Partie 2: La portée des mécanismes
d'anticipation du risque d'inexécution
L'introduction en droit positif des mécanismes
d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception
pour risque d'inexécution apporterait nombre d'innovations et
bouleversements au sein de notre système juridique. Une voie serait
ainsi ouverte vers la consécration de concepts contractuels largement
étudiés par la doctrine mais malgré tout appliqué
de manière marginale à ce jour (Titre 1). L'admission de tels
mécanismes entraînerait par ailleurs un inévitable
bouleversement de notre vision actuelle du régime de la
responsabilité contractuelle (Titre 2).
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Titre 1: La consécration de principes
novateurs
L'admission des mécanismes d'anticipation inviterait le
juriste français à reconnaître explicitement deux principes
novateurs: le principe de confiance légitime (Chapitre 1) et celui
d'efficacité économique du contrat (Chapitre 2).
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Chapitre 1: Le principe de confiance
légitime
Une analyse historique, doctrinale et jurisprudentielle permet
d'établir le constat, trop souvent oublié, selon lequel le
contrat serait un "acte de foi". Or l'idée selon laquelle le
créancier pourrait résoudre le contrat par anticipation en raison
de la rupture du lien de confiance inhérent à toute relation
contractuelle renforcerait ce constat (Section 1). Le législateur
français se montre malgré tout réticent à
l'idée de fonder la force obligatoire du contrat sur le principe de
confiance légitime (Section 2).
Section 1: Le contrat comme "acte de foi"
La consécration du principe de confiance légitime
en droit positif inviterait nécessairement le juriste français
à adopter une vision assouplie de la force obligatoire du contrat
(§1). Un tel assouplissement permettrait de concevoir que la "trahison" du
créancier avant même que l'inexécution ait eue lieu
pourrait justifier l'anéantissement du lien contractuel (§2).
§1: l'assouplissement de la force obligatoire du
contrat
La force obligatoire du contrat se fonde traditionnellement sur
la théorie de
l'autonomie de la volonté ainsi que sur le dogme du
respect de la parole donnée (A). Nous nous efforcerons malgré
tout de proposer un nouveau fondement viable de la force obligatoire du
contrat, à savoir le principe de confiance légitime (B), avant
d'en étudier les conséquences sur notre système juridique
(C).
A\ Rappel sur la conception traditionnelle de la force
obligatoire du contrat
L'incontournable principe de force obligatoire du contrat a
été cristallisé par les rédacteurs du code civil au
sein du célèbre article 1134 de leur oeuvre. Son premier
alinéa précise en effet solennellement que "les conventions
légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont
faites". Il ressort de ce texte une volonté marquée des
rédacteurs de conférer
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au lien contractuel une très grande vigueur: le contrat
s'impose aux parties de la même manière que la loi s'impose
à l'ensemble des citoyens159. On retrouve ainsi à
travers ce texte les traces de la théorie de l'autonomie de la
volonté issue de la philosophie des lumières. "De même que
la loi, expression de la volonté générale, serait le
contrat que passent tous les hommes vivants en société, de
même le contrat serait la loi que des volontés
particulières se donnent à elles-mêmes"160.
Selon les philosophes des lumières, l'homme est "fondamentalement libre"
et c'est en raison de cette liberté qu'il ne pourrait être
assujetti à d'autres individus que dans les cas où il l'aura
voulu161.
Les rédacteurs du code civil ont malgré tout
pris soin d'instaurer une limite au pouvoir de la volonté en exigeant
que les conventions aient été formées "légalement".
Comme l'ont affirmé François Terré, Philippe Simler et
Yves Lequette, "contracter c'est employer un instrument forgé par le
droit". L'adhésion à la théorie de l'autonomie de la
volonté n'est donc que partielle162.
Cette théorie n'est par ailleurs l'unique fondement de
la force obligatoire du contrat. Celle-ci puise également ses racines
dans le droit canonique. Le code civil a effectivement été
fortement influencé par les principes moraux de l'église
catholique dont le célèbre dogme du "respect de la parole
donnée"163. Si les stipulations contractuelles disposent
d'une force contraignante, c'est donc, certes, parce qu'elles sont issues de la
volonté de leur auteur, mais aussi et surtout, en raison du fait que
tout un chacun se doit de tenir ses promesses. Il ressort alors des
dispositions du code civil une vision profondément moraliste et
ancestrale du contrat.
Cette approche du droit des contrats, face à
l'influence des systèmes juridiques étrangers et aux exigences
pratiques de la vie des affaires, tend à être de plus en plus
remise en cause par une partie de la doctrine. La question de l'anticipation du
risque d'inexécution, suscitée par les impératifs de
célérité et d'efficacité de la vie des affaires,
peut également jouer un rôle majeur dans cette remise en question
et inviter le législateur à s'interroger sur un éventuelle
remodelage de sa conception de la force obligatoire du contrat.
159. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013, p.485
160. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013, p.485
161. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013, p.485
162. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013
163. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013
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