§3: Une ouverture jurisprudentielle
L'absence de volonté explicite du législateur
d'admettre la résolution anticipée n'a pas empêché
la jurisprudence de prendre acte de la complexification des échanges
commerciaux pour valider, quoique de manière ponctuelle et
isolée, des mesures s'apparentant nettement à une
résolution pour inexécution anticipée. Nous pouvons
à cet égard citer un jugement ancien du 28 novembre 1934 rendu
par le tribunal de commerce du Havre, qualifié d'"arrêt fondateur
oublié" par Thomas Genicon109. Les juges de première
instance avaient en effet répondu favorablement à une demande en
résolution et en dommages-intérêts opérées
avant que les obligations du débiteur ne furent échues au motif
que ce dernier avait déclaré qu'il n'exécuterait pas ses
obligations contractuelles110. Selon les observations de René
Demogue, le fait pour le débiteur de manifester expressément sa
volonté de ne pas exécuter ses obligations contractuelles
constitue d'ores et déjà une violation du contrat111,
ce qui légitimerait alors l'application de l'article 1184 du code
civil.112 De ce point de vue, une telle déclaration ne
constituerait pas un risque d'inexécution, fut-il évident ou
certain, mais une inexécution d'ores et déjà
consommée. Il n'est donc pas ici clairement question de
"résolution pour inexécution
109. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007
110. Tcom Le Havre 28 novembre 1934 à propos d'"une
demande en résolution et en dommages-intérêts faite avant
terme quand le débiteur a déclaré qu'il
n'exécuterait pas ses obligations contractuelles" (Obs René
Demogue, Rtd civ 1935, p.647-648)
111. René DEMOGUE, Obs sous TGI Le Havre 24 nov 1934, Rtd
civ 1935, p.647
112. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007: "Lorsque le débiteur adopte un
comportement par lequel il fait obstacle à l'exécution future du
contrat, il y a lieu de considérer qu'il peut commettre un manquement au
sens de l'article 1184 du code civil".
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anticipée" mais les effets demeurent malgré tout
identiques. D'autant plus que les juges affichent clairement leur
volonté de libérer le créancier d'un contrat voué
à l'échec, ce qui revient alors à protéger ce
dernier du risque d'inexécution future: "l'acheteur a suffisamment fait
connaître ses intentions pour que le vendeur n'ait pas été
dans l'obligation d'attendre le délai de livraison extrême
fixé au marché pour faire valoir ses droits à une
indemnité de résiliation"113. Il n'en demeure pas
moins que ce que l'on pourrait qualifier de mesure d'anticipation
déguisée possède un champ d'application trop restreint en
droit français, étant donné que sa mise en oeuvre suppose
une déclaration explicite de ne pas exécuter ses obligations de
la part du débiteur114.
Un élargissement semble malgré tout avoir
été timidement opéré par un arrêt rendu le 5
février 1969 par la chambre commerciale de la cour de cassation. La
haute juridiction a pu en effet s'exprimer dans les termes suivant: "en
statuant ainsi, par une appréciation hypothétique de l'attitude
future des intéressés, déduite de l'allégation de
Rolland déclarée non justifiée, la cour d'appel n'a pas
donné sur ce point une base légale à sa décision".
La résolution anticipée qui avait été admise par
les juges du fond, a certes, été refusée par la cour de
cassation mais pour des motifs tenant à la "pertinence des
éléments futurs invoqués" et non sur le simple fait qu'il
s'agisse d'"éléments futurs"115. On pourrait alors
légitimement imaginer que si les arguments du créancier avaient
été pertinents, la résolution admise par les juges du fond
n'aurait finalement pas été refusée par la cour de
cassation.
Cette décision revête malgré tout le
caractère d'une jurisprudence ponctuelle et isolée et ne saurait
avoir pour effet de consacrer pleinement la résolution anticipée
en droit français. Certains auteurs sont par conséquent
favorables, à l'instar de l'anticipatory breach des droits de common
law, "à une généralisation du mécanisme" de la
résolution anticipée et "entendent lui donner un fondement
autonome116 permettant en quelque sorte de l'arracher à la
résolution pour inexécution du droit français qui
présuppose - classiquement en tout cas - une inexécution
présente"117.
Cette carence nous conduit donc à proposer un
régime juridique concevable des deux mécanismes principaux
d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception
pour risque d'inexécution.
113. Tcom Le Havre 28 novembre 1934
114. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007
115. Marie Peig-Heng CHANG, La résolution du contrat
pour inexécution: Etude comparative du droit français et du droit
chinois, PUAM 2005
116. Article 111 Projet Terré
117. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.231
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