Partie 1: L'admissibilité des
mécanismes
d'anticipation du risque d'inexécution
Que ce soit au sein de notre système juridique ou en
droit comparé, les mécanismes d'anticipation constituent une
réalité qu'il serait inopportun d'ignorer. Il nous paraîtra
alors judicieux de proposer, à la suite d'une étude comparative
et de droit interne (Titre 1), un régime juridique viable des deux
mécanismes que sont la résolution anticipée et l'exception
pour risque d'inexécution afin d'attester de leur admissibilité
en droit positif (Titre 2).
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Titre 1: L'existence avérée des
mécanismes
d'anticipation
Les mécanismes d'anticipation du risque
d'inexécution ont connu un succès fulgurant en droit
international et comparé (Chapitre 1). Un tel exemple de réussite
ne saurait être sans influence sur notre droit positif qui semble,
malgré les réticences du législateur, s'ouvrir peu
à peu à l'admission de tels mécanismes (Chapitre 2).
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Chapitre 1: L'expansion internationale des
mécanismes d'anticipation
Que ce soit au sein des droits de common law où ils ont
été conceptualisés pour la première fois (Section
1), ou encore en droit continental et international (Section 2), les
mécanismes d'anticipation irriguent de nombreux systèmes
juridiques.
Section 1: Des mécanismes d'anticipation dans
les pays de
common law
L'étude des mécanismes d'anticipation au sein
des droits de common law nous conduit à réaliser une étude
sur la résolution pour inexécution anticipée,
dénommée "anticipatory breach of contract" dans le vocabulaire
anglo-saxon (§1) ainsi que sur l'exception pour risque
d'inexécution, applicables au sein de ces systèmes juridiques
(§2).
§1: L'"anticipatory breach of contract"
Le succès de l'"anticipatory breach of contract" nous
conduira à évoquer le célèbre arrêt Hochster
v. De La Tour lui ayant donné naissance (A) avant d'étudier les
principes de droit anglais des contrats ayant pu permettre à un tel
concept d'émerger (B).
A\ L'émergence de l'inexécution
anticipée
L'inexécution anticipée prend racine en
Angleterre lors d'un arrêt dit Hochster v. De La Tour rendu en 1853. La
solution était novatrice: aucune n'avait auparavant permis au
créancier d'anticiper l'inexécution d'une obligation
contractuelle.25
En l'espèce, Hochster fut engagé, le 12 avril
1852, comme coursier par De la Tour, qui projetait d'effectuer un voyage de
trois mois en Europe Continentale. Le salaire était fixé à
10£ par mois et le départ prévu pour le 1er juin 1852.
Toutefois, ce dernier changea d'avis et, le 11 mai, informa Hochster qu'il ne
souhaitait plus recourir à ses services. Celui-ci exerça
25. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 554
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alors une action en dommages-intérêts le 22 mai,
soit un peu plus d'une semaine avant le terme convenu. Il se posait donc la
question de savoir si un "créancier pouvait valablement agir en
dommages-intérêts en invoquant la violation d'une obligation qui
n'était pas encore exigible au jour où l'action fut
introduite"26. La chambre des Lords apporta une réponse
positive par la célèbre formule suivante: "en présence
d'un contrat comportant l'obligation d'accomplir un acte à une date
future, il existe dans l'intervalle une relation entre les parties
fondée sur le contrat, et qu'elles se promettent implicitement durant
cette période de ne rien faire au préjudice de l'autre qui soit
incompatible avec cette relation". Il existe donc un laps de temps entre la
conclusion du contrat et le commencement d'exécution de ce dernier qui
ne saurait aucunement correspondre à un vide juridique. Elle marque en
effet le début d'une relation entre les parties devant être
protégée par le droit. La rupture d'une telle relation, pouvant
notamment émaner de la manifestation d'un refus de l'une des parties
d'exécuter ses futurs obligations contractuelles, revête le
caractère d'une inexécution anticipée. Le constat d'une
telle inexécution à venir devrait alors permettre au
créancier, outre l'obtention d'une allocation de
dommages-intérêts, de rompre le contrat
immédiatement27.
L'effet radical de ce remède est tempéré
par la condition de mise en oeuvre suivante: l'inexécution future doit
être certaine28.
Certains auteurs semblent avoir conféré une
conception moraliste à cette décision. Tel est le cas de M.
Atiyah qui a pu considérer cet arrêt comme un "hommage à la
conception promissoire du contrat"29. La conclusion de ce dernier
équivaudrait à un échange de promesse implicite dont la
rétractation par l'une des parties engagerait sa responsabilité
contractuelle, peu important que l'obligation concernée soit ou non
exigible. Il semblerait que selon cette conception, ce n'est point
l'inexécution en elle même qui fonderait la résolution du
contrat mais la rupture du lien de confiance inhérent à toute
relation contractuelle.
Y.-M Laithier réfute cette hypothèse et
considère que la responsabilité contractuelle est
fondamentalement justifiée par des considérations
économiques30: l'objectif serait avant tout de réduire
le préjudice du créancier et subséquemment, le montant des
dommages-intérêts dus par le débiteur.
26. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 554
27. Ewan McKENDRICK, Contract law, Basingstoke (GB): Palgrave
Macmillan, cop. 2009, p.316 : "One contracting party may inform the other
party, before the time fixed for performance under the contrat, that he will
not perform his obligations under the contract. This is called an anticipatory
breach of contract, which entitles the innocent party to terminate performance
of the contract immediately".
28. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
29. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 555
30. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p.555
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Cette jurisprudence a par la suite influencé le
continent américain: l'inexécution anticipée a en effet
été reconnue par la Cour suprême fédérale en
1900, progressivement été adoptée par les Etats
fédérés31, "codifié par
l'UCC32, consacrée par le premier Restatement of
Contracts33, (...), puis reprise et améliorée par le
second Restatement of Contracts"34.
L'inexécution anticipée s'étant
étendue à l'ensemble des pays de common law, elle est
également reconnue dans la sphère européenne35
et internationale36 et tend par ailleurs à influencer les
systèmes de droit romano-germanique37.
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