La bona fides
constituait
165. A. CHIREZ, De la confiance en droit contractuel,
Thèse Nice 1977, p.489, n°362
166. Laurent AYNES, La confiance en droit privé des
contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction
de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.153
167. Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE,
Introduction historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65
168. Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE,
Introduction historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65
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le "substrat nécessaire à toute relation et
(impliquait) la réciprocité et la confiance"169. Il
s'agissait en quelque sorte de purger la notion de bonne foi et de confiance de
son aspect religieux. L'ouverture de la cité romaine au monde
extérieur induisait alors un recul du formalisme pour laisser place
à une approche à la fois moraliste et pragmatique du droit des
contrats. La force obligatoire du contrat en droit romain reposait donc
indéniablement sur la notion de confiance.
2. La légitimité de la confiance accordée
Si certaines paroles ou actions du débiteur peuvent
inévitablement faire naître une certaine croyance chez le
créancier, encore faudrait-il que ce dernier n'en ait pas
déformé la portée170. Autrement dit,
faudrait-il s'assurer que le créancier n'eut pas simplement "entendu ce
qu'il eut envie d'entendre". Telle est la raison pour laquelle, les
fidéistes ajoutent le terme "légitime" à la notion de
confiance. Celle-ci ne doit pas simplement naître de ce que le
créancier aura pu croire, mais de ce qu'il aura "raisonnablement" pu
croire. L'obligation du débiteur doit alors se fonder sur la confiance
légitime que ses paroles, ou encore son attitude, auront fait
naître chez le créancier. La légitimité de la
confiance ne peut donc s'apprécier qu'en fonction d'un
"élément extérieur et observable"171 et non du
for intérieur du créancier. En effet, le juge ne saurait avoir
pour fonction de sonder les consciences et doit être en mesure de
s'appuyer sur des éléments concrets. Alexis Albarian
évoque ainsi l'"idée d'une confiance objective voire
normative"172. Il s'agit par ailleurs de la conception que
retiennent les systèmes juridiques de common law qui considèrent
la "reliance", comme l'un des fondements de la force obligatoire du
contrat173 et prennent soin de distinguer celle-ci de la notion de
"confidence" qui désigne un "état intérieur,
largement fondé sur l'intuition", renvoyant ainsi à la confiance
subjective174.
169. Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE, Introduction
historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65
170. P. LOKIEC, "Le droit des contrats et la protection des
attentes", D.2007.321
171. O. MORETEAU, L'estoppel et la protection de la confiance
légitime. Elements d'un renouveau du droit de la responsabilité
(droit anglais et droit français), Thèse dact., Lyon III, 1990,
p.25, n°8
172. Alexis ALBARIAN, Le fidéisme contractuel, Revue
de droit international et de droit comparé, p.601 et s.
173. René DAVID et David PUGSLEY avec la collaboration
de Françoise Grivart de Kerstrat, Les contrats en droit anglais, LGDJ,
1985
174. O. MORETEAU, L'estoppel et la protection de la confiance
légitime. Elements d'un renouveau du droit de la responsabilité
(droit anglais et droit français), Thèse dact., Lyon III, 1990,
p.25, n°8
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