Section II : Le fondement de la responsabilité
civile du commissaire aux comptes
On entend par le fondement la base juridique qui justifie la
mise en oeuvre de la responsabilité civile.
La responsabilité civile, est fondée sur le
principe de la justice corrective, en ce sens elle vise autant que possible,
à réparer le dommage causé par le comportement fautif de
l'agent, à replacer la victime, dans la situation ou elle se trouvait si
le dommage n'avait pas eu lieu, d'où il apparaît le
caractère et le fondement indemnitaire de la responsabilité
civile d'une manière générale.1
La responsabilité civile est fondée sur deux
idées complémentaires : la réparation d'une rupture
d'égalité entre la victime et ses contemporains ; la sanction du
comportement répréhensible qui se traduit par une atteinte
à un droit que la société estime devoir
protéger.
En réalité ces deux fondements se fondent en un
seul : la responsabilité civile a pour but d'assurer la
réparation adéquate des dommages.2
Dans ce contexte la question du fondement reconnu à la
responsabilité civile est en lien avec celle de la fonction que doit
remplir ce mécanisme juridique, mais ne saurait y être
assimilé.
Il en résulte que le fondement de la
responsabilité civile du commissaire dépend de la nature de
celle-ci.3
Evidemment, le fondement de la responsabilité civile du
commissaire aux comptes, doit résulter de la nature de celle-ci, c'est
ce qui explique que le législateur marocain a prévu un
régime spécial de la responsabilité civile du commissaire
aux comptes prévu par l'article 180 de la loi n° 17-95
4relative à la société anonyme.
1 B . Dubuisson, La Responsabilité Civile : Chronique de
jurisprudence, Larcier, p 154
2 A. Sourdat, Traité Général de la
responsabilité, Cosse, 1852, p 77
3J. Monéger, et T. Granier, Le Commissaire aux comptes,
Dalloz, 1995, p 134
4Loi 17-95 relative à la société anonyme,
promulguée par le dahir n° 196-124 du 14 rabii 1417 ( 30 aout 1996)
telle qu'elle a été modifiée et complétée
par la loi n° 20-05 promulguée par le dahir n° 1-08-18 du 17
Joumada 1429 ( 23 mai 2008), (BO n° 5640 du jeudi 19 juin 2008)
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comptes
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Ainsi l'article 180 de la loi n° 17-95, modifiée
par la loi n° 20-05 relative à la société anonyme
dispose : « Le ou les commissaires aux comptes sont responsables, tant
à l'égard de la société, que des tiers des
conséquences dommageables, des fautes et négligences par eux
commises dans l'exercice de leur fonctions.
Ils ne sont pas civilement responsables des infractions
commises par les administrateurs, les membres du directoire, ou du conseil de
surveillance sauf si en ayant eu connaissance lors de l'exercice de leur
mission, ils ne les ont pas révélées dans leur rapport
à l'assemblée générale. »
En effet l'article 180 de la loi n° 17-951,
relative à la société anonyme, constitue un fondement
spécial de cette responsabilité, car il est détaché
et présente une certaine autonomie par rapport aux principes classiques
du droit civil, mais cela n'empêche que les fondements de droit commun de
responsabilité civile prévue par le dahir des obligations et des
contrats (D.O.C) peuvent également recevoir application s'agissant du
commissaire aux comptes. 2
Dans ce contexte, la recherche des fondements de la
responsabilité civile du commissaire aux comptes, va permettre de mieux
la mettre en oeuvre, et de l'appliquer dans la pratique quotidienne du droit.
Ses éléments théoriques que nous déterminerons,
nous serviront de base, mais aussi de réponse aux différentes
questions qui touchent surtout la nature juridique de l'obligation de
réparation.3
Cependant compte tenu, du débat doctrinal
controversé et continu, en ce qui concerne la nature de la
responsabilité civile du commissaire aux comptes, et en absence d'une
conception claire par rapport à ce sujet, il convient de mettre la
lumière en premier lieu sur le fondement légal
spécial(§ I) qui prévoit le régime légal de la
responsabilité civile du commissaire aux comptes, pour ensuite
s'intéresser au régime de droit commun qui réglemente en
général le domaine des responsabilités(§ II).
1 Loi 17-95 relative à la société
anonyme, promulguée par le dahir n° 196-124 du 14 rabii 1417 ( 30
aout 1996) telle qu'elle a été modifiée et
complétée par la loi n° 20-05 promulguée par le dahir
n° 1-08-18 du 17 Joumada 1429 ( 23 mai 2008), (BO n° 5640 du jeudi 19
juin 2008)
2 J. Monéger, et T. Granier, Le Commissaire aux
comptes, Dalloz, 1995, p 137
3 E. Matringe, La reforme de la responsabilité
civile en droit suisse : modèle pour le droit français ?,
Thése de doctorat en Droit, Université de Strasbourg, 2010, p
40
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§ I : Le fondement spécial :
Une série d'avancées majeures ont marqué au
Maroc, ces dix dernières années.
Pour l'essentiel, de nombreuses sociétés
publiques ont été privatisées et d'importantes concessions
de service public ont été accordées (eau,
télécommunications, notamment). Diverses perspectives
d'investissement sont envisagées.
Corrélativement, la modernisation du cadre juridique et
institutionnel a été très activement entreprise et
continue d'être au centre des préoccupations.
Dans ce sens, la législation des sociétés
commerciales au Maroc a, ces dernières années, été
adaptée afin de répondre aux défis de la mondialisation.
Les principaux textes qui dataient souvent de la période du protectorat
ont été mis à jour. Cette mise à jour a
porté essentiellement sur un certain nombre de législations
fondamentales qui idéalement devrait permettre au pays de fonctionner
dans un contexte d'investissements et de commerce ayant une vision
internationalisée.1
Il en résulte que la responsabilité civile du
commissaire aux comptes n'a pas fait l'exception, ainsi si jadis
déterminée dans son étendue et ses effets envers la
société d'après les règles générales
du mandat par l'article 43 du dahir de 1922, la responsabilité civile du
commissaire aux comptes a, aujourd'hui pour fondements les dispositions de
l'article 180 de la loi de la loi n° 17-95 2relative à
la société anonyme :
« Le ou les commissaires aux comptes sont
responsables, tant à l'égard de la société, que des
tiers des conséquences dommageables, des fautes et négligences
par eux commises dans l'exercice de leur fonctions.
Ils ne sont pas civilement responsables des infractions
commises par les administrateurs, les membres du directoire, ou du conseil de
surveillance sauf si en ayant eu connaissance lors de l'exercice de leur
mission, ils ne les ont pas révélées dans leur rapport
à l'assemblée générale. »
1 O. Mustapha, Le Commissaire au comptes au Maroc,
Sijelmassa, 2010, p 8
22 Loi 17-95 relative à la
société anonyme, promulguée par le dahir n° 196-124
du 14 rabii 1417 ( 30 aout 1996) telle qu'elle a été
modifiée et complétée par la loi n° 20-05
promulguée par le dahir n° 1-08-18 du 17 Joumada 1429 ( 23 mai
2008), (BO n° 5640 du jeudi 19 juin 2008)
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Ainsi, nous pouvons déduire qu'en légalisant le
régime de la responsabilité civile du commissaire aux comptes,
dans le cadre de l'article 180 de la loi n° 17-95 1relative
à la société anonyme, indépendamment des
dispositions régissant la responsabilité civile
délictuelle (art 77) ou contractuelle ( art 261) prévues par le
dahir des obligations et des contrats, que le législateur marocain
reconnaît de manière implicite, que la responsabilité
civile du commissaire aux comptes est autonome et indépendante par
rapport à ces règles classiques, et qu'elle présente des
caractéristiques particulières relative au statut et la
profession du commissaire aux comptes qui doivent être prise en compte,
et qu'elle nécessite un régime légal spécifique.
En effet les particularités de la responsabilité
civile du commissaire aux comptes, sont désormais faciles à
apprécier notamment sur la base de l'article 180 de la loi n° 17-95
relative à la société anonyme.
Dans ce sens il convient de souligner en premier lieu que le
commissaire aux comptes est cité nommément et directement dans le
cadre des articles 180 et 181 qui prévoient le régime
légal de la responsabilité civile du commissaire aux comptes.
En plus et contrairement au dahir 1922 qui disposait dans son
article 43 que l'étendue et les effets de la responsabilité du
commissaire aux comptes envers la société sont
déterminées par les règles générales du
mandat, la loi 17-95 relative à la société anonyme ne
présente aucune précision explicite à la notion du mandat,
ni à la responsabilité du mandataire, de même non plus
à la responsabilité délictuelle puisque si c'était
le cas, le législateur pouvait faire référence à
l'article 77 du dahir des obligations et des contrats.
De même, il convient de signaler que les termes
utilisés par le législateur dans le cadre de l'article 180 de la
loi n° 17-95 modifiée par la loi n° 20-05 relative à la
société anonyme, comme « faute », «
négligence », « conséquences dommageables » se
distinguent clairement des termes utilisés dans le cadre de l'article 77
du dahir des obligations et des contrats régissant la
responsabilité délictuelle, en plus le législateur
subordonne la mise en oeuvre de la responsabilité civile du commissaire
aux comptes, à la présence d'une faute professionnelle, car
conformément aux dispositions de l'article 180 loi n° 17-95
modifiée par relative à la société anonyme, le
commissaire aux comptes est responsable des fautes et des négligences
qu'il a commises dans le cadre de l'exercice de ses fonctions.
1 Loi 17-95 relative à la société
anonyme, promulguée par le dahir n° 196-124 du 14 rabii 1417 ( 30
aout 1996) telle qu'elle a été modifiée et
complétée par la loi n° 20-05 promulguée par le dahir
n° 1-08-18 du 17 Joumada 1429 ( 23 mai 2008), (BO n° 5640 du jeudi 19
juin 2008)
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En fait, la faute professionnelle n'est pas une simple faute
ordinaire, car puisque les commissaires aux comptes, sont des professionnels,
qui exercent une mission d'intérêt général, ils sont
soumis à des devoirs spécifiques, comme par exemple : le devoir
d'indépendance, ces devoirs donnent un aperçu du modèle de
comportement que les dirigeants doivent observer. La non observation de ses
obligations constitue une faute professionnelle et engage leur
responsabilité. 1
Dans ce sens certains auteurs indiquent que la faute
susceptible d'engager la responsabilité du commissaire aux comptes doit
être constitutive d'un manquement aux obligations professionnelles. 2
Par ailleurs, le caractère spécial de la
responsabilité civile du commissaire aux comptes se manifeste
également, par rapport aux destinataires de cette responsabilité,
en effet le législateur dans le cadre de l'article 180 loi n° 17-95
3relative à la société anonyme, limite les
parties à l'égard desquelles, le commissaire aux est tenu de
répondre de ses fautes et négligences.
Ainsi le commissaire aux comptes est responsable civilement
seulement face à la société et aux tiers, car
d'après la jurisprudence, même les actionnaires, ne sont pas en
mesure, d'engager une action en responsabilité civile contre lui,
lorsqu'il s'agit d'une affaire liée au fonctionnement de la
société.4
Conséquemment, il en résulte, que la
responsabilité du commissaire aux comptes n'est donc pas celle qui peut
être exigée de n'importe quelle personne, puisque si la
responsabilité délictuelle lui aurait été
applicable conformément aux dispositions de l'article 77 du dahir des
obligations et contrats, aucune limitation n'aurait été
prévue par rapport au destinataires de la responsabilité , et il
aurait été tenu de répondre de ses fautes et
négligences commises dans l'exercice de ses fonctions, non seulement
à l'égard de la société et des tiers mais
également vis-à-vis des actionnaires et les salariés, et
à l'égard de toute personne qui se sent victime de ses fautes.
1 M. Coipel, Droit des sociétés
commerciales, Kluwer, 2006, p 891
2 J. Monéger, et T. Granier, Le Commissaire aux
comptes, Dalloz, 1995, p 140
3 Loi 17-95 relative à la
société anonyme, promulguée par le dahir n° 196-124
du 14 rabii 1417 ( 30 aout 1996) telle qu'elle a été
modifiée et complétée par la loi n° 20-05
promulguée par le dahir n° 1-08-18 du 17 Joumada 1429 ( 23 mai
2008), (BO n° 5640 du jeudi 19 juin 2008)
4 TPI Agadir, 10 mai 2006, cité par T. SBAA, La
responsabilité civile, pénale et disciplinaire du commissaire aux
comptes et le comportement à adopter en cas de sa mise en cause,
Mémoire en vue de l'obtention du diplôme d'expert comptable,
ISCAE, nov 2007, p 114
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En effet ce principe, est confirmé par A. Sayag
lorsqu'il indique que1 : « la spécificité de la
responsabilité du commissaire aux comptes est tout entière
contenue dans l'alinéa 1 er de l'article 234, lorsqu'il énonce
que « les commissaires aux comptes sont responsables (...) des
conséquences dommageables des fautes et négligences par eux
commises dans l'exercice de leurs fonctions ».
Par ailleurs, il convient de préciser que les
règles de prescription n'ont pas fait l'exception, et présente
également certaines particularités, qui permettent de les
distinguer des règles de prescription classiques prévues par le
droit commun.2
Ainsi par rapport aux règles de droit commun, et
conformément aux dispositions de l'article 387 du D.O.C, toutes les
actions naissant d'une obligation sont prescrites par 15 ans.
Or le législateur marocain prévoit dans le cadre
de la loi n° 17-95 3relative à la société
anonyme, des règles spéciales de prescription, s'agissant de la
responsabilité civile du commissaire aux comptes, et qui dérogent
au droit commun, et qui consistent en ce que les actions en
responsabilité contre le commissaire aux comptes, se prescrivent par
cinq ans, conformément aux dispositions de l'article 181 de la loi
n°17-95 sur la société anonyme qui énonce que :
« Les actions en responsabilité contre les
commissaires aux comptes se prescrivent par cinq ans à compter du fait
dommageable ou s'il a été dissimulé de sa
révélation. »
Au terme de cette analyse du fondement spécial de la
responsabilité civile du commissaire aux comptes, il convient maintenant
de s'intéresser aux fondements de droit commun qui peuvent servir
également comme base juridique de la mise en oeuvre de la
responsabilité du commissaire aux comptes.
1 A. Sayag, le commissariat aux comptes : renforcement
ou dérive, Litec,1989, p 425
2 O. Mustapha, Le Commissaire aux comptes au Maroc,
Sijelmassa, 2010, p 160
3 Loi 17-95 relative à la
société anonyme, promulguée par le dahir n° 196-124
du 14 rabii 1417 ( 30 aout 1996) telle qu'elle a été
modifiée et complétée par la loi n° 20-05
promulguée par le dahir n° 1-08-18 du 17 Joumada 1429 ( 23 mai
2008), (BO n° 5640 du jeudi 19 juin 2008)
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