Chapitre 2: L'exception pour risque
d'inexécution
L'établissement en droit positif d'un régime
juridique concernant l'exception pour risque d'inexécution nous conduit
à exposer ses conditions de mise en oeuvre (§1) avant d'en aborder
les effets (§2).
Section 1: Les conditions de l'exception pour risque
d'inexécution
La mise en oeuvre de l'exception pour risque d'inexécution
doit répondre à des conditions de fond (§1) ainsi que des
conditions de forme (§2).
§1: conditions de fond
A l'instar de la résolution anticipée,
l'inexécution contractuelle doit être ultérieure (A) et
suffisamment grave (B). Il ne saurait en revanche être exigé que
le risque de sa survenance soit manifeste. Il devra simplement revêtir un
certain degré de probabilité (C).
A\ Une inexécution future
La mise en oeuvre de ce mécanisme nécessite que
l'inexécution redoutée soit ultérieure, sans quoi il ne
s'agirait que d'une simple exception pour risque d'inexécution. Nous
pouvons par ailleurs noter que Fall Paraiso remet en cause l'existence de cette
dernière au motif qu'elle n'aurait que pour seul objectif de suspendre
l'exécution des obligations du créancier dans l'attente que la
résolution ou l'exécution forcée du contrat ne prenne
effet. L'auteur qualifie alors l'exception d'inexécution d'"abstention
contentieuse" ou de "mise en demeure qui ne dit pas son nom"145.
B\ Une inexécution suffisamment grave
Le projet de réforme indique que l'exception
d'inexécution ne peut être mise en oeuvre
145. Fall Paraiso, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.226; Voir supra, p.29
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que si les conséquences de l'inexécution
à venir sont suffisamment graves pour le créancier146.
Il nous semble opportun de suivre cette proposition. L'application de
l'exception pour risque d'inexécution pouvant avoir des
conséquences irréversibles, il conviendrait qu'un certain
degré de gravité soit exigé. Le seuil de gravité
serait alors identique à celui exigé pour la résolution
anticipée: à savoir, l'inexécution d'une obligation
essentielle, ou encore d'une ou plusieurs obligations contractuelles,
furent-elles accessoires, "dont l'inexécution auraient pour
conséquence de priver le créancier de ce pour quoi il
s'était engagé"147
C\ Une inexécution probable
Il convient de noter que l'exception pour risque
d'inexécution, telle que conçue par le projet de la chancellerie,
exige que l'inexécution à venir soit
"évidente"148 au regard des circonstances actuelles. Tel est
la condition que l'on peut déduire au regard de l'emploi du terme
"manifeste" au sein de l'article 1220 du projet de
réforme149.
Nous pouvons toutefois émettre l'observation suivante:
dans le cas où la résolution anticipée serait admise en
droit français, le degré de certitude de l'inexécution
future conditionnant la mise en oeuvre de l'exception pour risque
d'inexécution devrait nécessairement descendre d'un
échelon et revêtir le caractère d'une sérieuse
probabilité. Pour être mise en oeuvre, le créancier devrait
alors simplement avoir de sérieuse raison de douter de
l'exécution par le débiteur des obligations à
échoir. Alors que si l'exécution future paraît
évidente, il n'y aurait aucune raison de suspendre le contrat en
présence de l'existence d'un mécanisme tel que la
résolution anticipée; il conviendrait au contraire de mettre en
oeuvre cette dernière. Si le projet de la Chancellerie prévoit
que l'évidence de l'inexécution à venir justifie la
suspension du contrat, ce n'est qu'à défaut de présence de
mécanisme de résolution anticipée en droit positif. Si
notre système juridique concevait son existence, il paraîtrait
illogique d'admettre qu'une inexécution "certaine ou apparemment
certaine" puisse justifier la simple suspension du contrat alors
146. Art. 1220 du projet de réforme du droit des
contrats: "Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation
dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera
pas à l'échéance et que les conséquences de cette
inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit
être notifiée dans les meilleurs délais".
147. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 566
148. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de
conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie
BRES, La résolution du contrat par dénonciation
unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est
pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible
à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation
actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement
inexécution de la part du débiteur.
149. Art. 1220 du projet de réforme du droit des
contrats: "Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation
dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera
pas à l'échéance et que les conséquences de cette
inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit
être notifiée dans les meilleurs délais".
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qu'une résolution de ce dernier serait possible.
L'exception pour risque d'inexécution deviendrait alors
un mécanisme complémentaire de la résolution
anticipée. Dans le cas où l'inexécution ultérieure
ne revêtirait pas un caractère "certain ou apparemment certain"
mais serait malgré tout sérieusement probable, le
créancier pourra alors opter pour l'application d'une exception pour
risque d'inexécution150. Bien que certains auteurs estiment
que cette mesure pourrait être prise chaque fois que l'inexécution
serait "simplement probable"151, il nous semble toutefois qu'il
conviendrait d'opter pour un champ d'application plus restrictif et exiger la
présence d'un degré de probabilité suffisant, à
savoir un doute sérieux quant à l'exécution future. Il est
en effet important de rappeler que l'exception pour risque
d'inexécution, bien que plus souple que la résolution
anticipée reste une mesure contraignante dont les conséquences ne
sont pas systématiquement réversibles. Certains auteurs ont
effectivement pu remarquer que la mise en oeuvre de l'exception
d'inexécution, et donc également l'exception pour risque
d'inexécution, pouvait déployer les mêmes effet qu'une
résolution partielle du contrat. Tel peut être le cas en
matière de contrat de travail152.
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