Le sénat au Cameroun entre nécessité et prestige.( Télécharger le fichier original )par Barthélémy Nkoa Ondoa CIFADDEG - Expert en Administration Parlementaire 0000 |
Chapitre2 : Le Sénat : une Anomalie en DémocratieI. La mise en place du Sénat : un processus peu démocratiqueIl faut d'entrée de jeu dire que le Sénat Camerounais souffre de ce que certains spécialistes appellent le « péché originel » de certaines secondes chambres à travers le monde112(*). Ce constat se dégage pour peu qu'on se pose la question de savoir pourquoi instituer une seconde chambre au Cameroun, questionnement qui n'a été efficacementrépondu ni par les travaux préparatoiresà la révision constitutionnelle du 18 janvier qui crée le sénat, ni même par l'effervescence provoquée par la convocation quelque peu surprise du corps électoral. La Constitution se borne en effet à dire que le Sénat représente les Collectivités Territoriales Décentralisées que sont les régions et les communes, cette affirmation se présentant comme le seul fondement du Sénat Camerounais.Si tel est le cas, force est de reconnaitre qu'il y'a un déficit de fondement, dans la mesureoù la forme de l'Etat du Cameroun ainsi que son histoire profonde ne justifie pas l'institution d'une seconde chambre. Parmi les sujets qui ont soulevé les controverses relatives à la mise en place du Sénat au Cameroun, figurent les questions liées à ses fondements même, le collège électoral(A) et le pouvoir de nomination du Président de la République(B). A. Un collège électoral illégitimeChaque région est représentée par dix (10) sénateurs dont sept sont (07) sont élus au suffrage universel indirecte et trois (03) nommés par le Président de la République113(*). Le calcul est donc simple : le Sénat compte cent (100) sénateurs dont soixante-dix (70) sont élus et trente (30) nommés. La loi précise que seul le corps électoral qui ne concerne ici que les sénateurs élus, à l'exclusion des sénateurs nommés, est formé des conseillers régionaux et les conseillers municipaux. C'est donc à eux seuls que revient le droit d'élire les sénateurs au Cameroun, d'où le suffrage universel indirect qui caractérise l'électionsénatoriale, par rapport à l'élection des députés qui se déroule au suffrage universel direct dans la mesure où les députés sont élus directement par les citoyens. Cependant, en raison de la spécificité de ce premier Sénat, et conformément au fait que les nouvelles institutions créées par le texte constitutionnel de 1996doivent être mises sur place de manière progressive, la Constitution a pris en considération que le Sénat pourraitêtreinstitué avant les régions. Dans ce cas, le collège électoral est constitué « exclusivement des conseillers municipaux ». C'est dire que la convocation des seuls conseillers municipaux pour les électionssénatoriales est parfaitement conforme à la loi et ne doit donc causer aucun problème de l'égalité. Cependant, on ne peut en dire de même de la légitimité d'une telle situation qui nous semble sérieusement compromise ipso facto, et cela pour deux raisons : D'abord, bien que la constitution l'approuve, il nous parait illogique que le Sénat intervienne avant les régions dans la mesure où celui-là est constitué par des personnes issues de celles-ci entre autres. Ainsi, même si en tant que garant des institution de l'Etat, le Président de la République a la latitude de les mettre sur pied à un rythme et suivant un calendrier qui lui sont propres, ceci doit l'être suivant une logique et un ordre propre à garantir une fluidité dans le fonctionnement de ces institutions. Mettre ben place le Sénat avant les régions revient donc à mettre la charrue avant les boeufs, ou pour reprendre la métonymie, à faire intervenir l'effet avant la cause, le constitué avant le constituant.Le risque ici est celui d'aboutir, à terme, à un Sénat non accepté par les régions ou dans lequel celles-ci ne se reconnaissent pas et ne sentent pas leurs intérêtsprotégés. Une fois les régions mises sur place, accepteront -elles un Sénat censé les représenter mais où elles n'y sont pas en réalitéreprésentées, n'y verront-elles aucuninconvénient à cela ? Nul ne peut répondre par l'affirmative. Ensuite c'est le statut des conseillers municipaux formant le collège électoral qui est sujet à caution et qui nous semble de nature à altérer la légitimité de cette chambre. Les conseillers municipaux qui ont en effet constitué le collègeélectoral pour l'institution du tout premier Sénat camerounais ont été élus en juillet 2007 et leur mandat devrait normalement être renouvelé cinq ans plus tard, c'est-à-dire en juillet 2012. Ceci n'a pas été fait et ces conseillers municipaux ne tenaient plus leur mandat que d'une prorogation du décret présidentiel114(*).Là aussi, aucune violation de la loi n'est à déplorer, car la loi donne le droit au Président de la République de proroger le mandat des conseillers municipaux pour une durée n'excédant pas 18 mois.115(*) Cependant, si cette mandature ne causerait aucun problème en temps normal, il reste que les réserves doivent être émises pour le cas d'espèceoù le corpsélectoral a été constitué des conseillers municipauxdécrétés, c'est-à-dire qui ne sont plus auréoles du mandat des électeurs. Cette prolongation a ainsi, et à juste titre, donné » lieu à toute sorte se supputations. On est en effet en droit de se demander si cette prorogation est neutre et dénuée de tout intérêt, lorsqu'on sait quel est le double statut du Président de la République qui est au surplusPrésidentde son parti politique le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais(RDPC). L'explication du Président de la République est à rechercher dans la Science Politique en tant qu'étude des stratégies des acteurs politiques. L'allusion à peine voilée, pointe le fait que ce parti politique qui était alors à l'affut pour des élections sénatoriales bénéficiait d'une majorité confortable dans les communes du pays, avantages propre à lui conférer une majorité absolue lors des sénatoriales.il était alors risquant pour le Président de la République qui, pour la circonstance était juge et partie, de procéder à des élections municipales en vue de renouveler les conseils municipaux du pays, le risque étant de perdre la majorité confortable dont jouissait alors son parti politique. Il aurait alors sans doute été judicieux pour le Président de la République qui est censé représenter les intérêts de la Nation toute entière et non ceux de sa formation politique, de procéder à la convocation du corps électoral en vue du renouvellement des conseils municipaux avant celle pour l'élection des sénateurs. Ainsi, les conseillers municipaux formant le cops électoral auraient la légitimité populaire que leur confère leur élection et non pas une légitimité exceptionnelle et douteuse qu'ils tiennent d'une prorogation décrétée .d'autant que le fait de faire procéder à l'élection des sénateurs par un corps électoral dont les membres sont eux-mêmes en fin de mandat pose un problème à propos du rythme de renouvellement du Sénat puisqu'on peut aboutir à un décalage importantentre l'opinion exprimée au début et à la fin du mandat des sénateurs116(*). En effet, six mois seulement après avoir procédé à l'élection des sénateurs, les conseillers municipaux ont été eux même appelés aux urnes et bon nombre d'entre eux n'ont pas été reconduits dans leur mandat. On peut dès lors légitimement se demander si le Sénat continue dans ces conditions à représenter un corps électoral qui a été rénové peu de temps après sa constitution, d'autant plus qu'à la fin de leur législature, les sénateurs continueront à tenir leur mandat d'un corps électoral dont le mandat a cessé cinq ans plus tôt. Qui plus est, à la fin de cette législature, c'est-à-dire en 2018, ils tiendront leur mandat d'un électoral qui lui-même tenait le sien depuis 2007, c'est-à-dire onze ans plus tôt. En définitive, ils exercent selon une volonté qui a été exprimée onze (11) auparavant. Si la convergence des mandats des conseillers municipaux et régionaux d'une part et les sénateurs d'autre part ainsi que le rythme de renouvellement intégral de la chambre peuvent se présenter comme une solution à ce problème, il reste qu'il faille procéder à une harmonisation des calendriers électoraux pour que notamment, les élections municipales et régionales soient suivies peu de temps après les électionssénatoriales pour faire en sorte que le corps électoral jouisse d'une légitimité neuve, actuelle et solide au momentoù il procède au choix des sénateurs. * 112 J. Grangé, J. Matias, les secondes chambres du parlement en Europe occidentales ; p.31. * 113 Article 20(2) de la Constitution, repris mutatis mutandis par l'article 214 du code électoral. * 114 Le mandat des conseillers municipaux a en effet été prorogé d'abord par décret n°2012/240du20mai2012, pour une durée de douze mois à compter du 31juillet 2012, et ensuite par le décret du 26juin2013, pour une durée de trois mois à compter du 1er aout 2013. * 115 Article 170(2) du code électoral * 116 D. Maus, « libre propos sur le Sénat », op cit p.95. |
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