Le sénat au Cameroun entre nécessité et prestige.( Télécharger le fichier original )par Barthélémy Nkoa Ondoa CIFADDEG - Expert en Administration Parlementaire 0000 |
B. Une représentation à parfaireLe problème de la représentation ici se pose à un double niveau : il y'a d'abord la représentation du sénat qui concerne la représentation territoriale, et ensuite la représentation au Sénat qui concerne quant à elle les proportions des personnes représentées au sein de la Haute chambre La représentation territoriale du Sénat Camerounais pose le problème épineux d'ordre général de l'égalité du suffrage reconnu comme être un indicateur de la sincérité du scrutin et s'analysant en une application particulière du principe de l'égalité devant la loi. Cette règle de l'égalité du suffrage, polysémique, peut s'entendre de deux manières différentes : elle peut en effet être appréhendée comme des synonymes d'universalité du scrutin dans la mesure où elle signifie que tout individu a droit de suffrage ; elle peut ensuite être comprise comme le poids égal accordé au suffrage de tout électeur quel que soit la fonction ou la position qu'il occupe. C'est donc un principe cardinal de la démocratie électorale qui touche la démocratie dans son essence même, à savoir la représentation. C'est surtout en matière de découpage des circonscriptions électorales que cette règle trouve un terrain idéal d'application, et ici, l'égalité du suffrage est appréhendée comme une équation mathématique à propos de laquelle deux conceptions s'opposent. La première conception est celle de Hans Kelsen pour qui : « le poids d'un suffrage est une fraction dont le dénominateur est le nombre de votant que compte le corps électoral et dont le numérateur est le nombre de député que le corps électoral doit élire ». Pour la seconde en revanche, si le numérateur est le même, le dénominateur change et devient plutôt non plus le nombre de votant, mais le nombre d'habitant que compte la circonscription électorale. L'opposition de ces deux conceptions est la suite logique de celle qui oppose les deux conceptions de la souveraineté que sont la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. En effet, en prenant en compte comme base de calcul l'ensemble des habitants d'une circonscription, on prend position en faveur de la souveraineté populaire puisqu'elle se traduit par le principe de l'élection-droit qui considère l'élection comme « un droit naturel, inhérent à la qualité de membre de l'Etat et antérieur à tout constitution de l'Etat118(*) ». A l'inverse, prendre en compte les seuls votants comme base de calcul revient à considérer la souveraineté nationale qui se traduit par l'élection-fonction, l'élection étant considéré comme « une fonction confiée par la Nation à des individus capables de l'exercer119(*) ». Concrètement, le problème d'égalité du suffrage se pose lorsque deux circonscriptions le même nombre de représentants alors que leur population sont différente. Au Cameroun, la loi pose que les sénateurs sont élus sur la base régionale tout comme celle-ci constitue le socle du pouvoir de nomination du Président de la République. Il s'agit donc d'une représentation à base territoriale comme cela a cours en Suisse ou encore en Espagne. A première vue, on peut en déduire une répartition équitable, puisqu'au total, chaque région est représentée par dix sénateurs. Ainsi, la représentation les électeurs sénatoriaux semble parfaite dans la mesure ou leur nombre varie en fonction de la taille de la commune et de la région : plus la commune ou la région est grande, plus elle a des conseillers et donc d'électeurs électoraux. Pourtant, à y regarder de trop près, rien de tel. En réalité, la nature indirecte de l'élection sénatoriale au Cameroun accentue le problème puisqu'elle conduit l'accumulation de l'inégalité du suffrage à deux degrés. En effet, l'inégalité du suffrage, déjà présente dans l'élection des conseillers municipaux, se répercute au niveau de l'élection sénatoriale. Ensuite, même s'il faut saluer le choix du scrutin à la représentation proportionnelle qui est facteur de d'élargissement de la représentation à côté du scrutin majoritaire qui amplifie l'opinion dominante et tend à exclure les minorités. On assiste plutôt à un déséquilibre dans la représentation dans la mesure où cette représentation est loin d'être uniforme sur toute l'étendue du territoire ce qui d'bouche à une inégalité quantitative du suffrage. Les distorsions de représentation sont criardes, puisqu'elle varie largement d'une région à une autre. Ainsi, un sénateur représente 88488 citoyens dans la région de l'Adamaoua, 309804 au Centre, 77175 à l'Est, 311179 à l'Extrême Nord, 251026 au Littoral, 168785 au Nord, 172895 au Nord-Ouest, 172004 à l'Ouest, 63465 au Sud et 131607 au Sud-Ouest120(*). L'égalité mathématique ou arithmétique dans la représentation au Sénat donne donc lieu à une injustice et à un déficit de représentativité. il est donc aisé de remarquer que l'égalité est rompue par cette équation, puisque le poids de vote des électeur est diffèrent selon qu'on passe d'une circonscription électorale que forme la région à une autre. Le doigt accusateur est pointé sur l'option choisie par le Cameroun pour les élections sénatoriales qui est celle d'un découpage électoral à base territoriale plutôt qu'à base démocratique, qui plus est, inscrit dans la Constitution. Certes cette option a la l'avantage de soustraire, à travers un découpage statutaire et stable, le découpage électoral des manipulations partisanes auxquelles on assiste très souvent lorsque le découpage est confié à une autorité politique à travers la célèbre technique du gerrymandering. Mais elle a d'énorme inconvénient de figer les situations et d'empêcher la modulation des élus à l'évolution des populations, ce qui peut se faire que par le biais d'un découpage électoral à base essentiellement démographique. L'égalité arithmétique que procure le découpage actuel n'est donc qu'un trompe-oeil et doit céder le pas à une répartition équitable qui tienne compte de la dimension démographique de chaque région. La solution ne serait-elle pas le nombre de sénateurs d'une région à la population de celle-ci ? Il nous semble important de basculer vers une représentation à base démocratique plus juste et plus équitable. Il faut signaler que dans ce cas, il faudra également réajuster le nombre de sénateurs nommés par le Président de la république en fonction de la population sur une base proportionnelle. Cette configuration ne serait pas à elle seule suffisante pour restaurer l'égalité du suffrage. En outre, il faudrait éviter que la détermination du nombre des élus représentant chaque circonscription ne soit confiée à une autorité politique comme le Président de la République, ou même au parlement dans le but d'éviter que cela ne débouche au cas d'inégalité qualitative du suffrage. Pour cela, confier ce rôle à une commission indépendante dont les décisions s'imposerons au Président de la République, nous semble une solution propre à garantir une égalité de suffrage plus acceptable. Cette réforme est d'autant plus nécessaire que l'égalité du suffrage est une exigence constitutionnelle formulée par l'article 2(3) de la Constitution du Cameroun au terme duquel « le vote est égal et secret ». Cette constitutionnalisation du principe de l'égalité du vote pense démontrer l'importance qui lui est accordé ainsi que de la nécessité de la respecter dans le but de conférer un caractère plus démocratique à l'ensemble du processus électoral. C'est dire que son respect par les textes législatifs, en l'occurrence le code électoral, n'est ni plus ni moins qu'un cas de constitutionnalité, qui doit être, faute de contrôle a posteriori de la loi, sanctionné lors de sa mise en oeuvre par le conseil constitutionnel, juge électoral. La région comme base d'élection des sénateurs comporte également l'inconvénient d'aboutir à une représentation déséquilibrée, défavorisant les petits partis qui n'ont pas la faculté d'être implantés dans toutes les circonscriptions électorales de la région. Celle-ci, en raison de sa grandeur et de sa largeur, dilue les voix de la représentation des petits partis politiques au point de les réduire au rang de simple faire valoir. C'est ainsi qu'à l'issue des élections les sénateurs élus étaient issus des seuls deux partis politiques que sont le SDF et le RDPC, les autres partis représentés au sénat n'ayant leurs sièges qu'à la nomination par le Président de la République de leurs membres. La solution pourrait se trouver dans le changement de la circonscription électorale des sénateurs de la région au département, comme c'est par exemple le cas en France. Ceci aurait l'avantage de permettre une représentation plus fidèle du paysage politique du pays.
* 118 C. Castor, « l'égalité devant le suffrage », rue de France de droit constitutionnel, janvier 2012, p.17 * 119 Idem. * 120 D'après les résultats du recensement rendus publics le 10 avril 2010. |
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