Section 2: L'admissibilité de la
résolution par anticipation
Bien que la résolution anticipée ne soit pas
explicitement consacrée par le législateur (§1), la lettre
actuelle des textes de loi (§2), tout comme la lecture de certaines
décisions jurisprudentielles plus ou moins explicites (§3), ne
semblent nullement fermer la porte à l'introduction d'un tel
mécanisme d'anticipation.
§1: L'absence de consécration de la
résolution anticipée
Malgré les réticences du législateur (A),
une partie de la doctrine manifeste une volonté d'accueillir le concept
de résolution anticipée en droit positif. Tel est le cas du
projet Terré (B).
A\ Une réticence législative
La résolution anticipée n'est pas
mentionnée dans le projet de la Chancellerie. Il semblerait alors que
l'anticipation du risque d'inexécution devrait, aux yeux du
législateur, se résumer à la seule exception pour risque
d'inexécution. Celle-ci constituerait le compromis idéal entre la
protection de l'intangibilité du contrat et l'anticipation du risque des
inexécutions contractuelles.
Une telle réticence à l'admission de ce mode
d'anticipation peut notamment s'expliquer par l'insécurité
contractuelle qui découlerait du pouvoir attribué au
créancier de décider unilatéralement d'une sanction aussi
forte que la "destruction pure et simple du contrat"94.
94. S. PERUS-BICHOT, « La résolution
unilatérale anticipée », in « La réforme du
droit des contrats », RDA n° 1, janv. 2010, p. 85 s.
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Nous pourrions, en réponse à cette
frilosité, émettre la remarque suivante: le principe de
résolution unilatérale est malgré tout consacré par
le projet de réforme du droit des contrats. L'article 1226 dudit projet,
influencé par la jurisprudence antérieure, indique que "le
créancier peut, à ses risques et périls, résoudre
le contrat par voie de notification. Il doit préalablement mettre en
demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son
engagement dans un délai raisonnable." Le texte répond
manifestement à l'impératif de célérité que
commande la vie des affaires. Les partenaires commerciaux doivent pouvoir
à cet effet éviter un assistanat judiciaire systématique.
Les termes "à ses risques et périls" dénotent
également une certaine responsabilisation du créancier qui devra
prendre la décision de résoudre ou non le contrat
conformément aux conditions posées par le législateur. Si
le créancier peut prendre le "risque" de résoudre lui même
un contrat pour inexécution, pourquoi n'en serait-il pas de même
en cas d'inexécution anticipée? On pourrait objecter qu'un tel
risque ne serait pas autorisé dans ce dernier cas pour la simple raison
que s'il n'est pas très ardû d'apprécier les conditions
d'une résolution pour inexécution d'obligations échues, il
en irait tout autrement pour une inexécution n'ayant pas encore eu lieu.
La frilosité du législateur s'expliquerait donc avant tout par le
risque d'erreur d'appréciation qui découlerait d'une telle
prérogative95. On peut toutefois arguer que la faculté
de résolution unilatérale offerte au créancier ne trouve
pas justification dans la facilité d'apprécier soi-même les
conditions de mise en oeuvre de la résolution pour inexécution
mais dans une volonté de conférer à ce dernier la
responsabilité de maîtriser lui-même le sort d'un contrat
tenu en échec. Nous pourrions alors concevoir qu'une telle
responsabilisation pourrait s'étendre à la possibilité de
résoudre le contrat par anticipation. Dans le cas où la mise en
oeuvre d'une résolution anticipée serait, en raison des
circonstances, délicate et "risquée", le créancier sera
alors libre de s'abstenir, procéder à une exception pour risque
d'inexécution, ou encore se tourner vers la résolution
judiciaire, bien que l'anticipation sera dans ce dernier cas extrêmement
limitée en raison de la lenteur inhérente à tout recours
judiciaire. À ce sujet, l'article 1227 du projet de réforme
dispose clairement que "la résolution peut toujours être
demandée en justice."
Il est malgré tout légitime de se questionner
sur l'efficacité de la responsabilisation du créancier: bien que
le débiteur puisse contester la résolution pour
inexécution anticipée en justice, cela reste un
procédé onéreux et dissuasif. On pourrait alors se
demander si les intérêts
95. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du contrat
pour inexécution, in Pour une réforme du droit des contrats, sous
la direction de François TERRE, Dalloz, 2008, p.273: "Le risque
essentiel qui a nourri les hésitations tient dans le fait qu'il revient
au seul créancier d'apprécier une inexécution qui, par
hypothèse, n'est pas encore avérée".
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du créanciers ne prédomineraient pas ceux du
débiteur.96Le projet Terré propose en réponse
qu'une chance soit donnée au débiteur en apportant les
"justifications nécessaires attestant de son exécution
future"97.
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