C\ Un risque d'inexécution manifeste
Le caractère manifeste de l'inexécution future ne
dénote pas une exigence de certitude absolue (1). Il doit toutefois
s'apprécier au regard de situations de faits objectives et restreintes
(2).
1. L'absence de certitude absolue
L'analyse des termes de l'article 111 du projet Terré
dénote une extrême prudence quant à la mise en oeuvre de la
résolution anticipée: cette dernière est en effet
subordonnée à une inexécution future certaine. Il nous
semble qu'il n'est pas opportun de suivre cette proposition et d'effectuer un
rapprochement avec le régime de la résolution anticipée
issue des droits de common law. Autrement dit, il conviendrait d'exiger que
l'inexécution soit "certaine ou apparemment certaine"126.
Comme a pu l'affirmer M. Le juge Posner, "personne n'attend du créancier
qu'il lise l'avenir ou qu'il prédise une modification hautement probable
de la situation ou des intentions du débiteurs"127. Il
convient toutefois de ne pas tomber dans l'écueil inverse: s'il n'est
nul besoin que le créancier soit contraint de prédire l'avenir,
il ne suffit pas pour autant "que le créancier éprouve quelques
craintes au sujet de l'exécution à venir"128.
L'anxiété du créancier ne saurait en aucun cas justifier
la mise en oeuvre d'une résolution
125. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 566
126. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.
127. Central States, SE & SW Pen v. Basic Am. Ind., 252 F.3d
911, spéc., p.919: "(...) the doctrine of anticipatory repudiation does
not traffic in the miraculous. A breach occurs when it is reasonably certain
that the other party is not going to meet its obligations under the contract in
timely fashion"; Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568
128. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.
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anticipée. Il conviendrait donc que celle-ci soit
subordonnée à un risque d'inexécution "manifeste" à
l'instar du régime proposé par les Principes de Droit
Européen des Contrats (PDEC)129. Cette solution obligerait
donc le créancier craintif à prendre la décision de
résoudre ou non le contrat en fonction des circonstances actuelles.
L'inexécution devra alors paraître évidente au regard de
ces dernières. Autrement dit, le créancier ne pourra
procéder à la résolution anticipée que si les
circonstances actuelles laissent raisonnablement penser que le débiteur
n'exécutera pas ses obligations contractuelles.
En cas de contrôle a posteriori par le juge, la charge
de la preuve du "caractère certain ou apparemment certain" de
l'inexécution pèserait sur le créancier.
2. Les formes du risque d'inexécution manifeste
L'évidence de l'inexécution ultérieure
peut provenir d'un refus univoque clairement notifié par le
débiteur d'exécuter ses futures obligations (a), de la situation
du débiteur rendant impossible l'exécution de ses obligations
à l'échéance (b), ou encore d'un comportement
exécutoire déloyal de la part de ce dernier (c).
a) Le refus univoque d'exécuter à
l'échéance
Le refus manifesté par le débiteur doit
être univoque, c'est-à-dire qu'il doit "être suffisamment
clair et absolu au point que l'on puisse raisonnablement penser au moment
où le créancier décide de résilier le contrat, que
l'obligation ne sera pas exécutée à
l'échéance initialement fixée"130. Il peut
être explicite ou implicite sous réserve de respecter cette
condition d'univocité. Un refus ambigu ne saurait autoriser aucune
anticipation131. Il convient toutefois de noter que le régime
français actuel de l'inexécution confère à ce type
de comportement le caractère d'une inexécution consommée,
les tribunaux estimant que les cocontractants doivent s'abstenir de tout
comportement incompatible avec la relation contractuelle132. Il ne
s'agit toutefois que d'un subterfuge permettant d'admettre une
résolution par anticipation en l'absence de textes législatifs
l'autorisant. Il y a donc lieu de considérer
129. PDEC Art 9:304: "Si avant la date à laquelle une
partie doit exécuter, il est manifeste qu'il y aura inexécution
essentielle de sa part, le cocontractant est fondé à
résoudre le contrat".
130. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 571
131. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 571
132. Tcom Le Havre 28 novembre 1934 à propos d'"une
demande en résolution et en dommages-intérêts faite avant
terme quand le débiteur a déclaré qu'il
n'exécuterait pas ses obligations contractuelles" (Obs René
Demogue, Rtd civ 1935, p.647-648)
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qu'un refus explicite d'exécuter ses obligations
futures caractérise une inexécution anticipée et non une
inexécution présente.
b) L'impossibilité avérée
d'exécution à l'échéance
L'inexécution anticipée peut également
être caractérisée lorsque la situation actuelle du
débiteur démontre que ce dernier ne pourra exécuter ses
obligations à l'échéance. Il est, en outre, sans
importance que le débiteur confirme cette impossibilité ou qu'au
contraire, il affirme au créancier son intention d'exécuter ses
obligations malgré tout133. Il est également sans
importance que l'impossibilité d'exécution soit imputable
à un cas de force majeure ou bien au fait, fautif ou non, du
débiteur.
Cette vision élargie de l'inexécution
anticipée se justifie par l'objectif d'efficacité
économique à laquelle répond la résolution
anticipée et résulte de l'arrêt Universal Cargo Carriers
Corporation v. Citati où la bonne volonté du débiteur ne
pouvait en l'espèce faire obstacle à une action en
responsabilité pour inexécution anticipée. L'objectif de
la résolution anticipée étant de réduire le
préjudice du créancier et de procéder à sa
libération, il n'y a pas lieu de distinguer selon que
l'inexécution soit fautive ou non134. Comme a pu l'indiquer
Yves-Marie Laithier au sujet de cet arrêt, "l'impossibilité
l'emporte sur l'intention contraire".
Il convient toutefois d'ajouter que l'absence d'exigence de
certitude absolue implique que, tout comme le refus, l'impossibilité ne
puisse être anticipée "que si elle est claire ou raisonnablement
certaine"135.
c) Le comportement exécutoire déloyal
La détection d'un comportement exécutoire
déloyal du débiteur constitue également une forme de
risque manifeste d'inexécution du débiteur. Un tel comportement
pourrait alors notamment se manifester par une organisation volontaire
d'insolvabilité. L'attitude déloyal du débiteur fonderait
alors la mise en oeuvre d'une résolution anticipée fondée
sur l'atteinte à la confiance légitime du
créancier136.
133. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 573
134. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 573
135. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 573
136. Voir infra, p.68
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