Le sénat au Cameroun entre nécessité et prestige.( Télécharger le fichier original )par Barthélémy Nkoa Ondoa CIFADDEG - Expert en Administration Parlementaire 0000 |
B. Les fonctions de représentation.De manière générale, la notion de représentation est au coeur de la démocratie indirecte. On parle encore de démocratie représentative suivant la logique de Manassé Aboya. Le Sénat a une fonction de représentation au sens des termes de l'art 20 de la loi constitutionnelle de 1996 dans son al1, on peut aisément lire que : « le Sénat représente les CTD ». En tout état de chose, les CTD sont clairement définies par la constitution en son art 55 qui stipule que : les CTD de la république sont les régions et les communes. Tout autre type de CTD est créé par la loi. A cet égard, le Sénat apparait comme une institution démocratique de représentation des intérêts régionaux voire géographiquement et ethniquement particularistes. La représentation par le Sénat des CTD permet de garantir l'existence de la démocratie locale au niveau national. Elle permet aussi d'assurer la représentation de la nation par les corps intermédiaires territoriaux. Cette définition traduit la situation de délégation du rôle de défenseur des intérêts d'une personne ou d'un groupe de personnes auprès d'une instance. Le Sénat a pour rôle dans cette optique de représenter les CTD au niveau national, suivant le paradigme fonctionnaliste de Malinowski Bronslaw, Radcliffe Brown. Il s'agit bel et bien d'une fonction manifeste du Sénat. la fonction manifeste du Sénat renvoie à la fonction majeure, c'est-à-dire que dans les Etats fédéraux ou unitaires décentralisés, il a pour rôle la facilitation, l'apparition de la visibilité nationale des entités infra étatiques qui sont les Etats fédérés ou ces régions. Il s'agit des fonctions relevant des compétences propres au Sénat qui s'observent d'ailleurs sous deux dimensions : D'abord, il s'agit d'une représentation macro. Ici, la représentation des entités infra étatiques est celle que le Sénat assume au profit des CTD. En effet, la représentation macro politique est la conséquence de la décentralisation de la République. Le Sénat représente 02 catégories de CTD : c'est la représentation au niveau national du local. Elle emporte prise en considération des spécificités, des identités particulières. Cette représentation nationale du local par le Sénat a une fonction de préservation de l'unité nationale. D'ailleurs, le Sénat est le représentant constitutionnel des CTD. A cet égard, il a le droit de regard sur tout ce qui a trait à l'organisation des CTD. L'avènement du Sénat au Cameroun annonce l'instauration de la République territoriale » et de la nation locale71(*). Il est une modalité globale. A ce titre, la représentation des différentes catégories de région et de commune du Cameroun est une promotion institutionnelle de la prise en considération du local. Le Sénat est une institution d'entretien et de promotion de la différence locale. Dans le cadre de l'Etat fédéral, des Etats unis d'Amérique (USA), chaque Etat est représenté par 02 sénateurs quelque soit sa population. En Allemagne, le Bundesrat est la chambre de représentants des länder et ses membres sont désignés par les gouverneurs régionaux Au Cameroun, l'art 20 al2 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 est claire lorsqu'il s'agit de donner les quotas de représentation ; Ainsi : `chaque région est représentée au Sénat par dix (10) sénateurs dont sept (07) sont élus au suffrage universel indirect sur la base régionale et trois (03) nommés par le Président de la République ». Il faut donc dire que le bicamérisme au Cameroun bien que différencié, permet au citoyen camerounais de bénéficier d'une double représentation d'abord à l'Assemblée Nationale, dans leur individualité, ensuite au Sénat comme membre d'une localité entendue comme une collectivité humaine exerçant l'autonomie administrative démocratique de ses propres affaires dans le cadre d'un micro territoire72(*). La mission institutionnelle assignée au Sénat est donc la représentation des CTD. La constitution du parlement bicaméral repose par conséquent sur la combinaison du facteur démographique, l'Assemblée Nationale étant élu sur la base essentiellement démographique et du critère territorial, le Sénat étant constitué en vue de la représentation de l'espace et des territoires a un enjeu essentiellement démocratique. Le Sénat est pour ce faire, la « maison des CTD »73(*) . Dans un Etat décentralisé, le Sénat est à l'image du paysage territorial marqué par la multiplicité des communes et des communautés urbaines, par l'apparition des régions en 1996. En d'autres termes, le Sénat est le garant institutionnel du lien entre le national et le local. C'est l'expression de la territorialité globale et de la territorialité locale. Selon Akouafane, le Sénat et la décentralisation sont deux (02) réalités consubstantielles74(*): « le Sénat n'existe dans un Etat unitaire que parce que la décentralisation y a pris racine ». Autrement dit, il n'existe pas de par le monde un Etat unitaire décentralisé à parlement monocaméral. Le Sénat est lié à la dynamique décentralisatrice, il est le corollaire de la décentralisation car, sa vocation constitutionnelle est de représenter les CTD. Il en découle que l'avènement du Sénat au Cameroun s'explique par l'enracinement de la décentralisation, toujours est-il que la décentralisation et le renforcement de la démocratie notamment aux niveaux national ou local vont de pair selon A.D olinga. Les 02 catégories de CTD dont le Sénat camerounais est appelé à assurer la représentation sont les communes et les régions. On entend par représentation au sens de StephaneRiab, le fait d'assurer « la présence de ce qui est absent ». Ici, il faut entrevoir d'une part les communes comme un facteur de municipalisation sénatoriale de la représentation et d'autre part les régions comme vecteur de régionalisation sénatoriale de représentation. Appréhender les communes comme facteur de municipalisation sénatoriale de la représentation revient à considérer le Sénat comme défenseur des intérêts des communes. En fait, l'encrage institutionnel de la décentralisation au Cameroun par les lois n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions est une modalité légitime de consécration institutionnelle de la place du Sénat dans le jeu politique camerounais. La représentation importante des communes est consubstantielle à la vocation constitutionnelle du Sénat. En 1991, selon Jacques Larche75(*), « chaque collectivité territoriale a un droit éminent à sa représentation ». Le statut constitutionnel de la composition du Sénat repose sur 04 principes qui marquent la spécificité : - le Sénat dans la mesure où il assure la représentation des CTD de la république doit être élu par un corps électoral qui doit être pour l'essentiel composé d'élus locaux dans le cas des sénatoriales du 04 avril, il s'agit des conseillers municipaux - toutes les catégories de collectivité doivent être représentées - la représentation des communes doit refléter leur diversité - pour assurer le respect du principe de l'égalité avant le suffrage, la représentation de chaque catégorie des CTD, et de différents types de coutumes doit tenir compte de la population. C'est une solution d'inspiration institutionnelle, les sénateurs sont élus par les collectivités qu'ils ont la charge de représenter le Sénat, parce qu'il a vocation à représenter les CTD est un lieu où les questions territoriales ayant trait aux transferts de compétences, de ressources fiscales et de statut de l'élu local ainsi que les problèmes locaux trouvent une résonnance particulière et sont susceptibles d'être débattues D'un autre côté, appréhender le Sénat comme vecteur de régionalisation de la représentation revient à la considérer comme « représentation de la représentation »76(*). Ici, les sénateurs représentants des CTD sont élus dans le cadre de la région par les conseillers régionaux et municipaux eux-mêmes représentants du peuple au niveau local. C'est dire que le Sénat a pour vocation de traduire et de représenter les préoccupations particulières des régions. Aussi, faudrait-il le rappeler en accord avec A D Olinga que la régionalisation camerounaise en chantier va de pair avec la démocratisation constructive. C'est à ce titre que le rapport Hilarion Etong n°2205/AN de la commission des lois constitutionnelles, des droits de l'Homme et des libertés de la législation et des forces armées sur le projet de loi portant révision de la constitution du 02 juin 1972 qualifiait la « région » de « pierre angulaire de la décentralisation ». Après avoir élucidé l'aspect de la représentation macro, il convient maintenant de décrypter les aspects de la représentation micro. En effet, la représentation micro apparait au 1er chef comme une visibilité de toutes les composantes sociales. Cette représentation est donc la traduction démocratique de la prise en compte de l'équilibre sociologique, de la prise en considération des intérêts de toutes les ethnies, de toutes les tribus, de toutes les confessions et de toutes les composantes socio professionnelles de la nation77(*) . Dans le cadre de la constitution des listes des candidats au poste de sénateurs par région, la représentation micro se traduit par le refus du clanisme, du tribalisme, bref de l'exclusion. La représentation micro procède à l'inclusion de tous les ressortissants ethniques et socio professionnels par région. A titre d'exemple dans le cadre de la région du centre, toutes les tribus sont représentées : Manguissa, Eton, Ewondo, Bassa etc. Au niveau national, c'est la visibilité de toutes les 200 ethnies du Cameroun qui apparait à titre ultime. En outre, le Sénat incarne la promotion de l'intégration en ce sens qu'il défend les idéaux de la démocratie et promeut la cohésion et l'unité. La promotion de la prise en considération de la diversité démographique et la pluralité sociologique du Cameroun est au coeur de l'action démocratique. C'est en parfait accord avec Braud qu'il n'y pas de démocratie dans l'exclusion et la discrimination notamment dans un Etat unitaire décentralisé. La prise en compte de la diversité nationale entraine la nécessité de la présence au Sénat « des représentants des organisations économiques, familiales, intellectuels, pour que se fasse entendre au-dedans même de l'Etat, la voix des grandes activités ». C'est l'hypothèse de la représentation par le sénat « des forces vives de la nation » et plus exactement des « activités économiques, sociales et culturelles ». La composition socioprofessionnelle a partie liée avec la diversité sociologique. Toutes les catégories sont concernées : des professions agricoles, le commerce et l'industrie, les ouvriers. Il s'agit de faire du Sénat le « reflet du Cameroun » en tant qu' « Afrique en miniature ». A cet égard, le Sénat n'est plus seulement une « chambre des régions » mais également une « chambre des chefferies traditionnelles et des grandes catégories économiques, sociales et culturelles de la nation ». Ce rôle du Sénat est donc la représentation de toutes les sensibilités et catégories sociales au niveau du parlement. A cet égard, la confusion entre le Sénat et le conseil économique et social qui est une assemblée consultative de ces différentes activités économiques, sociales et culturelles semble grande. La reconnaissance juridique de l'hétérogénéité du Cameroun ou la consécration constitutionnelle de la pluralité sociale du Cameroun emporte pluralité de chambres étant entendu qu'une chambre unique, ne peut avoir à elle seule qualité pour parler au nom des différentes parties consultatives de la nation, qu'une chambre unique véhicule forcément la pensée unique surtout dans un contexte de parti dominant. Toutefois, face à l'expression du caractère complexe et hétérogène de l'Etat du Cameroun manifesté par les expressions telles que : « mosaïque des peuples et des cultures », « Afrique en miniature » « Raccourci de l'Afrique » « babelisme linguistique (religieux et des cultures » « bestiaire des fractures géopolitiques », microcosme de l'Afrique » etc. y a-t-il lieu de circonscrire les seules fonctions sénatoriales uniquement autour des fonctions législatives, de contrôle de l'action gouvernementale et de représentation ? Faudrait-il pas étendre leur périmètre d'action ? * 71 C. ESSEBA, op cit, p146. * 72Akouafane, op cit, p5 * 73 C ESSEBA, op cit p146. * 74 JC Akouafane, op cit, p7 * 75rapporteur de la commission des lois sur le projet de la loi relatif à l'élection des sénateurs * 76 C ESSEBA, op cit, p148 * 77 Christian Poncelet, Déclaration sur le bicamérisme, les compétences, la représentativité et la spécificité du Sénat discours Nancy le 05 mai 2001 |
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