B\ L'article 1184 du code civil
Les rédacteurs du code civil ont consacré la
possibilité de demander en justice la
104. C. MALECKI, L'exception d'inexécution, préf
J. Ghestin, LGDJ 1999, n°125: "L'article 1186 du code civil signifie
seulement que le créancier ne peut réclamer l'exécution du
débiteur avant terme. Il n'exclut nullement que le créancier
puisse avant terme prendre des dispositions et surtout, si certaines conditions
sont réunies, puisse y mettre fin sur son initiative. Deux choses sont
différentes: réclamer une exécution et résoudre le
contrat".
105. §321 BGB: "Celui qui dans un contrat synallagmatique
s'est obligé à prester le premier, peut, si depuis il s'est
produit une diminution notable dans le patrimoine de l'autre partie, de nature
à mettre en péril la contre-prestation à recevoir, se
refuser à faire la prestation qui lui incombe, jusqu'à ce qu'il
ait reçu la contrepartie ou qu'il lui ait donné caution".
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résolution du contrat dans le cas "où l'une des
deux parties ne satisfera point à son engagement" tout en prenant soin
de préciser que le contrat ne pourrait aucunement être
résolu de plein droit. Il convient de mettre en évidence l'emploi
du futur par les rédacteurs. La syntaxe de cet article permet en effet
de constater que si la résolution anticipée n'est pas
expressément consacrée, elle ne semble être exclue pour
autant106. Il convient toutefois de noter que le 2e alinéa
s'exprime dans les termes suivants: "la partie envers laquelle l'engagement n'a
point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre
à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en
demander la résolution avec dommages et intérêts". L'emploi
du verbe "exécuter" étant employé au passé, deux
déductions alternatives peuvent être formulées. Soit les
rédacteurs n'avaient aucunement l'intention de laisser place à
une quelconque résolution par anticipation et l'emploi du futur au
premier alinéa ne devrait alors se résumer qu'à une
maladresse de style. Soit l'emploi simultané du passé et du futur
permet d'émettre l'hypothèse selon laquelle une
inexécution future est assimilable à une inexécution
actuelle: certains auteurs pensent en effet qu'il n'y aurait "rien de plus
normal que de considérer un contrat comme inexécuté
lorsqu'il est certain que le débiteur n'exécutera pas sa
prestation le moment venu"107. Dans ce deuxième cas, il
serait donc permis de penser que l'hypothèse d'une résolution
anticipée n'aurait pas été exclue de l'esprit des
rédacteurs du code civil.
Il faut toutefois se garder d'induire l'existence d'un
mécanisme juridique aussi lourd de conséquences que la
résolution anticipée à partir d'une analyse
littérale aussi poussée de l'article 1184 du code civil. Bien au
contraire, il nous paraît que si la faculté de résoudre le
contrat offerte par ce texte avait vocation à être
appliquée avant que les obligations faisant l'objet d'une
exécution potentielle deviennent exigibles, les rédacteurs
n'auraient pris soin de mentionner que la résolution devait être
effectuée en justice; le juge ayant la possibilité d'autoriser
ladite résolution ou bien d'accorder "au défendeur un
délai selon les circonstances". En effet, la résolution par
anticipation ne pourrait être exercée efficacement que de
manière unilatérale: le recours au juge, "source de lenteur et de
frais"108, priverait dans
106. Marie Peig-heng CHANG, La résolution du contrat pour
inexécution: Etude comparative du droit français et du droit
chinois, PUAM 2005: "l'analyse des termes de cet article montre que la
résolution du contrat pour inexécution anticipée est
possible." Par ailleurs, selon C. Malecki, "l'analyse littérale stricte
de l'article 1184 du code civil n'évoque pas la donnée
temporelle, plus précisément il ne dit pas que la
résolution ne pourra être demandée qu'à
l'arrivée du terme (...). Il n'implique pas qu'il faille attendre un tel
manquement, même si le futur est employé. Si l'exécution de
l'une des parties est selon toute vraisemblance improbable, ne s'agira-t-il pas
d'une inexécution? Il y a donc une place pour une résolution
anticipée".
107. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
108. François TERRE, Philippe SIMLER, Yves LEQUETTE, Les
obligations, Dalloz, 11e édition, 2013, p.693
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la majorité des cas, cette mesure d'anticipation de
l'objectif de célérité poursuivi. Bien que pour pallier
aux insuffisances de la loi, une possibilité de résolution
unilatérale ait été prévue par la jurisprudence, il
n'en demeure pas moins que, d'après la rédaction de l'article
1184 du code civil, le législateur ne semble pas avoir souhaité
laisser place à une mesure telle que celle de la résolution
anticipée.
Le code civil étant âgé de plus de 200
ans, nous pourrions toutefois penser que, sous l'influence de la mondialisation
et de l'accroissement exponentiel des contrats commerciaux, les idées du
législateur n'ont pu qu'évoluer quant au régime des
sanctions des inexécutions contractuelles. L'absence d'une
consécration explicite de la résolution anticipée à
l'occasion du projet de réforme de droit des contrats vient
malgré tout démentir ce qui aurait pu paraître comme une
évidence.
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